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On a regardé Tunisie-Angleterre à la Boule rouge

Par Gad Messika
On a regardé Tunisie-Angleterre à la Boule rouge

Alors que la Tunisie s’inclinait sur le fil face à l’Angleterre, le match a eu le mérite de faire vibrer le restaurant La Boule rouge, dans le 9e arrondissement de Paris. Un établissement qui n’avait rien à envier à l’ambiance des meilleurs restaurants de l’avenue Habib Bourguiba, à Tunis.

À l’angle de la rue de la Boule-Rouge et de la rue Monthyon, la pression commence doucement à grimper. Cela fait 42 ans que La Boule rouge reçoit les expatriés tunisiens en mal du pays. Avant de prendre son service, Medhi, le barman de l’établissement, boit les paroles de Jean-Charles Sabatier entre deux bouchées de riz jaune accompagnées de leurs boulettes au cumin. Il était trop jeune, lorsque la Tunisie perdait contre l’Angleterre, en 1998, alors cette fois-ci, il aimerait que la donne change. « On aimerait bien repartir avec le 1-1, mais ce Kane, là, il est dangereux… » Faouzi s’occupe de la salle et se dépêche de faire sa mise en place, avant de recevoir les clients. À chaque aller-retour, l’homme qui ressemble étrangement à Aymen Abdennour pose un œil sur l’écran installé à l’entrée de l’établissement. Lui aussi a son avis sur la rencontre. Et autant dire qu’il est plutôt tranché. « Soit on fait un bon match, soit on fait comme l’Arabie saoudite et on se fait défoncer. » Le boss, Raymond, est dans l’arrière-salle, s’occupant de prendre les dernières réservations. Le voilà qui s’installe devant le téléviseur. Le service peut enfin commencer.

Des buts, du thon à l’harissa et de la pisse sur les pneus

Lorsque les hymnes nationaux retentissent, les lieux commencent à se remplir. Les habitués s’installent sur une longue table, les verres d’anisette se remplissent et les assiettes contenant menina (galette d’œuf et de pomme de terre), navets marinés et le classique combo thon à l’huile/harrissa commencent à débarquer sur les tables. Raymond serre des paluches et balance son pronostic à la volée. Il a placé 50 euros sur le match nul et il a confiance en son équipe. À 85 ans, il connaît un peu le foot. Il a même vu les plus belles équipes jouer devant ses yeux. D’ailleurs, l’une d’entre elles tient une place particulière dans son cœur : le Brésil 1970, d’un certain Pelé. Alors, quand Kane ouvre la marque, le boss est emmerdé, mais reste serein en régalant d’anecdotes. « À l’époque, j’avais fait quelque chose que jamais personne n’a fait. J’ai joué trois matchs en une journée. Un match en cadet à 9h30. Un autre, en junior à 13h30 et le troisième, le médecin avait dit que je pouvais jouer à 16h. »

La rencontre s’équilibre, et Raymond, tel un bon chef d’orchestre, donne des consignes à ses hommes d’un revers de main. À la demi-heure de jeu, Kyle Walker concède un penalty pour les Aigles de Carthage. Tout l’établissement bondit. Sassi transforme le penalty, c’est la première fois que le boss arrache un sourire. « On joue trop bas, mais, pour l’instant, ça tient… » lâche-t-il à la mi-temps. Juste le temps de s’envoyer une anisette et de raconter une nouvelle anecdote qui sent bon le bled. « Un jour, nous faisions du car pour aller jouer un match. Il faisait chaud sur la route entre Nabeul et Sousse. Donc quand on voulait faire pipi, le chauffeur nous disait de faire sur les roues. On pleurait de rire ! »

René le chat noir

Alors que la seconde période commence et que les Anglais remettent le pied sur le ballon, Raymond remonte une liste des personnalités qui sont rentrées dans son restaurant : Nicolas Sarkozy, Charles Aznavour ou bien l’ancien attaquant du PSG, Fabrice Pancrate, « un homme qui courait vite et qui mangeait vite, aussi » . Les différents couscous et complets poissons se baladent de table en table, mais Raymond ne se laisse pas déconcentrer. La fin de rencontre est tendue, et les hommes de Nabil Maaloul se recroquevillent en défense. Marcus Rashford, entré un peu plus tôt sur la pelouse, fout le feu dans la défense tunisienne. « Ils vont le laisser faire, celui-là ? Allez, allez, mets le pied, va ! » balance le boss. À dix minutes de la fin, les nerfs sont à vif. Raymond, devant son poste, s’improvise coach de la sélection. « Il faut tenir. Comme on disait à l’époque, il faut mettre les 11 de l’Inter ! »

René, un habitué des lieux, passe fumer une clope à l’extérieur, verre de whisky dans la main. « Ce n’est pas fini, va, fais un petit tour, va ! Espèce de chat noir ! » s’exclame Raymond. C’est vrai qu’ici, le René traîne une sale réputation. « Je sais pas d’où sort cette malédiction, mais à chaque fois, c’est sur moi que ça tombe. Et ça fait 25 ans que ça dure ! » Ce dernier avait vu le coup venir. Durant le temps additionnel, Harry Kane plante son doublé pour une victoire des Three Lions. Le patron, excédé et déçu, en remet une couche sur le pauvre René, qui voulait juste s’en griller une tranquillement. « Ahhhhh c’est de ta faute René ! Rien que de ta faute ! T’es un chat noir, y a rien à dire ! Warda, warda, tu ne viendras plus jamais regarder le match. »

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