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On a vécu l’élimination du Qatar à The Pearl, temple du luxe qatari

Par Hugo Lallier, à Doha
On a vécu l’élimination du Qatar à The Pearl, temple du luxe qatari

The Pearl, temple du luxe au Qatar, est l’une des ceintures les plus riches de Doha. Quelques Qatariens s’étaient donné rendez-vous pour suivre le match décisif de leur équipe sur écran géant ou sur un yacht.

À dix minutes près, Yassin était à l’heure. Le jeune Qatarien, un physique d’acteur à succès, son granité cola à la main, arrive sur Porto Arabia sans s’affoler. Sur l’écran géant, les Sénégalais ont beau confisquer le ballon aux locaux, il pianote sur son téléphone d’un air relâché. Il a quelques Snapchat en absence et se contente de relever la tête lorsque le commentaire, qui sort des enceintes disséminées aux quatre coins de la place, s’emballe.

Yassin est venu avec son collègue, Mansur, un type qui, selon ses propres dires, parle mieux anglais que lui. Yassin aime jouer aux modestes. C’est le gars de la sécurité, un intime des deux copains, qui interfère et l’assure. Une conversation s’engage. Les trois jeunes hommes, thobes sur les épaules pour les deux premiers et un polo qui enserrent les bras du troisième, parlent de tout et de rien. Le dialogue revient toujours à un même point : ils semblent plus intéressés par les filles que par le match qui se joue sous leurs yeux.

Bienvenue à Louis-II

Vendredi, sur la presqu’île de The Pearl, les boutiques Chopard, Versace ou Ferrari sont désertes. Beaucoup de Qatariens se sont réunis dans les majlis, lieu traditionnel où les hommes se rassemblent pour les grandes occasions. D’autres ont consacré le jour saint à leur famille. Une centaine de courageux se sont donné rendez-vous au pied de l’avenue piétonne de Porto Arabia. Les marches en contrebas ont été prises d’assaut, et les serveurs du restaurant qui vendent des boissons fraîches peinent à se frayer un chemin. Les yachts pataugeant dans la marina à quelques mètres, l’ambiance ressemble plus à celle du stade Louis-II qu’à Geoffroy-Guichard.

Le premier match, les joueurs ont été tétanisés, ils avaient trop peur. Là, ils vont mieux jouer.

Le match a débuté depuis une grosse demi-heure. Les encouragements sont timides. Des mômes, la tunique bordeaux de la sélection du Qatar qui leur tombent sur les orteils, grignotent des barres chocolatées sortant des sacs à main Chanel de mères prévenantes. Quelques frémissements s’emparent de la foule lorsque la star de l’équipe qatarienne, Akram Afif, touche le ballon. Les chevauchées de la vedette donne un espoir à Yassin : « Le premier match, les joueurs ont été tétanisés, ils avaient trop peur. Là, ils vont mieux jouer. » Puis, coup de froid, Boulaye Dia allume la clim’ au royaume de l’air conditionné. 1-0 ! Quelques pères de famille, rongés de l’intérieur, miment le désintérêt. La majorité en a clairement peu à faire. Ils sont là plutôt par élan patriotique. La sortie de l’équipe nationale les arrangerait presque. Yassin se projette déjà sur la suite de la compétition : il supportera le Brésil, son joueur préféré est latéral droit, il s’appelle Dani Alves. Peut-être les Allemands aussi : son club, c’est le Bayern.

Clopes, beIN Sports et softpower

À quelques mètres de là, Ahmed a invité deux amis à voir le match sur son yacht. Ce n’est pas le bateau de Roman Abramovitch, mais les mensurations du navire ne font pas de l’embarcation une barque de plaisancier. À l’étage, un écran plat diffuse beIN Sports. Les trois hommes, les pieds repliés sur le canapé au tissu à rayures bleues, ne loupent pas une miette du match. Poser la question de savoir si la bande aime le ballon rond est presque un affront. « Tout le monde aime le football, ici ! », se marre le maître des lieux. À côté de lui, Mohammad, membre du gouvernement, ne peut s’empêcher de replacer les drapeaux du Qatar et de l’Arabie saoudite qui flottent derrière eux. Le troisième larron grille clope sur clope.

Désormais, tout le monde connaît le Qatar. C’est uniquement pour ça qu’on a organisé cette Coupe du monde, je pense.

Juste après la mi-temps, le Sénégal double la marque. On s’aventure à demander à Ahmed ce qu’il va retenir de cette Coupe du monde où le Qatar n’aura pas briller. « Lorsque je voyage, on me demande d’où je viens. Je réponds : du Qatar ! Et là, les gens me disent : « Ah super, je suis déjà allé à Dubaï. » Là, tout le monde saura qui nous sommes. Un Argentin avant ne connaissait pas notre ville, notre architecture ou notre culture. Désormais, tout le monde connaît le Qatar. C’est uniquement pour ça qu’on a organisé cette Coupe du monde, je pense. » La performance de l’équipe de Félix Sánchez Bas ne semble plus vraiment compter aux yeux des trois amis.

Mohammad & Ali

Les voilà sur leur téléphone, multipliant les appels. La conversation prend un tour plus personnel. Ahmad parle de son appartement à Paris, au pied des galeries Lafayette, et de ses bateaux. Après le Mondial, il entend retourner naviguer en mer… Il a déjà arpenté les eaux de Grèce et de Turquie. Son bateau est à quai durant toute la compétition. Il se verrait bien repartir. L’aide de camp, un Iranien prénommé Ali qui ressert les tasses de thé dès qu’elles sont vides, se mord les lèvres pour ne pas afficher sa réticence.

Bye-bye Qatar

Il fait désormais nuit noir sur le port. Les palmiers entourés de guirlandes lumineuses scintillent, et les devantures des commerces s’illuminent. L’espoir de voir le Qatar en huitièmes de finale s’est envolé. Le but de Mohammed Muntari fait à peine lever Mohammad. À l’image des supporters partis des tribunes du stade Al-Bayt, les trois amis ne semblent plus vraiment croire à autre chose qu’à la fin du parcours. Une troupe de copains arrivent les mains pleines. La table basse se remplit de mets en tous genres. Le match se poursuit sur l’écran. Lorsque Bamba Dieng plante le troisième pion, le sourire forcé, Ahmad lâche : « Bye-bye Qatar. » Il se voit déjà prendre le large.

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