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Nicolas Seube : « Ici à Caen, les gens s’en foutent qu’on joue comme le Barça »

Propos recueillis par Hugo Lallier

Appelé en décembre à sauver un candidat à la montée qui sombrait dans les eaux profondes de la Ligue 2, Nicolas Seube a redressé la barre du navire caennais. Malherbe joue désormais la course aux barrages et pratique un football que le Francesco Totti normand veut identitaire.

Nicolas Seube : « Ici à Caen, les gens s’en foutent qu’on joue comme le Barça »

Début décembre, au moment de ton arrivée, le Stade Malherbe flirtait avec la zone rouge (3 points d’avance sur Troyes, 17e) et est désormais un candidat à la montée, quel est secret de cette métamorphose ?

Déjà, je suis novice dans le métier. Je suis arrivé avec beaucoup d’humilité, mais avec des convictions fortes liées à mon passé de joueur et à ma connaissance du club. L’idée était de ne laisser personne au bord du chemin. L’enjeu lorsqu’on reprend un projet en cours de saison est de comprendre pourquoi certains joueurs ne s’expriment pas à la hauteur de leur potentiel. Ici, certains joueurs sentaient que la porte était fermée, il fallait leur ouvrir. J’ai cherché à impliquer tout le monde.

Est-ce donc pour cette raison que tu as utilisé 25 joueurs différents depuis ta prise de fonction et que tu n’alignes presque jamais deux fois le même onze de départ ?

C’est d’abord pour répondre à la situation dans laquelle était le club, avec des joueurs qui manquaient de confiance. Il fallait leur montrer que rien n’était figé, que les places n’étaient pas octroyées selon un statut. Dans mes choix, j’aime m’appuyer sur ce que je vois la semaine à l’entraînement et m’adapter à ce que devrait proposer l’adversaire.

Quels détails examines-tu au moment de trancher en faveur de la titularisation d’un joueur plutôt qu’un autre ?

Ce qui fait qu’un joueur se rapproche toujours du très haut niveau, c’est sa capacité mentale à conserver l’exigence et la concentration au quotidien. J’y suis attentif. L’autre donnée est athlétique. En fonction de la fraîcheur du garçon.

Surtout que tu as un jeu beaucoup basé sur l’intensité…

Oui, c’est la matrice de mon football. Lorsque je dirigeais le centre de formation, j’ai eu la chance de faire un stage d’observation au RC Lens. Le football pratiqué par Franck Haise me parle. Dans toutes les séances, il y avait de l’intensité, beaucoup d’intensité. Le football que pratique cette équipe le week-end est le résultat de ce qu’ils produisent la semaine. Je me suis inspiré de cette constante-là. Quand on regarde l’équipe de Jürgen Klopp, on se dit qu’à l’entraînement, les mecs ne doivent pas être là pour faire des massages et du footing, ça doit envoyer du steak. L’entraînement sert à rendre possible le football que tu veux pratiquer.

La priorité de l’entraîneur est de rendre son joueur plus intelligent. L’amener à mieux comprendre le jeu. Rien ne remplace l’œil de l’entraîneur.

Cette intensité, comment se matérialise-t-elle au quotidien, dans chaque séance d’entraînement ?

Je ne crois pas au travail monorythmique durant deux heures. Je peux donc proposer des séances très courtes aux joueurs, mais énergivores. Le lundi, on travaille sur la conservation du ballon et la maîtrise collective. Le mardi, on bascule sur du travail individuel en cherchant à développer les qualités de duel, de force, d’appui et de vitesse. Le mercredi, on travaille sur grand espace, avec du travail tactique. Le jeudi, on planche plutôt, à nouveau, sur du travail individuel, mais plutôt sur des aspects techniques, avec de la finition, des situations de gestion d’espace défensif. Le vendredi sert à travailler les problématiques que l’on veut poser à notre adversaire, le lendemain. Cette séance sert à appuyer sur ses éventuelles faiblesses. On travaille les coups de pied arrêtés, des schémas de sortie de balle…

Quel regard portes-tu sur les statistiques et la vidéo ?

Avec mon staff, on insiste beaucoup sur la vidéo. Elle apporte des billes aux joueurs, pour mieux réfléchir le jour du match. En connaissant les intentions de l’adversaire, ils peuvent plus facilement anticiper, réfléchir, s’adapter. Les nouvelles générations ont grandi avec l’image et sont friandes de ça. Mais cela ne doit jamais empêcher le joueur de réfléchir par lui-même…

Ce qui signifie ?

