On vous a un peu perdu de vue après votre départ de l’AJ Auxerre en 2013. Pourquoi avoir choisi la Grèce ?
J’y suis allé en m’appuyant sur l’expérience positive qu’avait eue Djibril Cissé au Panathinaïkos. Donc je me suis dit pourquoi ne pas aussi tenter l’aventure. Mais finalement, je n’ai pas eu la même réussite que lui.
L’Olympiakos a survolé les débats l’année dernière, mais à quelle hauteur situez-vous le niveau global du championnat par rapport à vos nombreuses expériences (France, Angleterre, Espagne, Écosse, Qatar…) ?
Le niveau du championnat est globalement assez faible. Il y a juste deux grandes équipes, le Pana et l’Olympiakos, qui sont vraiment bien au-dessus du reste. Sinon, tous les clubs se valent. Après, la Grèce est aussi connue pour ses supporters. Je n’ai jamais eu de problème avec eux, que ce soit sur le racisme ou autre chose. À vrai dire, quand on joue, il n’y a pas de supporters. Les stades sont presque vides.
La Super League se traîne une réputation de championnat corrompu. Qu’en est-il réellement ?
Tout est corrompu ! Il y a de gros soucis, surtout à Levadiakos. Pour vous donner une idée, sur 18 matchs à l’extérieur l’année dernière, on n’a pris qu’un seul point, pourtant on a réussi à finir 9es. Moi, je ne comprends pas ! Dans quel autre championnat on peut voir ça ? Un club qui a un parcours plus que négatif à l’extérieur et qui termine dans la première partie de tableau … C’est invraisemblable. Ils font beaucoup de paris là-bas sur les rencontres. Les matchs sont achetés grâce aux paris truqués. Je n’arrive pas à comprendre comment une équipe qui n’a pris qu’un seul point à l’extérieur peut finir 9e ! Ce genre de choses n’arrive nulle part ailleurs. L’UEFA ne fait pas attention à la Grèce ! Les matchs ne sont diffusés qu’au pays, voire en Turquie. Certaines rencontres se jouent jusqu’à la 99e minute … C’est n’importe quoi. L’UEFA s’en fout, pourtant, ce sont des situations qui ne devraient pas exister dans le football. Il y a des joueurs de mon équipe qui ont fait des courriers à l’UEFA, mais bon, ça ne sert à rien.
Pourquoi ?
Parce qu’il me semble que dans la loi, quand un joueur n’est pas payé après 90 jours d’activité, il est libre et peut faire un recours à l’UEFA. Et dès qu’un président de club reçoit un courrier de l’UEFA, il s’empresse de payer un mois aux joueurs en cause pour ne pas être hors la loi. Et il fait ça à chaque fois, c’est pour cela que la situation s’éternise. Quand tu veux te plaindre, les dirigeants te disent qu’ils vont mentir, ils te le disent en face. C’est leur parole contre la tienne. Les agents ne travaillent pas pour les joueurs, mais pour les clubs. Et au moindre litige, ils se barrent, sans dire un mot.
Jean-Michel Aulas, vous croyez qu’il a un garde du corps quand il se balade ? Non
Les magouilles résident seulement autour des matchs ?
Les matchs sont truqués, mais il n’y a pas que ça. Les contrats des joueurs le sont aussi ! Les dirigeants font des contrats au black par exemple, en plus des contrats homologués. Et quand tu veux porter l’affaire auprès des instances européennes, cela ne mène à rien, puisque ces contrats n’existent pas aux yeux du football professionnel. Et à la fin, en termes de salaire, tu touches le tiers de ce que tu dois recevoir et tu cherches à te barrer le plus vite possible, parce que tu n’en peux plus, tu es à bout de forces. En plus de tout cela, il y a la peur, qui est bien présente. Et le président se fout de tout ça, il passe à autre chose, lui. D’ailleurs, je crois qu’il a déjà été suspendu 3 ans pour trafic de matchs, je ne sais même pas s’il n’a pas été emprisonné.
Il a des gardes du corps, vous croyez que ce sont des choses normales, vous ? Jean-Michel Aulas, vous croyez qu’il a un garde du corps quand il se balade ? Non. Lui, il en avait quatre ou cinq et il portait une arme en permanence, à la vue de tous. Elle était posée sur son bureau. C’était le seul à en avoir une. Tous les joueurs avaient peur de lui parler.
Et cette histoire de salaires non versés ?
En Grèce, les présidents ne vous payent pas, il faut faire une croix sur son salaire. En un an, j’ai touché à peine la moitié de la rémunération qui était inscrite dans mon contrat lors de la signature. Quand j’avais la chance d’être payé, je devais aller à la banque chercher mon chèque, au lieu de me rendre dans le bureau du président. Il n’y a qu’un homme qui décide, il a tous les pouvoirs. Le club était géré comme une mafia. Je ne veux pas faire de vendetta, seulement envoyer un signal d’alerte.
Vous avez pu récupérer l’argent que Levadiakos vous devait ?
Non non, du tout. En fait, je n’ai même pas cherché à le récupérer, je voulais juste tourner la page et quitter le pays, car toute cette histoire m’a fatigué. Il faut vraiment que les jeunes joueurs fassent attention avec le football grec.
