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On était au dernier match des Girondins au Parc Lescure

Par Mathias Edwards
On était au dernier match des Girondins au Parc Lescure

Dépendaison de crémaillère en Gironde, samedi, où le Bordeaux du foot a dit au revoir à son Parc Lescure, son Chaban-Delmas. Fumi, kilts et émotions, il y a eu un peu de tout pour cette dernière.

Ils sont restés de longues heures dans leur tribune, le Virage Sud, une fois le coup de sifflet final donné par Antony Gautier, l’arbitre de ce Bordeaux-Nantes. Qu’ils soient membres des Ultramarines ou simples fans des Girondins, tous voulaient savourer le plus longtemps possible ces derniers instants de leur vie de supporters dans ce stade qui leur a offert tant d’émotions. Et lui rendre un ultime hommage, à l’occasion du dernier match de leur équipe dans cette arène qui l’a accueillie pendant soixante-dix-sept ans. À une heure du matin, lorsque les derniers fumigènes se sont éteints, que les derniers accords de ska ont résonné sur la scène montée dans les travées, et que les gobelets de bière ont commencé à sonner creux, ils se sont assis. Enfin. Cela ne leur était plus arrivé depuis midi, et le lancement de cette folle journée du 9 mai 2015. Le Parc Lescure méritait un chant du cygne, il a eu bien plus.

Reggae, kilts, hamburgers et larmes de Giresse

Annoncées depuis des semaines, les festivités, hashtaguées #AdieuLescure, promettaient de belles surprises. Et cela n’a pas loupé. Les Ultramarines, le principal groupe de supporters bordelais, y a travaillé d’arrache-pied pendant des mois, à l’abri des regards, planqués dans ce hangar prêté par la municipalité voisine de Saint-Jean-d’Illac. Après la grosse suée du 23 avril dernier, lorsque la LFP avait décidé, dans un premier temps, de programmer la rencontre le dimanche 10 mai à 14h, avant de faire machine arrière face à la fronde populaire, plus rien ne pouvait s’opposer à ce que la ferveur de tout un peuple fasse de ce samedi une journée qui marquera à jamais l’histoire du club au scapulaire. C’est à midi que les hostilités sont lancées place de la République. Coincée entre le Palais de justice et l’hôpital Saint-André, l’esplanade voit arriver au compte-gouttes les premiers supporters, au son des vieilles galettes de reggae, de soul et de funk envoyées par les DJ’s du Saint-Tropez Soulful Patrol. Pour le plus grand plaisir de Derek, Allan, David, Steven, Colin et Andrew venus tout droit d’Édimbourg, spécialement pour le match. Tout en kilts, T-shirts floqués « Girondins d’Écosse » et crème solaire, les six quadragénaires sont tombés amoureux de la capitale aquitaine et de son stade en 1998, à l’occasion du match de Coupe du monde entre l’Écosse et la Norvège. Impensable pour eux de rater ce rendez-vous, comme l’explique Colin, qui se fait au moins un pèlerinage par an à Chaban.

Pas loin, quelques Magic Fans stéphanois sont là pour filer un coup de main et soutenir leurs potes Ultramarines, tandis que la foule commence à se masser devant la grande scène dressée devant le tribunal. Très vite, le food truck qui remplit les ventres de hamburgers est pris d’assaut, tout comme le stand qui deale les T-shirts « Adieu Lescure » , accessoire indispensable de la journée. Les Ultras en ont imprimé 5000, ils trouveront tous preneur. À 14h30, la place est noire de monde. À l’odeur de bière, vendue deux euros, se mêle celle des joints, omniprésente. Les premiers chants à la gloire des Girondins partent du parvis de l’hôpital, où sont entre autres rassemblés les cinquante-cinq Marine et Blanc d’Île-de-France, dont le bus a quitté la capitale à minuit. Arrivés à Bordeaux à 8h, les Franciliens se sont directement rendus au Parc Lescure pour mettre la main à la pâte et aider à l’installation des tifos. Sur l’écran géant, c’est le moment de diffuser le film à l’effigie du Parc Lescure. La production, signée France 3 Aquitaine, revient sur les différents rois qui se sont succédés sur le trône des Girondins. Roland Guillas, d’abord, et ses 277 matchs disputés pour Bordeaux dans les années 50 et 60. Puis Alain Giresse, bien sûr, et enfin, Zinedine Zidane. Le film, rythmé par un remix compliqué du Je suis venu te dire que je m’en vais de Gainsbourg, rappelle également aux plus jeunes que les plus grands ont foulé la pelouse de Lescure. Comme Pelé, avec Santos, lors d’un match amical. Maradona, aussi, par deux fois. La première avec Barcelone à l’occasion d’un match de gala pour le centenaire du club, la seconde plus sérieusement, en Coupe d’Europe, avec Naples. Et puis Platini, bien sûr, défait 2-0 avec la Juve, mais qualifié après l’avoir emporté 3-0 à l’aller. Et rien sur le passage de Moussa Maazou.