Il ne doit pas attendre après le coach pour résoudre un problème sur le terrain. Les données peuvent d’ailleurs écraser notre travail. Si mon milieu de terrain me dit : « Coach, j’ai fait un bon match, j’ai réalisé 30 courses à haute intensité, et j’affiche un taux de 96 % de passes réussies », je dois être capable de lui répondre : « Mon grand, tu n’as jamais accéléré au moment opportun, tu as démarré le pressing trop tôt, tu n’as jamais joué vers l’avant. » J’insiste : la priorité de l’entraîneur est de rendre son joueur plus intelligent. L’amener à mieux comprendre le jeu. Rien ne remplace l’œil de l’entraîneur.

 

Ce jeu-là a-t-il évolué depuis que tu as arrêté ta carrière ?

Oui, il va beaucoup plus vite. Il y a beaucoup plus de joueurs avec des qualités de force, de vitesse et d’appui. Si on prend un match de la Coupe du monde 1970 et une rencontre de la dernière édition 2022, on va voir à quel point le jeu sous pression a été démultiplié. Les joueurs qui tutoient le très haut niveau comme la Ligue des champions doivent voir vite, réfléchir vite et exécuter vite. C’est ce vers quoi nous devons tendre, mais nous en sommes encore très très loin.

Le sentiment d’appartenance multiplie les capacités du joueur. J’en suis vraiment convaincu. Donnons la chance aux produits locaux !

L’autre donnée qui a changé dans le football moderne, c’est la part toujours plus grande de jeunes joueurs, voire d’adolescents dans les effectifs. C’est d’autant plus vrai dans un club formateur comme Malherbe…

Oui, c’est vrai ! Et l’homme de 16, 17 ou 18 ans ne vit pas les mêmes réalités qu’un père de famille. Il sort à peine des études. Il n’a pas les mêmes aspirations ni les mêmes codes. On doit s’y prendre différemment. Certains jeunes ont des étapes importantes à franchir, avant de basculer sur une place de titulaire chez les pros. Moi, je ne regarde pas l’âge, comme disait Mbappé. Il a raison : on peut très bien être titulaire à 17 ans comme à 40 ans. C’est la performance qui guide les choix.

Tu as aussi été directeur du centre de formation. Beaucoup de joueurs qui sont devenus professionnels sous ton mandat étaient normands. Est-ce le fruit d’une politique ?

66 % des joueurs qui parviennent à accrocher un contrat professionnel sont issus de leur région(1). Délocaliser un gamin dans son parcours de formation, c’est lui donner moins de chances de réussir. Le problème est que l’on regarde le classement de l’équipe première, mais il n’est pas garant de l’environnement de formation. Il faut arrêter de se mentir : tous les centres français travaillent bien. Si tu réussis dans ta région, un jour, tu iras à Monaco ou au PSG. Passe par Toulouse ou Caen, et tu auras plus de chances de finir au PSG. Je suis intimement convaincu par ça.

Cette conviction t’a-t-elle poussé à titulariser des jeunes du coin comme Noé Lebreton ou Brahim Traoré, devenus à 19 ans des cadres de ton équipe ?

Ces deux-là, quand ils mettent le maillot du Stade Malherbe, ils envoient 20 à 30 % plus que quelqu’un qui n’est pas issu de la région. Le sentiment d’appartenance multiplie les capacités du joueur. J’en suis vraiment convaincu. Donnons la chance aux produits locaux ! Bien sûr que le recrutement sert à aller chercher des profils que l’on n’a pas dans son effectif, mais donnons la priorité à ces jeunes. Ici, on était arrivé à avoir plus de 40 pros sous contrat. Ce n’est viable… Dans mon projet, le local, s’il est bon, il sera prioritaire.

Es-tu partisan d’un projet identitaire à la Bilbao ?

Je crois même que c’est un modèle de réussite pour tous les clubs. Pas que pour le Stade Malherbe. Ces exemples, dans les années 1990, existaient avec le FC Nantes ou Auxerre. Aujourd’hui, si je vais au stade à Caen, à Monaco ou à Nantes, je ne suis pas certain de différencier les joueurs sur le terrain. Le supporter qui va chaque week-end au stade, il a besoin de s’identifier. Les clubs doivent donc davantage s’associer à des joueurs fidèles. L’utopie, elle est facile à penser… Un joueur de Bilbao ou de la Sociedad, si le Barça arrive, peut-être qu’il préfère rester au Pays basque… Demain, mon rêve, c’est que si le PSG arrive pour l’un de nos joueurs, il préfère rester au Stade Malherbe. On n’y est pas encore. (Rires.) Mais dans quinze ans, pourquoi pas ?

