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Ayoub El Kaabi, un charpentier devenu goaleador
Artisan majeur du parcours de l’Olympiakos jusqu’en finale de Ligue Europa Conférence, qui se jouera ce mercredi soir contre la Fiorentina, Ayoub El Kaabi en est à 32 buts cette saison ! L’apothéose d’une histoire unique.
« Le chemin a été, on va dire, un peu tumultueux. » Hervé Renard sait de quoi il parle. Quand il regarde la folle saison d’Ayoub El Kaabi, il sait. Il sait que de tels chiffres étaient possibles. Mais peut-être pas à ce point. À 30 ans, l’attaquant marocain peut soulever la Ligue Europa Conférence ce mercredi soir en cas de victoire de son Olympiakos sur la Fiorentina. Une finale qui, hasard, se déroule à l’AEK Arena, l’antre de l’AEK Athènes. Soit à quinze kilomètres, à peine, de l’enceinte d’El Kaabi et de l’Olympiakos, là où le Marocain a tant fait mal ces derniers temps.
Son bilan avant, peut-être, un bouquet final : dix-huit pions en championnat grec, cinq en Ligue Europa et dix en Ligue Europa Conférence, compétition dans laquelle les siens ont été reversés (troisièmes du groupe A de C3 avec West Ham et Fribourg devant eux). Surtout, c’est depuis février dernier qu’El Kaabi est absolument en feu. Onze buts en Grèce, et surtout dix en huit matchs de C4 ! Dont cinq face à Aston Villa en demi-finales (trois à l’aller, deux au retour). Sans compter son importantissime doublé en huitièmes de finale pour l’incroyable renversement de situation face au Maccabi Tel-Aviv : défaite 1-4 à l’aller en Grèce… victoire 6-1 (après prolongation) au retour. Bref, une folie !
« Je voyais ma mère et mon père se battre pour nous nourrir »
C’est un peu l’histoire de la vie d’Ayoub El Kaabi. Tout peut s’accélérer, d’un coup, comme ça. Sans que lui-même ne l’ait vraiment anticipé. Natif de Zagora, au sud du Maroc, dans le désert, il grandit dans un bidonville de Casablanca, Derb Mila. « Puis mes parents ont déménagé à Mediouna, deux quartiers populaires, expliquait-il dans un entretien pour la FIFA. En rentrant de l’école, nous posions nos cartables par terre pour jouer dans la rue. Tout tournait autour du ballon. C’est ainsi que ma passion pour le football a commencé. » Sauf qu’il a dû rapidement venir en aide aux siens, le monde pro étant encore très loin. « Notre situation financière était un peu difficile, avouait-il au site de l’UEFA. Je voyais ma mère et mon père se battre pour nous nourrir. J’ai pu étudier à l’école, mais l’été, je travaillais pour aider ma famille. Notamment mon père, qui était dans le bâtiment. Le travail que j’ai effectué à l’époque a fait de moi un homme. »
Vendeur de sel, charpentier, agriculteur, il n’a jamais rechigné : « Charpentier, c’est un travail honnête. On apprend la patience. C’est un métier vraiment formidable, qui englobe à la fois l’art et la créativité. » Coéquipier et camarade de chambre à Hatayspor, en Turquie, Simon Falette a appris à connaître un homme « un peu à l’histoire spéciale. Il a travaillé comme Monsieur et Madame tout le monde, notamment dans l’agriculture, dans des situations pénibles. Mais il a continué de faire du foot sa passion. »
Un rêve, toujours, dans un petit coin de sa tête. Celui qui a d’abord démarré défenseur a 21 ans quand il signe un premier contrat avec le Racing Club de Casablanca (RAC), loin d’être l’égal du Wydad ou du Raja. Il ne s’impose pas dans ce club de D2 et part en prêt. Jusqu’à l’éclosion, ou plutôt l’explosion. « Je suis arrivé au Maroc en 2016, se souvient Hervé Renard, ancien sélectionneur des Lions de l’Atlas, qui dirige actuellement l’équipe de France féminine. On m’a dit qu’il marquait beaucoup… » Beaucoup ? 25 pions en 33 matchs. Avec même un CHAN (Coupe d’Afrique des nations pour les joueurs locaux) 2018 de haute volée avec 9 buts et un trophée au bout. Une machine.
De la D2 marocaine à la Coupe du monde
Il termine donc meilleur buteur de D2 en mai 2017. Treize mois plus tard, il est titulaire pour l’entrée en lice du Maroc lors de la Coupe du monde en Russie. Vertigineux. Mais il ne répond pas aux attentes face à l’Iran (défaite 0-1). « Il ne concrétise pas une ou deux occasions, reconnaît Hervé Renard, qui n’a pas hésité à le lancer. Il n’a pas été épargné par les critiques. Comme il n’était pas très connu, les journalistes n’ont pas été tendres avec lui… et avec moi ! » Une trop grande responsabilité sur ses épaules à ce moment ? Fayçal Fajr, coéquipier en sélection et en Russie, se souvient : « Il passait du championnat marocain à une Coupe du monde ! Peut-être a-t-il eu cette pression. » Sa chance est passée. Il retrouve le banc du Maroc pour la suite de la compétition.
