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« On a représenté nos Boys in Green jusqu’au bout »

Propos recueillis par Eric Carpentier
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La Green Army, c'étaient eux. Eric, Ciarán, Gearóid, Dave et Gary ont parcouru la France pendant deux semaines pour suivre leur équipe d'Irlande. Ultras des Bohemians de Dublin au civil, ils reviennent sur leur trip français, sans oublier de mettre des taquets à John Delaney, Sky Sports ou Toto Schillaci. Mais en chantant, toujours.

Il a ressemblé à quoi, votre Green Army France Tour ? Gary : Je suis passé par Bruxelles et je suis allé au premier match à Paris avec mon père, où on s’est tous retrouvés. Après, on est allés à Nantes voir un ami, Jordan, de la Brigade Loire. Il est venu au Dalymount Park des Bohemians et depuis on est potes. De là on est allés à Bordeaux, cinq putain d’heures de train, sans bouffe, sans eau, l’enfer ! Ensuite, Lille pendant trois jours, puis on est parti deux jours à Amsterdam avant de rentrer à Dublin. On n’avait plus un rond pour aller à Lyon, il fallait retourner bosser ! On aurait appelé Platini pour qu’il nous arrange un retour si on avait gagné contre vous, mais vous l’avez mérité. Maintenant, on peut retrouver notre Dalymount Park !

Il vous laisse quel goût en bouche, ce match contre les Bleus ?Gary : J’étais à 30 minutes de réserver un vol retour pour Paris ! Mais quand on voit le niveau de vos joueurs, c’est normal. Vous avez mal joué en première, on était fatigué en seconde, donc c’est logique. Dans l’ensemble, on a vécu un super Euro, un des 4-5 grands moments de notre histoire, on n’a aucun regret. Et dans les tribunes, on a représenté nos Boys in Green jusqu’au bout !

À Paris, à Bordeaux ou à Lille, vous avez le sentiment d’avoir été bien reçus ?

Avec la police française aussi, on a toujours eu de bons rapports. À Paris, ils nous ont dit que le travail était facile avec nous. Vraiment, ça s’est bien passé partout.

Gary : La réception que nous avons eue de la part des Français, partout, quelle que soit la ville, c’était génial, incroyable. Bon, à Lille, on a essayé de me voler deux fois mon sac, et encore, c’était des voleurs sympa. Même les voleurs sont gentils ! Ils te demandent : « Est-ce que je peux te voler ? Non ? Ok, cheers ! » (rires) En rentrant du stade Pierre-Mauroy, un taxi nous a pris à 6 dans la voiture, en mettant un de nous dans le coffre. Quand on a eu l’opérateur de la compagnie de taxi, on n’arrêtait pas de chanter « stand up for the French taxi ! » et lui aussi chantait au téléphone, à tout le réseau ! Avec la police française aussi, on a toujours eu des bons rapports. À Paris, ils nous ont dit que le travail était facile avec nous. Vraiment, ça s’est bien passé partout.

Vous avez remporté le titre officieux de meilleur public de l’Euro. Comment est-ce que vous expliquez ça ?Dave : Je crois qu’on est plutôt un bon peuple, on n’a généralement pas de problèmes à la maison. Et il y a un contrôle naturel entre nous, toujours quelqu’un pour te reprendre. À chaque fois qu’il y a un souci, il y a quelqu’un qui va arriver et dire : « On n’est pas anglais ! Arrête ! » Ciarán : Mais ça, c’est vrai aussi pour d’autres. Les Anglais, c’est moins de 1% qui fout le bordel, mais sinon tout se passe bien. Sauf que ce 1% ruine la réputation des autres, du coup la mentalité en face est différente. Par exemple, quand la police voit des Anglais arriver, elle est prête à charger. Pas avec les Irlandais. Alors qu’au final, ils sont cool aussi. Mais peut-être aussi que nous, on sait qu’on est mauvais sur le terrain, du coup les gens viennent juste pour boire des bières et faire la fête, sans pression.Gearóid : Et puis ça dépend de quoi on parle. On est des bons fans en dehors du stade, dans les rues, dans les bars, mais les Belges par exemple, ils étaient bien meilleurs que nous dans le stade. Plus de soutien, plus de chants, plein de chants. Ils étaient les meilleurs. Les Suédois étaient super sympas, mais pas des gros fans de foot, un peu comme les Irlandais. Les Belges sont super bons et ils connaissent le foot, tu peux vraiment parler avec eux.Gary : Les Irlandais ont environ 3 chansons, les Belges en ont 20 !

