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On était sur le plateau de J+1

Par Arnaud Clément
On était sur le plateau de J+1

Depuis 2013, les amateurs de foot lassés des vannes beauf du CFC ou allergiques à la poussière accumulée de Téléfoot ont zappé pour J+1, sur Canal + Sport. L'émission présentée par Stéphane Guy plonge chaque semaine un peu plus Ali Ahamada en dépression, propose des palettes tactiques qui servent d'intros aux vannes de Julien Cazarre et laisse des chiens venir faire leurs besoins à la fraîche. Immersion.

Trois jours après le passage de milliers de supporters du PSG venus voir Ibra et consorts fesser le Téfécé, c’est encore jour de match pour la station de métro parisienne de la porte de Saint-Cloud. Il est toujours question de Ligue 1, mais ils ne sont qu’une poignée à sortir de la ligne 9 pour rallier les gradins. Sans doute car la capacité des tribunes Fabrice-Pancrate et Coccinelle du plateau de J+1, l’émission tactico-technico-LOL de Canal + Sport, n’excède pas la cinquantaine de pékins. Malgré sa petite notoriété et sa renommée de poil à gratter du « football circus » , l’expression préférée du présentateur Stéphane Guy, le programme calé le lundi à 23 heures en direct depuis trois ans peine à remplir les travées : même les agents de la sécurité sont invités à faire tomber les vestes de costume pour garnir le public une fois le combo double fouille-passage sous le portique expédié. Un protocole de sécurité qui ne permet pas de faire entrer son smartphone, et encore moins quelques canettes d’Heineken ou une potence avec une marionnette.

Pipis de chiens et minute de silence

Déjà passé dans le public la saison précédente, Quentin, 27 ans, pénètre dans les coulisses des plateaux de Boulogne-Billancourt avec un souhait, lui qui sort d’un five sans avoir eu le temps de grignoter avant de se poser en tribune Fabrice-Pancrate : « L’ancien plateau était petit et on ne voyait pas très bien les sujets à l’écran dans le public, mais en revanche, il y avait les amuse-gueules et les bonbons Haribo avant le direct. Je compte sur ça pour me requinquer. » Raté. Encore une conséquence de la reprise en main des programmes par Vincent Bolloré ? Le mystère reste entier. Autre mystère ? Ces cinq chiens tenus en laisse par un sosie non officiel du chanteur Carlos qui se pavanent sous les projecteurs autour du siège de l’invité. Entre deux traits d’urine, les toutous jappent, comme déboussolés, pendant qu’un régisseur demande un mouchoir aux spectateurs pour éponger leurs cadeaux. Avec Jérémy Morel présent ce 9 novembre, probablement le seul joueur de foot à avoir fait l’objet d’un reportage dans 30 Millions d’amis, on comprend mieux le clin d’œil à venir.

Pendant que les hommes de l’ombre dispensent leurs trucs et astuces pour que l’auditoire obtienne son CAP « Applaudissements en direct » , Éric Carrière, dans son rôle de spécialiste partagé avec Pascal Dupraz, peaufine non loin ses analyses tactiques sur tablette. Il reste encore 20 minutes avant la prise d’antenne et le Monsieur Loyal du programme, l’infernal Stéphane Guy, entre en scène sous les applaudissements et au son d’ « Happy Birthday to you » , comme demandé et répété avant son arrivée. Un running gag pour amuser la galerie comme savent si bien le faire les équipes tenues par Laurent Salvaudon ? Probablement. L’animateur est né un 30 septembre. Faussement surpris, Stéphane Guy reprend le contrôle et invite le public à se lever pour une minute de silence à la mémoire… du général de Gaulle, 45 ans jour pour jour après sa mort. Tout le monde s’exécute sans broncher. Jouant en déplacement à Colombey, Florian Philippot aurait apprécié. Mais pas pour déconner, alors que Stéphane Guy laisse le solennel de côté pour évoquer à demi-mot le programme du jour : « Je vous préviens, on s’enfonce d’émission en émission. Si on continue, on fera la dernière dans les catacombes de Paris… »