Les gens ont commencé à s’identifier à moi parce que je suis resté longtemps. Si j’étais parti au bout de trois ans, personne ne se souviendrait de moi.

Comment un supporter s’identifie-t-il à un joueur ?

La durée… Ici, les gens ont commencé à s’identifier à moi parce que je suis resté longtemps (de 2001 à 2017, NDLR). Si j’étais parti au bout de trois ans, personne ne se souviendrait de moi… (Il se marre à nouveau.) J’étais un joueur moyen, défensif…

Prends-tu en compte cette dimension identitaire au moment de forger ton projet de jeu ?

Je dois prendre en considération l’histoire du club. Quand je suis arrivé ici, je venais de Toulouse, au début des années 2000. Des anciens comme Xavier Gravelaine ou Franck Dumas m’ont inculqué les valeurs de ce club. On m’a dit : « On va t’expliquer comment on joue au football ici. »

Et alors, c’est comment ici ?

C’est comme en Angleterre, les gens vont applaudir si tu balances un ballon en touche. (Rires.) C’est un football créé dans une vieille arène en taule, le stade de Venoix, l’ancêtre de D’Ornano. Ici, on n’aime pas le jeu lent, le football mou. On n’aime pas la possession qui n’avance pas, qui ne prend pas de risque. Dans les tribunes, on attend que ça bouge, que ça vive. Un jeu généreux, intense, vertical. Un football total, où on ne regarde jamais vers l’arrière. Les gens savent qu’on est au Stade Malherbe, ils ne s’attendent pas à voir le Barça, chaque week-end. D’ailleurs, ils s’en foutent de voir le Barça. En revanche, ils attendent un côté conquérant sur le terrain. Je transmets cette culture… Je veux que les gens se disent : « Ah, le Stade Malherbe, ils jouent différemment des autres. C’est pas simple d’aller gagner chez eux… »

Cela veut-il dire nécessairement un football de transition ?

Non ! On peut développer un football de possession, mais toujours avec ce désir constant de faire mal à l’adversaire. D’avancer dans le terrain. Mon équipe arrivera à maturité lorsqu’elle sera autant capable de déséquilibrer un bloc en trois passes qu’en quarante. Rejouer en arrière, quand le terrain est ouvert, je suis désolé, mais pour moi, c’est une connerie.

Mais à quoi sert la possession dans ce cas ?

La possession est une arme pour attirer un nombre d’adversaires dans une zone, pour être en supériorité numérique dans une autre. On a trop associé la possession à des idées fausses. Si on regarde le tiki-taka du grand Barça de Guardiola – que j’admire –, c’était une répétition de petites passes pour attaquer derrière les grands espaces, en touchant Messi. On essaie de mettre une frontière entre le jeu vertical et la possession, là où il n’y en a pas.

Et si Venoix incarnait l’histoire du club, le stade D’Ornano, là où tu as tout connu en tant que joueur, que représente-t-il à tes yeux ?

Je n’ai jamais joué à Venoix. Je suis arrivé à une période où le club peinait à assumer la transition. On est passé d’un stade où c’était le feu, une véritable fournaise, à un stade où tout le monde était assis. Il y avait un côté : « On s’est embourgeoisés. » Ma génération n’a pas eu à subir le poids de cette histoire. Mais D’Ornano est un stade merveilleux. Contre Angers, on fait 17 000 personnes un lundi soir alors qu’on est dans notre cinquième saison de suite en Ligue 2… Je dis souvent aux joueurs : si vous avez la chance de connaître une montée avec le Stade Malherbe, vous vous rendrez compte de ce qui se passe ici. Ce club, c’est vraiment le poumon de la ville.

On te retrouve donc dans dix ans sur ce banc ?

Je signe tout de suite. Mais avec des résultats et un jeu à l’image du club ! Mon histoire avec le Stade Malherbe ne m’offrira pas de passe-droit. Même si ça dure, je ne suis que de passage.

Propos recueillis par Hugo Lallier

(1) Étude interne réalisée par le Stade Malherbe Caen.

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