Tu es originaire de la province de Guelmim, une région méconnue en France. À quoi ressemblait ton enfance ?
J’ai grandi dans un petit village situé entre les montagnes. Autant te dire qu’on faisait avec les moyens du bord. Petit, je devais non seulement aller à l’école, mais je devais m’occuper aussi de l’agriculture et jouer au berger.
À dix ans, tu arrives en France…
Quand je suis arrivé à Saint-Étienne, tout était très différent. Je passe de la nature à une région minière. C’est comme si je partais de Mars pour aller sur Jupiter. Au Maroc, je devais m’occuper des bêtes et aller chercher l’eau au puits. Là, je devais faire face à des immeubles modernes, à une nouvelle langue, à de nouvelles coutumes, etc.
Tu as pas mal déménagé, non ?
Mon père était minier. Du coup, on devait déménager tous les ans et demi. Ce n’était pas forcément facile : dès que je commençais à m’habituer à une ville, à me faire des amis, on partait. À cette époque, je devais voir régulièrement des assistantes sociales. Une d’entre elles m’a conseillé de faire un sport collectif afin d’améliorer mon français. C’est comme ça que je me suis mis au foot.
Tu étais quel type de joueur quand tu étais petit ?
J’ai commencé comme défenseur parce que j’étais le plus grand de l’équipe et que je ne comprenais pas encore toutes les règles du foot. J’avais du mal avec le hors-jeu. Le problème, c’est que j’aimais bien garder le ballon, je ne voulais jamais le donner. En tant que défenseur, ce n’est pas top (rires). Du coup, on m’a avancé et, progressivement, j’ai pu trouver ma place. Notamment grâce à Alain Perrin qui m’a très vite donné ma chance et a rapidement cru en moi.
Comment s’est faite la rencontre avec les dirigeants de Nancy ?
À l’époque, je jouais pour un club de DH en Moselle. À l’issue de la saison, on monte en CFA et je termine meilleur buteur du club. J’avais 15 ans, mais je jouais déjà avec les seniors. C’est comme ça que les dirigeants de Nancy m’ont repéré. Le plus dur pour eux, ça a été de convaincre mon père. Pour lui, le foot n’était pas un travail, il me disait : « Tu ne vas pas gagner ta vie avec ça, va à l’école et va apprendre un métier » .
Au bout d’un an à Nancy, tu refuses la sélection en équipe de France espoir. C’était inimaginable ?
Non, pas du tout. C’est juste que j’ai rapidement compris que j’allais devoir me battre deux fois plus si je voulais avoir ma chance en équipe de France. Je savais que j’allais être un second choix, que je n’aurais pas pu accéder à la reconnaissance. Il fallait faire un choix, et le Maroc me promettait un plus beau destin. Il faut quand même rappeler que même Zidane était remplaçant à cette époque et que, dans les années 90, il y avait à peine une petite dizaine de joueurs maghrébins en France. Ce n’était pas la même chose. Même Ali Benarbia n’a jamais fait une sélection avec les Bleus, malgré la carrière qu’il a eue.
J’avais joué le Mondial 1998 avec un orteil cassé
Malgré tes performances, tes dernières années nancéiennes ont été plutôt difficiles, notamment à cause de László Bölöni ?
Lorsque je suis arrivé à Nancy et que je commençais à jouer avec les pros, Bölöni était encore adjoint. Il ne devient réellement l’entraîneur du club qu’à partir de 1994. Lorsque je reviens du Mondial, il m’attrape et me dit : « Il y a un joueur qui passe avant toi à présent, tu vas être en remplaçant cette saison » . Je ne comprenais rien : j’avais terminé meilleur buteur du club la saison précédente et on me met sur le banc pour laisser place à un jeune joueur inexpérimenté. N’aimant pas particulièrement les conflits, je ne dis rien. D’autant que je ne voulais pas décevoir Alain Perrin. J’ai malgré tout fini par quitter le club en 1996. Bölöni avait certainement ramené un collectif, mais il avait une dent contre moi. Il m’a même dit que je serai toujours un joueur de D2.
Qu’est-ce qu’il y avait au Sporting Portugal que tu ne retrouvais pas à Nancy ?
Déjà, il n’y avait plus Bölöni. Et puis il y avait un vrai défi à relever avec la Ligue des champions à jouer devant des milliers d’abonnés aux côtés de Figo. Jouer à l’étranger, apprendre une nouvelle langue, tout ça ne me faisait pas peur. Je l’avais déjà fait en arrivant en France. Il y avait aussi un esprit collectif assez fort.
Un an avant la Coupe du monde 98, tu prends pourtant le risque de signer au Deportivo La Corogne. Pour quelles raisons ?
Ils m’avaient repéré suite à mes performances en Ligue des champions. J’avais marqué quelques buts, contre Leverkusen et Monaco, et ça les avait convaincus. Je pense tout simplement que j’aime relever des défis.
Puisqu’on parle de but, tu te souviens forcément de celui contre la Norvège au Mondial 98 ?
Bien sûr. C’était une contre-attaque. Je fais une course de 60 mètres sur le côté gauche. Une fois le défenseur éliminé, je savais que j’avais 70% de chances de marquer le but. Ensuite, je mets la balle comme il faut, ras de terre dans le petit filet. Il n’y avait rien de plus jouissif : inscrire son premier but en Coupe du monde devant mes frères et mes amis, ça restera l’un de mes meilleurs souvenirs.