Jérémy Morel, entre rires et réponses coincées

Perfectionniste malgré l’agitation, le commentateur habituel de la Premier League ne lève pas la tête de ses fiches et du conducteur de son émission, dont il souligne les points-clés, surligneur en main. Seule l’arrivée de la splendide Marina Lorenzo le fait dévier de son sujet : non pas pour sa robe soignée ou sa silhouette élancée comme la plupart des messieurs aux yeux bloqués, mais parce qu’elle lui sert un caviar pour mettre une pichenette à Éric Carrière sur sa taille, avec ses talons de 15 cm. Attendrissante, la journaliste révélée sur Infosport prend la défense de l’ancien Canari. Dans la foulée, c’est ce dernier qui prend fait et cause pour… Mathieu Valbuena, tandis qu’un spectateur aperçoit Petit Velo sur sa tablette pendant les ultimes répètes : « Il a fait un gros match hier franchement, non ? Et non seulement il a joué juste, mais en plus de ça, tu as vu tous les coups qu’il a pris ? Il est très costaud… » Une fois un souci de prompteur réglé, Stéphane Guy demande une dernière modification de son édito à quatre minutes du lancement du générique. Il sera là encore question de Valbuena. Ou plutôt de Benzema, et tant d’autres : les encombrants entourages de la poule aux œufs d’or qu’est le footballeur professionnel. « Antenne dans 15 secondes » entend-on peu après. C’est parti pour une heure de décryptage, de « off » , de tweets, de fautes de français des entraîneurs et joueurs ou de vannes plus ou moins réussies.

L’édito et le sommaire passés, le tout frais vainqueur du 111e derby rhonalpin, Jérémy Morel, est invité à rejoindre le plateau. Comme prévu, les images de 30 Millions d’amis et du Citroën Berlingo du latéral lyonnais refont surface pendant que Carlos galère à rameuter ses troupes canines sur le plateau avant la fin du sujet. « Dix secondes, sors vite du champ » , s’exclame le régisseur. Il était moins une. Pas de quoi refroidir pour autant la joyeuse troupe, qui se bidonne volontiers pendant que les téléspectateurs sont focalisés sur leurs décryptages et sujets. Stéphane Guy rit à gorge déployée, Marina Lorenzo et Éric Carrière n’ont pas plus de raison de se priver. Même Jérémy Morel rigole volontiers pendant les rubriques du Film du dimanche soir et de Bandes de confs, consacrées pour l’essentiel à Lyon-Sainté. Summum de la marade ? Cette nouvelle pépite de déclaration comme J+1 aime en dénicher dans les couloirs des stades. Celle-là même qui voit le jeune Polomat promettre de retrouver Tolisso, dont il connaîtrait l’adresse et même ses contingences affectives : « Même sa meuf lui mettait des baffes au lycée. » C’est alors à celui qui rira le plus fort, devant comme derrière les caméras.

Julien Cazarre, attraction n°1

Tout le monde s’amuse énormément, même s’il y en a un qui semble galérer : Stéphane Guy. Passé le couplet moraliste sur les dérives des ultras, impossible pour lui, malgré son expérience et son florilège de questions taquines ou incisives, de tirer ne serait-ce qu’un ver du nez d’un Jérémy Morel plus coincé que le genou de Robert Berić. Sans s’abaisser à « l’important, c’est les trois points » , l’ancien Marseillais élude volontiers les polémiques dès lors qu’on lui demande de choisir entre Bielsa et Gourcuff, entre Labrune et Aulas. Il s’enfonce dans son siège, mais se redresse pour reprendre Stéphane Guy lui demandant ce qu’il devait à Christian Gourcuff, celui qui l’a « révolé » au grand public. Une belle intervention défensive de Jérémy Morel qui pousse Marina Lorenzo et Éric Carrière à pointer du doigt le maître de cérémonie, peu habitué à se faire recadrer. Ils peuvent se le permettre alors que l’attention baisse : l’odeur du dessert se répand dans le studio, alors que Julien Cazarre, l’humoriste aimé et redouté des footballeurs, vient de débarquer en coulisses. Pourtant concentré sur son texte, le pitre fidèle à son pupitre n’a qu’à pointer le bout de son nez pour captiver.

Et Jérémy Morel de gentiment encaisser les vannes sur sa vue ou sa carrière, sans trop broncher, avant de carrément se poiler une fois Cazarre lancé dans ses doublages burlesques. L’occasion de rendre officiel, s’il en était encore besoin, qu’Ali Ahamada n’est pas que la risée des journalistes et supporters : à chaque séquence ou presque sur le portier toulousain, les vannes de l’ancien d’Action discrète font mouche. Le trublion pourrait en faire un one-man-show tant il semble profiter d’une imagination inépuisable à son sujet. Beau joueur une fois le rideau de l’émission tombé, Julien Cazarre revient saluer et échanger avec Jérémy Morel et Éric Carrière pendant que les tribunes Coccinelle et Pancrate se vident. Lors du retour aux vestiaires, un aficionado annonce déjà son retour pour la semaine d’après, persuadé que Mathieu Valbuena va venir parler sextape : « C’est sûr, ils l’ont dit à la fin qu’il serait là pour la prochaine émission. » Malheureusement pour lui, comme le lui rappelle le préposé au portemanteau, « il n’y a pas d’émission lundi prochain, c’est l’équipe de France qui joue » . Au lieu de cris de joie par milliers, ce 9 novembre, les tourniquets de la station de la porte de Saint-Cloud n’ont vu passer qu’une âme dépitée de devoir patienter avant sa prochaine dose de « football circus » .

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