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Nantes : l’espoir dans le temps additionnel

Par Mathieu Rollinger
Nantes : l’espoir dans le temps additionnel

Après un drame, une formule toute faite assure que « la vie continue ». Une manière de dire que le deuil commence à faire son travail pour passer à la suite. Pourtant, les joueurs du FC Nantes et les proches d'Emiliano Sala vivent une période assez bizarre, coincés entre l'émotion d'avoir perdu un des leurs, mais incapables de faire une croix sur la possibilité qu'il soit encore en vie. Une situation complexe, sur laquelle se prononcent deux docteurs en psychologie.

Trois jours se sont écoulés depuis le drame, et chaque étape de « l’après » sera forcément une épreuve. Ce jeudi, les joueurs du FC Nantes se retrouvaient pour leur premier entraînement après la disparition d’Emiliano Sala. Et il fallait bien briser le silence, face à la centaine de supporters présente à la Jonelière. En capitaine exemplaire, Valentin Rongier s’en est chargé. Et c’est avec des trémolos dans la voix, mais la tête haute, qu’il a demandé à tous d’être « solidaires » , d’être « unis » et de « respecter la famille » . Une famille qui continue à croire en l’infime espoir de retrouver Emi vivant. « Elle refuse absolument de faire le deuil et continue d’y croire, transmet le milieu nantais. Et c’est pour ça qu’on ne fera pas de minute de silence, ni de minute d’applaudissement, parce qu’on a encore de l’espoir. Et tant qu’il n’y aura pas de corps, tant qu’il n’y aura pas de possibilité de faire le deuil, on va respecter la famille et on continuera d’y croire jusqu’au bout. »

Trente minutes plus tard, la police de Guernesey annonçait mettre fin aux recherches, tout en affirmant que « les chances de survie sont extrêmement faibles » . Et bien qu’infinitésimale, c’est bien cet espoir qui rend les choses complexes. « Ne pas retrouver le corps ne facilite pas le processus du deuil, pose le Dr Alain Sauteraud, médecin psychiatre spécialiste du deuil.Vous avez des gens qui ont des croyances pour les miracles et on voit sur les réseaux sociaux que beaucoup de joueurs prient encore. Ils prient tant qu’ils sont dans l’espoir. » Dans la ville natale d’Éric Tabarly, autre disparu en mer, ces considérations prennent forcément un écho particulier.

« La composante de l’injustice »

Ainsi, c’est cette incertitude, laissant encore plus de place à l’imagination qu’en cas de mort subite, qui rend la souffrance encore plus forte. Dans le cadre d’un club de foot, des mesures peuvent être mises en place pour aider le groupe. « Le club peut mettre en place un accompagnement avec un psychologue qui est habitué de ce genre de situations, où un traumatisme est partagé collectivement, un peu comme à la suite d’un attentat, témoigne le Dr Sophie Huguet, docteur en psychologie du sport. Un débriefing doit être fait pour connaître les ressentis, les émotions, ce que chacun a envie de partager. Le fait d’en parler permettra de libérer chaque personne et d’avoir un effet positif sur le groupe. » Vivre cette épreuve collectivement compte également. « Chacun va réagir différemment, mais il y a certainement des éléments qui ont plus de résilience et vont porter ceux qui ont plus de mal, suppose le Dr Huguet. Je pense que c’est un atout par rapport à un deuil individuel. »

Ce n’est évidemment pas la première fois que le monde du football est confronté à la perte d’un des siens. Mais rares sont les fois où toutes les conditions participent à créer une telle tragédie. « Généralement, ce sont des drames de santé et pas des accidents de la sorte, avance le Dr Sauteraud. Dans l’histoire d’Emiliano Sala, il y a la composante de l’injustice. C’est un Sud-Américain, qui a quitté sa famille très jeune, qui a eu une carrière pas simple, avec une reconnaissance assez tardive. Et c’est au moment où il acquiert cette reconnaissance, à travers ce transfert important, qu’il s’abîme en mer. C’est une dramaturgie terrible, surtout qu’il était revenu à Nantes pour saluer ses coéquipiers. Ça ajoute encore plus à la tristesse et à la stupéfaction. »

La suite en pointillé

Les conditions mêmes du transfert à Cardiff, dans un premier temps refusé par Sala et déploré par le coach Vahid, donnent aussi une dimension supplémentaire. « Certains joueurs dans le club en voudront peut-être à la direction d’avoir procédé à sa vente, même si celle-ci n’est pas responsable de l’accident, ajoute Sophie Huguet. Inconsciemment, un lien peut être fait, en se disant que s’ils n’avaient pas voulu le vendre, il serait encore là. On essaye toujours de trouver un coupable dans ces cas-là et ça pourrait se retourner contre le président. » Toujours est-il qu’il faudra bien reprendre la compétition. Et ce retour au quotidien, sans Emiliano Sala, peut être vécu de différentes manières. « On a l’exemple de Marc-Vivien Foé à la Coupe des confédérations en 2001. La première des réactions après ça a été de jouer pour lui, se souvient le Dr Sauteraud. On voit bien l’adaptation naturelle qui dit qu’on va tout de suite respecter sa mémoire. C’est se dire« Il aurait voulu qu’on joue donc on joue ».Après, il va y avoir des joueurs plus marqués et plus en souffrance que d’autres. Là, c’est au coach de savoir qui est en état de jouer et qui ne l’est pas. C’est une sidération et pas une volonté. »

Dimanche, les Canaris devraient jouer leur seizième de finale contre Sannois Saint-Gratien, match qui était prévu initialement mercredi. Et tant que personne n’aura retrouvé la trace d’Emiliano Sala, il ne devrait pas y avoir de cérémonie officielle, d’après les vœux des joueurs nantais. « Effectivement, c’est confus dans la tête de plein de gens : est-ce qu’on commémore quelqu’un qui n’est pas officiellement décédé ?, s’interroge Sophie Huguet. Après, une fois la confirmation, c’est important de commémorer parce que certains ont besoin de ça pour passer à autre chose. C’est la réalisation que ça s’est réellement passé et ça permet de mettre fin à une période de déni. » Avis que partage son homologue : « On est dans un cadre de deuil aigu qui dure de trois à six mois et les premiers jours sont les plus critiques. Mais la base du deuil aigu, c’est la ritualisation, avec l’organisation de l’hommage. Et plus le deuil est aigu, plus l’hommage doit prendre la place. Et petit à petit, le souvenir du joueur va prendre sa place dans l’histoire du club. » Et c’est une certitude, il ne faudra pas six mois pour qu’Emiliano Sala entre dans la légende du FC Nantes. Il y est déjà.

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