Qu’importe, sa carrière est lancée. Et la Chine lui offre un gros contrat. El Kaabi se retrouve à Hebei (transfert à 6 millions d’euros), au milieu d’Ezequiel Lavezzi, Javier Mascherano ou Hernanes. Inespéré quand on voit d’où il vient. De quoi mettre un bon pécule de côté. Dylan Saint-Louis, coéquipier en Turquie, n’en revient toujours pas : « C’est la ligne du parcours qui est un peu folle, constate-t-il. Ça n’arrive pas beaucoup qu’un joueur, boum, d’un coup… Franchement, c’est une belle histoire. »
Moins en verve en Chine, il rentre au Maroc un an plus tard, toujours à Casablanca, mais cette fois chez le grand Wydad. Dix-huit buts en championnat (2020-2021), autant en D1 turque avec Hatayspor, qu’il rejoint à l’été 2021. Le compteur but tourne alors qu’une nouvelle Coupe du monde se présente pour lui. Sauf qu’il n’est pas appelé par Walid Regragui pour le mondial qatari. « Il était un petit peu atteint, révèle Simon Falette. Ça l’a blessé. Il aime beaucoup sa patrie et est fier d’être marocain. »
Tremblement de terre, Cristiano Ronaldo et modèle
Comme pour dire que rien n’est simple, ni linéaire dans son parcours. Derrière, il subit de plein fouet le terrible tremblement de terre en Turquie en février 2023. Son club de Hatayspor ne peut plus jouer, lui doit partir, direction le Qatar, pour finir la saison. Simon Falette était avec lui. Il raconte : « Tout est cassé, tu ne peux pas partir du pays car les routes ne sont pas praticables, détaille l’ancien défenseur de Brest et de Metz. Ça a fait beaucoup de dégâts. Mais Ayoub était déterminé à aider les gens. Ça l’a marqué. […] Sa capacité à rebondir, chez lui, c’est formidable. Mais ce qui m’a choqué, c’est son calme. Il ne se plaint jamais. »
Le voici donc de nouveau dans la lumière. Mais cette fois en Europe. Et ça pourrait bien tout changer pour lui, pour donner des idées à des clubs de championnats plus huppés encore. Question sélection, il a depuis retrouvé les Lions de l’Atlas et Walid Regragui (10 buts en 32 sélections pour lui). Pour ceux qui l’ont suivi, on est loin d’un simple hasard. Dylan Saint-Louis : « Très franchement, ce qu’il se passe, c’est normal ! Je ne suis vraiment pas surpris », promet l’ancien de Saint-Étienne. « Ce qui lui arrive m’inspire du respect, loue Hervé Renard. À force de volonté… Il n’a jamais rechigné devant les efforts. Il est très généreux, il s’est battu, il ne le doit qu’à lui-même. Ce qu’il fait est fantastique. Il est exemplaire. » Tous nos témoins ont voulu insister, l’un après l’autre, sur le côté travailleur d’Ayoub El Kaabi, qui a toujours été inspiré par Cristiano Ronaldo. Sûrement pas un hasard quand on connaît l’éthique de travail du quintuple Ballon d’or. « Au Maroc, c’est difficile de s’en sortir, fait remarquer Fayçal Fajr. Quand tu as cette chance, fonce, travaille, continue, double et redouble d’efforts. Lui vient d’en bas. Même pro, il est encore amateur dans sa tête : tous les jours, il doit et veut prouver. Il a besoin de confiance. »
Au-delà du buteur, c’est surtout l’humain que Dylan Saint-Louis veut vraiment louer : « C’est un homme fantastique. Il est très humble. Quelqu’un de bien, en fait. Le type de personne à qui tu n’as rien à reprocher dans ses attitudes en dehors ou sur le terrain. C’est une crème ! » Et Simon Falette de le hisser en exemple pour les autres : « À Hatayspor, j’ai vu quelqu’un qui avait faim. Cet acharnement, cette détermination… Il a toujours fait des sacrifices pour sa famille. J’ai beaucoup de respect pour lui. Il est parti de rien. Aujourd’hui, il récolte les fruits de son travail. Il n’y a pas de hasard. C’est un message : il faut toujours croire en ses rêves, toujours travailler et aller chercher ce qu’on veut. » Comme un sacre en Coupe d’Europe, par exemple.
Par Timothé Crépin
Tous propos recueillis par TP, sauf ceux d’Ayoub El Kaabi