Défilé et marche vers Lescure

Cette petite régalade envoyée, il est temps pour les capos du Virage Sud de faire hurler l’assistance en attendant que quelques anciennes gloires défilent sur scène. Le « Qui ne saute pas est marseillais » fissure le bitume jusqu’à l’arrivée sur le podium de Patrick Battiston. L’actuel coach de la réserve bordelaise prend le micro, des mots d’amour plein la bouche. Les premiers fumigènes s’allument. Ils sont trois : un vert, un jaune, un rouge. Rien à voir avec le Mali. Sur la scène, l’ancien libéro bordelais est suivi par Marius Trésor, Philippe Fargeon et Gaëtan Huard. Les voix sont tremblotantes, l’émotion palpable. Puis vient le tour de Bixente Lizarazu, qui augmente sensiblement le volume de l’applaudimètre. Après le Basque se succèdent François Grenet, Lilian Laslandes, un des rares joueurs passés par Bordeaux auquel les Ultras ont dédié un chant, Michel Pavon, Pierrot Labat, le formateur historique, Ulrich Ramé, qui a une pensée pour « Domi » Dropsy, que la foule acclame, Franck Jurietti et enfin Alain Giresse. « Gigi » a droit à une ovation à la hauteur de ses 587 matchs joués avec son club formateur. Beau comme la larmichette qu’il ne parvient pas à retenir et qui devient vite contagieuse.

L’instant émotion passé, il est maintenant temps pour tout ce beau monde – 8 000 personnes selon les Ultramarines – de se rendre au stade à pied. Au micro, les capos préviennent : pas de fumigènes dans le cortège. La foule sourit. L’itinéraire, qui se parcourt d’ordinaire en une vingtaine de minutes, prendra trois bons quarts d’heure. En route, quelques arrêts clapping, beaucoup de chants, des ambianceurs juchés sur les toits des arrêts de bus, mégaphone en main, de la bière et des fumigènes, évidemment. Surtout lors du passage devant l’hôtel de police. Dans la foule, des ultras, bien sûr, mais aussi beaucoup d’enfants, des familles, des personnes âgées. Sur le passage, les habitants applaudissent et chantent depuis leurs balcons. Les ultras sont en train de prouver qu’il est possible de rassembler plusieurs milliers de personnes de toutes générations, dans la bonne humeur, sans heurts ni accidents à signaler. Déjà une victoire bordelaise.