Vous étiez mieux traité que les autres joueurs ?
De mon côté, je n’étais pas le pire, ça c’est sûr. Je pense qu’il avait un petit peu peur de mon nom. J’ai été international français, donc j’étais plus tranquille que les autres joueurs. Mais pour mes anciens coéquipiers, la situation était bien plus grave, ils ont des familles et n’étaient pas payés. Par exemple, pour les vacances de Noël, plusieurs joueurs touchaient seulement 100 euros. Et 100 euros sur 3 mois, c’est dur, vous savez. Je me mettais à leur place et j’avais mal pour eux. C’est très difficile de vivre ça. Il y a des gars qui ont été obligés de casser leur contrat et de partir. Parfois, lorsque certains étaient blessés et ne jouaient pas, ils n’étaient pas payés. C’est très triste. À mon sens, il n’y a que l’Olympiakos et le Pana qui sont fiables. Pour le reste, il y a parfois quatre ou cinq mois de retard pour les salaires.
Tu n’iras nulle part, parce que je vais te tuer, avec ta femme et tes enfants. Tu ne vas pas revoir ta famille
Qui gère toutes ces combines ?
C’est entre les présidents que tout se déroule, en coulisses. Le président de Levadiakos est un guignol ! C’était la mafia totale dans le club. Beaucoup de joueurs de l’équipe étaient menacés. Il m’a menacé plusieurs fois personnellement. J’ai eu peur sans avoir peur, quoi.
Vous pouvez nous en dire plus ?
Il y a eu des menaces de mort à mon égard, de la part du président. Avant de jouer un match, j’ai reçu des gens chez moi, des voisins, qui m’ont demandé de prendre un carton rouge. Ils avaient fait des paris sportifs et m’ont proposé de me verser une partie des bénéfices en échange. Et le président, qui était au courant depuis le début, m’a convoqué la veille du match en question, pour me demander si j’avais accepté le deal. Moi, je lui ai répondu que j’étais quelqu’un de réglo, que je ne voulais pas faire ça et que s’il pensait que j’étais un joueur corruptible, je pouvais rentrer chez moi et quitter le club. À ce moment-là, il m’a répondu : « Tu n’iras nulle part, parce que je vais te tuer, avec ta femme et tes enfants. Tu ne vas pas revoir ta famille. » Mais au final, j’ai joué le match, on a perdu, et je suis rentré chez moi. Je pense qu’il (le président) veut tester les joueurs, leur faire peur. C’est dramatique. Ça montre de quoi ils sont capables, ce n’est plus du football. Tout cela n’a rien à voir avec ce que j’ai pu vivre en France ou en Angleterre par le passé. Même l’Afrique est dans une meilleure situation que la Grèce au niveau du football. C’est ahurissant.
Vous avez été averti de la situation en Grèce avant votre arrivée ?
Non, je n’avais eu aucun écho. Cet été, j’ai croisé pas mal de joueurs qui étaient à l’UNFP, et qui ont essayé de tenter l’aventure en Grèce. Pendant quelques semaines, j’ai pu parler avec Gennaro Bracigliano. Il m’a expliqué que l’UNFP donne désormais certaines consignes aux footballeurs qui se dirigent vers la Grèce. Mais c’est insuffisant. Pour nous, qui avons connu le haut niveau, c’est très compliqué à accepter. J’ai surtout souffert du manque de professionnalisme.
Comment avez-vous fait pour quitter Levadiakos ?
J’ai dû prendre un avocat et j’ai pu, grâce à son aide, quitter le club. Je veux donc avertir tous les jeunes joueurs, comme ceux qui sont libres, de ne pas aller y jouer. Pour quitter le pays, avec mon avocat, on a commencé les démarches au mois de mars ou d’avril dernier.
Vous êtes le seul à avoir quitté l’équipe cet été ?
Non, il y a eu beaucoup de départs. Vous savez, au club, ils prennent une quinzaine de joueurs pendant l’intersaison, qui partent l’été suivant, car soit ils ne sont pas payés, soit ils ne veulent pas aller plus loin, sportivement parlant.
Pourquoi avoir choisi la Pologne finalement ?
L’entraîneur du Korona Kielce parle français (Ryszard Tarasiewicz, qui a joué pour Nancy, Lens et Besançon de 1990 à 1995, ndlr). Le niveau est bien plus élevé qu’en Grèce. Quand vous voyez que le Legia Varsovie a battu dans le jeu le Celtic deux fois lors de la double confrontation en Europa League, ça donne une idée du niveau. Les stades sont remplis, aussi. En Pologne, je ressens le football que j’ai connu avant, aux entraînements, en matchs. Ça m’avait manqué la saison dernière.
C’est votre dernier challenge ?
Non, vous savez, j’ai faim, j’ai envie de jouer au football, je vais essayer de faire une très bonne saison et puis on verra où cela me mène. En tout cas, j’ai été très bien accueilli ici, en Pologne. J’ai l’impression d’être au RC Lens, car les couleurs sont les mêmes. Et même si, en ce moment, on est mal classés, c’est un club qui vit, avec un très bon coach. Je suis très content d’être ici, je retrouve le plaisir de jouer au football, que j’ai connu lorsque je suis revenu à Auxerre.