Justement, c’est quoi les 3 chants irlandais de cet Euro ?Gary : Le « Come on the boys in green ! » évidemment. Et le « Stand up for… » Le Twist and Shout aussi, des Beatles : « Shake it up baby now, shake it up baby, twist and shout… » À Bordeaux, je faisais le capo pour un groupe, j’étais là « shhht…Oooh… Shake it up baby ! SHAKE IT UP BABY ! » Il y avait des centaines de personnes qui reprenaient, c’était incroyable. Après le match contre l’Italie, c’est finalement devenu « Shake it up Brady ! » (du nom du buteur à la 85e, Robert Brady, ndlr).

Vous avez aussi repris le chant des Nord-Irlandais, « Will Grigg’s on fire » , mais pour Shane Long ?

Il y a cinq ans, pour un match à Sligo, on a tous retiré nos chaussures et on les a balancées sur la pelouse pour protester, parce que le club était en faillite. Pendant 45 minutes, on a chanté sans s’arrêter « The Bohs have got no money, we’ve got a bag of E’s »

Gary : Les Bohs chantaient déjà sur l’air de Freed from Desire il y a 5 ans ! Pour un match à Sligo, on a tous retiré nos chaussures et on les a balancées sur la pelouse. C’était pour protester, parce que le club était en faillite. Pendant 45 minutes, on a chanté sans s’arrêter « The Bohs have got no money, we’ve got a bag of E’s » ( « Les Bohs n’ont plus d’argent, on a plein d’ecstasy » ). Sur la route, des mecs avaient récupéré un sachet de pilules. Du coup, on n’a pas arrêté une seule seconde pendant 45 minutes avec cette chanson. Donc l’Irlande du Nord pense que ça vient d’eux, même en Irlande des journalistes ont dit : « S’il vous plaît, ne reprenez pas cet air du Nord » , mais on l’a lancé il y a 5 ans ! Il est sur Youtube, c’est vrai !


Cet Euro, c’était un vrai moment historique pour l’Irlande ?Gary : La victoire contre l’Italie est clairement un de nos plus grands matchs. Il y a Éire-Angleterre à l’Euro 1988 (première victoire irlandaise lors d’un tournoi majeur, 1-0). En 1990, ce n’est pas une victoire, mais on passe aux tirs au but contre la Roumanie et on va en quarts de finale. Puis contre l’Italie en 1994, au Giants Stadium de New York, grand moment (victoire en poules, 1-0). En 2002, Robbie Keane marque contre l’Allemagne à la dernière seconde, on fait match nul et finalement, on se qualifie pour les huitièmes. En revanche, 2012 on oublie (trois défaites contre l’Espagne, l’Italie et la Croatie). On a fait six tournois majeurs (3 CDM, 3 Euros), on a toujours eu un grand moment, sauf en 2012.

Vous ne chiffrez que quatre victoires en Coupe du monde ou à l’Euro, c’est ça ?Gary : Ouais, contre l’Italie, c’était notre 4e victoire en 28 ans ! Angleterre 1988, Italie 1994, Arabie saoudite 2002 (3-0), et cette année. C’est la première fois qu’on arrive en huitièmes à l’Euro. Clairement, la qualification, c’était notre meilleure nuit depuis 22 ans, l’Italie 94 de notre génération.

C’est quoi ces T-shirt « Fuck Delaney » que l’on pouvait voir un peu partout ?

Le salaire de Delaney, le président de la Fédé, est supérieur à ce que gagne le vainqueur du championnat.

Dave : C’est pour John Delaney, le patron de la FAI (Football Association of Ireland, ndlr). Ce mec ne prend que des mauvaises décisions et il s’en met plein les poches. C’est un des responsables les mieux payés du foot européen, alors qu’il ne dirige qu’une petite Fédération. Son salaire est supérieur à ce que gagne le vainqueur du championnat ! Gary : Tu dois payer 17 000 euros pour jouer en championnat, mais pour récupérer un prize money équivalent, tu dois au moins finir 4e. 5e ou en dessous, tu perds de l’argent juste pour pouvoir jouer. La majorité des équipes perdent de l’argent pour jouer, et lui gagne 360 000 euros par an. C’est plus que tous les prize money réunis, le champion gagne seulement 100 000 euros, et lui prend plus de 300 000 euros !