Tifos en pagaille et cordes vocales en danger

Arrivée au stade aux alentours de 18h, la foule se disperse dans les différentes tribunes de Chaban-Delmas, qui sera plein dès 19h, soit une heure avant le début de la rencontre face à Nantes. Du jamais vu à Bordeaux. Les chants résonnent déjà dans le Virage-Sud, bien décidé à offrir à son stade une sortie tout en décibels. À côté de chaque siège du stade, un drapeau, un serpentin et une notice expliquant le déroulement des différents tifos. Les Ultramarines ont fait les choses bien, c’est désormais à chaque spectateur d’apporter sa pierre à l’édifice. Vingt minutes avant le coup d’envoi, le premier tifo est lancé. Devant le Virage Sud, des toiles retraçant l’histoire des Ultras bordelais depuis leur création en 1987 s’affichent, soutenues par des mâts d’une quinzaine de mètres de haut. Puis, ce sont des photos illustrant les plus grands moments de l’histoire des Marine et Blanc à Lescure qui les remplacent. De Bordeaux-Juventus 1985 à Bordeaux-Milan 1996, tout y est. Enfin, juste avant le coup d’envoi donné par Alain Giresse, ce sont de grandes bâches qui recouvrent l’ensemble des tribunes du stade. Dessous, dans le noir, personne ne sait ce qu’elle représentent, mais tout le monde est chaud. Les cordes vocales sont déjà mises à rude épreuve, conscientes qu’ainsi recouvertes, elles doivent redoubler d’efforts pour se faire entendre.

Une fois la lumière du jour retrouvée, les drapeaux sont de sortie. Le match a débuté dans l’indifférence générale. Ce samedi soir, c’est Lescure qu’on fête. Et la victoire face à Nantes n’est qu’une étape parmi d’autres. Durant toute la première période, les chants sont si puissants qu’il est compliqué de communiquer avec son voisin de tribune, pourtant collé à vous tant l’enceinte est bondée. Même les escaliers sont pleins. Les deux virages se répondent, les tribunes de face et d’honneur jouent aussi le jeu. Les capos sont comme possédés, montés sur ressort, la bave aux lèvres. Jamais Lescure n’a vécu une telle ambiance, et chacun a l’impression de participer à un événement qui restera gravé dans l’histoire du club. Sur l’égalisation de Diego Rolán, c’est l’explosion. La bousculade est joyeuse, les chutes indolores. Normal, quand les jambes sont anesthésiées par l’effort depuis un petit moment déjà. À la 27e minute vient l’ovation à laquelle a droit Marc Planus, au club depuis 26 ans, qui vient d’annoncer son départ en fin de saison. Le #27 bordelais, sur le banc, s’affiche sur l’écran géant en train de saluer le stade. De l’émotion, encore.

Des dizaines de fumigènes, dont un pour Planus

Après la pause, et les jets de serpentins, l’ambiance est plus calme. Les leaders des Ultras ont décidé de prendre quinze minutes pour raconter au Virage Sud leur histoire, saluer les disparus, avoir une pensée pour les Devils, groupe de supporters dissous en 2006, et défendre la cause ultra, menacée par le foot-business. Un quart d’heure d’auto-congratulation qu’ils ont bien le droit de s’offrir, après tout. L’intermède passé, les chants reprennent de plus belle. Et ils ne sont pas près de s’arrêter, surtout après le second pion de Rolan. Ce samedi soir, les Nantais n’ont pas le droit de gagner, et ils ne font pas grand-chose pour. À partir de la 85e minute, la tension est palpable en tribunes. Les chants sont toujours aussi puissants, mais les voix se font tremblantes. Chacun réalise que ça y est, dans cinq minutes, ce sera vraiment fini. Les supporters donnent tout ce qu’ils ont, et les premiers fumigènes sont craqués. Un ou deux, d’abord, puis tout de suite après, des dizaines. À l’odeur du cannabis bon marché succède celle du cramé. C’est la cohue dans les rangs, chaque torche provoquant un mouvement de foule autour d’elle, dans le brouillard. Pas une raison pour s’arrêter de gueuler à la gloire des Girondins. Le match est terminé depuis quelques minutes sans que personne dans la tribune ne s’en soit rendu compte. Peu importe. C’est parti pour une deuxième tournée de « fumis » . Dont un pour Marc Planus, venu au devant du virage. Deuxième ovation, pour lui, porté en triomphe par ses partenaires, qui dansent devant leurs fans. Cédric Yambéré s’empare du micro pour lancer quelques chants. L’immense Cheick Diabaté, en doudoune, rejoint ses potes en courant pour poser avec eux devant ces filets qu’il a tant de fois fait trembler, comme Giresse, Lacombe, Pauleta, Cavenaghi et tant d’autres avant lui. La tribune, elle, continuera à chanter pendant encore trois heures. Merci Lescure.

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