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Non, Granit Xhaka n’est pas si nul que ça

Par Quentin Jeannerat
Non, Granit Xhaka n’est pas si nul que ça

Arsenal a un nouveau capitaine démocratiquement élu par le vestiaire et adoubé par son coach Unai Emery : Granit Xhaka. Une décision qui a provoqué l'incompréhension de nombreux fans, lassés des erreurs grossières et des lacunes du milieu suisse. Mais alors, comment expliquer un tel écart de perception ?

La scène se déroule à l’Emirates Stadium le 1er septembre dernier, à la 39e minute du North London Derby, l’affiche la plus attendue de la saison par les fans d’Arsenal comme de Tottenham. Au point de corner, David Luiz tente une relance au sol peu inspirée vers Nicolas Pépé, qui attaque trop mollement la gonfle et se la fait souffler par Christian Eriksen. Ce dernier mystifie deux adversaires avant de mettre un excellent ballon dans la surface de réparation vers Son, laissé entièrement seul par la défense d’Arsenal. Et notamment David Luiz, coupable d’une passivité scandaleuse.

Lancé à pleine vitesse, Granit Xhaka fauche le Coréen d’un tacle d’une maladresse assez hallucinante. Penalty, et 2-0 pour Tottenham juste derrière. Si le match nul arraché par les Gunners sera suffisant pour faire oublier l’oisiveté de Pépé et David Luiz sur le 2-0, Granit Xhaka ne sera lui pas épargné par les fans sur les réseaux sociaux, qui ne manquent jamais une occasion de lui tomber dessus. On l’a encore vu lors du match face à Manchester United (1-1) lundi dernier, où une photo du Suisse qui semble éviter la frappe de McTominay avant qu’elle ne finisse au fond lui a à nouveau valu des torrents d’insultes. Le ballon ayant été dévié au départ par Sokratis – un des angles de caméra le montre -, l’international suisse n’avait pourtant aucune chance d’estimer correctement la trajectoire du ballon. Et il venait de sprinter 80 mètres comme un dératé pour aider sa défense sur le contre mancunien…

« Mon père ne m’a absolument jamais félicité »

Car la passivité, le milieu de terrain d’origine albanaise ne connaît pas. Jamais. Il a été élevé depuis tout petit dans cette exigence absolue vis-à-vis de lui-même par son père, un homme endurci par un passé de prisonnier politique durant la guerre de Yougoslavie. « Est-ce que je me mets trop de pression ? Oui. Et c’est de pire en pire, déclarait le milieu suisse au Guardian en 2017. Je n’ai aucune peine à encaisser les critiques, particulièrement quand elles sont justifiées, et c’est parce que mon père ne m’a absolument jamais félicité. Il l’a fait volontairement, pour que je garde les pieds sur terre. »

Granit Xhaka n’est donc pas du genre à se cacher. Pas du genre à attendre qu’un équipier vienne intervenir à sa place lorsque le danger menace. Pas du genre non plus à se laisser manquer de respect. Inévitablement, lorsqu’on a été biberonné à un tel niveau d’exigence, on franchit parfois les limites. Son grand frère Taulant est d’ailleurs lui aussi un grand collectionneur de cartons jaunes, les suiveurs du FC Bâle en savent quelque chose.

Telle une machine à vapeur sous très haute pression, Granit Xhaka est toujours au bord de l’explosion. La plupart du temps, le carton jaune fait office de soupape (le Suisse a été averti 41 fois en 141 matchs avec les Gunners). Mais parfois la pression est trop forte, et les conséquences sont plus lourdes : le milieu de 27 ans a été expulsé dix fois dans sa carrière, et a – selon Opta – provoqué cinq penaltys en Premier League depuis qu’il a traversé la Manche à l’été 2016 ; seul José Fonte fait « aussi bien » . Dans le registre des statistiques qui illustrent les raisons de son impopularité auprès des fans, on peut également citer celle-ci : toujours depuis le début de la saison 2016-2017, Xhaka a commis six erreurs menant directement à un but, un record là aussi.

Record de passes sur une saison de Premier League

Toujours est-il que quand elle n’explose ni ne déraille, une machine à vapeur abat un sacré travail. Outre son bilan – honorable pour un milieu défensif – de 11 buts et 16 passes décisives en 141 apparitions sous le maillot d’Arsenal, d’autres chiffres sont là pour le confirmer : depuis août 2016, Xhaka est – de très loin – le Gunner qui a touché le plus de ballons en Premier League : 9569 contre 6519 à son dauphin Nacho Monreal. Idem en matière de ballons récupérés : 722 pour le Suisse contre 460 au premier des viennent-ensuite, là aussi Monreal. Lors de la saison 2017-2018, il avait distillé 3117 passes, plus que n’importe qui d’autre dans les cinq grands championnats, et un record dans l’histoire de la Premier League.

Ces chiffres traduisent une implication de tous les instants et un sens du devoir et du sacrifice qui expliquent pourquoi aucun coach ne l’a jamais mis sur le banc. On peut même estimer que ses stats font de Xhaka le joueur d’Arsenal le plus influent sur les trois dernières saisons. Et à ceux qui s’insurgent de le voir porter le brassard de capitaine du club londonien, on rappellera qu’il était capitaine du Borussia Mönchengladbach de Lucien Favre, et qu’il occupe également ce rôle en équipe de Suisse. Outre son leadership, l’ancien Bâlois est également à un vestiaire ce que la fécule est à la fondue – valaisanne et non savoyarde donc : le liant. « Son comportement est toujours exemplaire et il s’entend bien avec tout le monde, écrit Amy Lawrence, spécialiste d’Arsenal pour The Athletic. Dans chaque vestiaire pro, les joueurs se regroupent par affinités, classe d’âge ou sur la base d’une langue maternelle commune. Xhaka a cette capacité de passer naturellement d’un groupe à l’autre. »

Des défauts qui tapent sur les nerfs

La perception de Granit Xhaka par les fans est également biaisée par la qualité des joueurs qui l’entourent sur le terrain : Arsenal n’a pas la défense la plus rassurante de Premier League, ni d’ailleurs les milieux de terrain les plus intraitables. Alors quand une sentinelle – pas très rapide au sprint qui plus est – ne peut s’empêcher de tenter de compenser les errements de tous ceux qui l’entourent, elle s’expose à de grossières erreurs. D’autant que Xhaka est un piètre tacleur – Arsène Wenger lui avait même conseillé en 2017 de défendre un maximum en restant sur ses deux jambes, estimant qu’il maîtrisait mal la technique du tacle.

Des défauts qui sautent aux yeux et tapent sur les nerfs contre des qualités – ses relances et frappes de sa merveille de pied gauche exceptées – qui se révèlent dans l’intimité du vestiaire ou lors de l’analyse vidéo du match à froid, hors du contexte émotionnel du stade : voilà probablement la clé de l’imbroglio Granit Xhaka, le nouveau capitaine d’Arsenal élu démocratiquement.

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