La situation économique des clubs est compliquée en Irlande ?Gearóid : Aucune équipe ne peut se permettre de signer des contrats de long terme. Tous les joueurs n’ont que des contrats d’un an, donc si tu as un bon joueur, tu es sûr de le perdre pour rien à la fin de l’année.Gary : Chez les Bohs, on a un joueur, Ayman Ben Mohamed, il est bon, mais on ne pouvait lui proposer qu’un contrat d’un an. Donc en novembre (la saison irlandaise dure de mars à novembre, ndlr), il pourra partir dans une équipe anglaise, et on n’aura rien.

Il est impossible de jouer en Irlande et d’être appelé en équipe nationale ?Gearóid : C’est rare d’avoir en sélection des joueurs qui ont un jour joué dans notre championnat.

Tous les bons joueurs irlandais partent jouer en Angleterre dès 14, 15 ans, ils ne débutent pas chez nous, donc…

C’est génial ce qu’il s’est passé dans cet Euro, notre parcours, mais ça risque de ne rien changer pour nous. Ils vont continuer à faire les mêmes choses, tout pour l’équipe nationale, la FAI ne s’intéresse pas au football local. Tous les bons joueurs partent jouer en Angleterre dès 14, 15 ans, ils ne débutent pas chez nous, donc… On a beaucoup de problèmes dans notre football. Une fois tous les 20 ans, on a un grand résultat, mais… Si tu regardes l’Islande, la Belgique, ils produisent beaucoup de bons joueurs, et ils ont un système qui leur permet de garder les meilleurs joueurs, au moins au début. Contre l’Italie, on avait 7 joueurs qui ont débuté en Irish League, c’était énorme. Mais évidemment, aucun joueur sélectionné ne joue en Irish League, jamais. Dave : Si tu joues en Irlande, et que tu vas en Angleterre, dans la semaine tu es sélectionné.Gary : On a un truc qui dit que l’avion pour l’Angleterre, c’est l’avion magique : quand tu le prends, tout d’un coup tu deviens un bon joueur et tu peux jouer pour la sélection !

Si l’équipe nationale est bien suivie, en revanche, le championnat local, ce n’est pas trop ça…Gearóid : On a 60 000 supporters ici, mais chaque semaine, tu n’as pas plus de 8 000 personnes au stade, sur l’ensemble du pays. Aux Bohemians, on a 1 000, 1 500 personnes de moyenne, et on est dans les plus grosses fréquentations. Il n’y a pas vraiment de culture stade en Irlande.Dave : Quand Sky Sports est arrivé, c’était fini pour nous. Tout le monde va au pub pour regarder la Premier League. Avant que n’arrive Sky Sports, les stades était bien plus remplis. Le derby contre les Rovers, tu avais 8 000 personnes.

Chaque semaine, 60 000 personnes partent d’Irlande pour aller voir des matchs en Angleterre. Du coup, nos stades ici sont vides.

Et maintenant, si on en a 5 000, c’est bien. En plus, chaque semaine, 60 000 personnes partent d’Irlande pour aller voir des matchs en Angleterre. Il n’y a aucun problème à supporter une équipe anglaise, mais si, à côté, tu ne suis pas notre championnat, si tu ne vas pas au stade, tu ne peux pas te plaindre de perdre contre l’Angleterre ! Dis-toi que la télé nationale a préféré payer des amendes pour ne pas diffuser des matchs de championnat. Ils voulaient l’équipe nationale, et le contrat stipulait que pour avoir les droits de la sélection, tu dois diffuser un certain nombre de matchs de championnat. Ce qui est bien. Mais ils ont préféré payer les amendes. Il aurait dû y avoir 30 matchs en 2014, ils en ont fait 8…

Après le « Fuck Delaney » , c’était quoi ces T-shirt « Fuck Schillaci » ? Gary : Ça vient d’Italie 90. Au second tour, Toto Schillaci marque le but vainqueur. Et il y a cette excellente comédie, The Van, sur deux potes à Dublin pendant la Coupe du monde. Ils ouvrent un petit commerce ambulant. Ça suit leur histoire, ils regardent les matchs au pub… Après le match contre l’Italie, le personnage principal apparaît avec ce T-shirt. C’est resté. (à voir à partir de 49’45 »)

Vidéo


Un dernier mot ?Gary : Deux : Fuck Delaney !

Et pour les Français ?Dave : On te pardonne. Tu veux une bière ?

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Propos recueillis par Eric Carpentier

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