Qu’est-ce qu’il manquait au Maroc pour aller plus loin ?
Un gardien, certainement. Ça a toujours été l’un des gros problèmes de la sélection, même si ça va mieux aujourd’hui. Après, il y a aussi le fait que l’on soit tombé dans un groupe difficile. Le Brésil, mais aussi la Norvège qui restait sur une dizaine de matchs officiels sans défaite. On peut être fiers parce qu’on a tenu tête à cette équipe. En revanche, le match contre le Brésil était catastrophique. On n’a pas fait ce qu’il fallait.
Quelle est la première chose que tu aies faite après avoir été élu « meilleur joueur africain » en 98 ?
J’ai appelé mes parents et le prince du Maroc. Je savais qu’il m’appréciait énormément et je tenais à le remercier. Surtout, je ne m’y attendais pas : le Maroc n’avait pas réalisé un gros parcours et j’étais en concurrence avec des mecs comme Okocha, George Weah, Kanu ou McCarthy.
La suite a été un peu plus compliquée, non ? Tu as notamment changé régulièrement de club : Coventry, Aston Villa, Espanyol Barcelone, Dubaï, l’Allemagne…
Ce que je regretterai toujours, c’est cette opération juste après la Coupe du monde. En fait, j’avais joué le Mondial avec un orteil cassé. C’était désagréable, mais ça ne m’empêchait pas de jouer. Je me suis malgré tout fait opérer et ça m’a tenu éloigné des terrains pendant quelques mois. Ça a cassé mon rythme et mon évolution. À mon retour, j’avais perdu pas mal de ma confiance.
En sélection marocaine, il y a encore quelques années, il y avait un vrai problème de fraternité, de solidarité et même de ponctualité dans l’équipe. C’est limite si les joueurs ne venaient pas en vacances ici.
Avec tous les entraîneurs que tu as connus, lequel t’as procuré le plus de plaisir ?
Hormis Alain Perrin, je ne remercierai jamais assez Luis Fernandez de m’avoir appelé pour sauver l’Espanyol de Barcelone en décembre 2004. À la trêve, l’équipe n’avait que 11 points et comptait 13 points de retard sur le premier non-relégable. C’était une mission impossible, mais lui y croyait. Il a réussi à nous transmettre cette bonne énergie. J’aurais aimé jouer plus longtemps pour lui. Je suis sûr que si j’avais connu un entraîneur comme lui plus tôt, j’aurais été un meilleur footballeur.
À l’inverse, je crois savoir que tu as connu d’autres mauvaises expériences. Avec Javier Irureta, notamment.
Ouais, et c’est pour ça que j’ai quitté La Corogne pour Coventry au bout de deux ans. Irureta trouvait qu’il y avait trop d’étrangers dans son équipe et voulait la nationaliser davantage. Mais je ne suis pas rancunier. Ce sont des choses qui arrivent.
Après l’arrêt de ta carrière en 2010, il y a eu un moment où tu as pensé à mettre le foot au second plan ?
Ce qui est sûr, c’est que j’ai pris du recul pendant quelques années. J’étais déçu du métier. Il faut quand même savoir que le football est un métier d’égoïste, où tout le monde tire la couverture vers soi. Malgré tout, j’ai fini par y revenir. Tout simplement parce que les terrains me manquaient trop. Un sentiment propre à la majorité des footballeurs. On a été élevé dans ça, c’est comme si on était programmé pour être proche des terrains.
Aujourd’hui, tu es sélectionneur adjoint. Le métier correspond-il à l’image que tu t’en faisais ?
Non, parce qu’on a toujours l’impression que c’est plus simple lorsqu’on est joueur. Ce qui est faux : en tant qu’entraîneur, on a deux fois plus de pression et on voit des choses que les joueurs ne voient pas. En sélection, par exemple, on comprend très vite lorsqu’un joueur n’exprime que 60% de ses capacités. De mon côté, j’utilise souvent l’exemple de Cristiano Ronaldo, un joueur qui, selon moi, réussit parce qu’il se donne dix fois plus que les autres. Lorsqu’il ne marque pas, on le sent très frustré, même si son équipe a gagné le match. Ça peut énerver certains spectateurs, mais c’est une attitude de compétiteur. De gagnant, même.
Qui représente le mieux la sélection marocaine selon toi aujourd’hui ?
Honnêtement, c’est impossible pour moi de dire ça. Le foot, c’est un vrai travail d’équipe. Du mec qui ramasse les maillots au chauffeur de bus, tout le monde est important. Il faut qu’on soit une famille si l’on veut que le Maroc retrouve un peu sa place. Ces dernières années, on n’a pas été au niveau. Il faut remédier à ça.
Justement, il manque quoi au Maroc pour s’imposer durablement sur la scène africaine et mondiale ?
À l’époque, je t’aurais dit de bonnes infrastructures, mais ça a bien changé depuis quelques années sur ce plan. Pareil en matière de respect. Il y a encore quelques années, il y avait un vrai problème de fraternité, de solidarité et même de ponctualité dans l’équipe. C’est limite si les joueurs ne venaient pas en vacances ici. On a remédié à tout ça. Même le championnat est plus organisé aujourd’hui. Tout ça va se développer. Malheureusement, on manque encore de formateurs. C’est sans doute ça, l’un des principaux points à travailler dans les années à venir.