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Mohamed Amoura : « Il y quatre ans je n’avais rien, aujourd’hui je joue avec Mahrez »
Nouvelle sensation du football algérien, Mohamed Amoura brille en club avec l'Union saint-gilloise. De bon augure pour les Verts, avant leur départ pour la CAN en Côte d'Ivoire. Entretien avec un attaquant de goût.
Bonjour Mohamed. À mi-saison, te voilà meilleur buteur du championnat belge pour ta première saison à l’Union. Quel bilan fais-tu ?
Je suis vraiment satisfait, et ça me convainc que je peux encore faire mieux. Mon transfert s’est finalisé assez tard, donc ça a un peu retardé ma préparation d’avant-saison. Mais j’avais déjà un visuel sur le schéma tactique de l’équipe et les envies du coach, ce qui m’a permis de rattraper le temps et de réaliser mes performances actuelles.
Ta fin de saison dernière avec Lugano, en Suisse, ne s’est pourtant pas déroulée de la meilleure des manières.
Mes derniers mois à Lugano ont été assez mitigés. Non pas à cause du terrain, parce que j’étais régulièrement décisif, mais en raison des à-côtés. D’une semaine à l’autre, je passais de titulaire à remplaçant, sans trop comprendre. Et quand je demandais des explications au coach, il me disait d’aller voir le directeur sportif, et inversement. Donc ça a un peu gâché mon rendement sportif, qui était toujours régulier.
Ton nom a beaucoup circulé en Ligue 1 durant l’été. C’était avéré ?
J’avais deux offres de clubs français (Metz et Toulouse, NDLR) et une d’Anderlecht. Avec Anderlecht, les négociations étaient d’ailleurs bien avancées, mais financièrement, ça a coincé avec Lugano, donc j’ai sauté sur l’occasion de signer à l’Union. La première chose que j’ai faite, c’est appeler Abdelkahar Kadri et Adem Zorgane (internationaux algériens, évoluant respectivement à Courtrai et Charleroi, NDLR). Ils m’ont dit de foncer, que j’allais kiffer Bruxelles et que le championnat correspondrait complètement à mes attentes. J’ai bien fait de les écouter.
En 2019, tu faisais à peine tes débuts professionnels à Sétif, aujourd’hui tu brilles en Europe. Cette ascension était prévue ?
Tous les joueurs ont des plans de carrière. Celui qui dit le contraire mentirait. Il est bien sûr impossible de tout prévoir, mais on se dessine tous des étapes que l’on essaye de suivre au mieux. Moi, il y a quatre ans, je n’avais rien, aujourd’hui je joue avec Riyad Mahrez. (Rires.) Dès mes débuts à Sétif, mon objectif était de rejoindre l’Europe en très peu de temps. Je savais qu’une fois en Europe, les portes s’ouvriraient d’elles-mêmes.
C’est le discours que tiennent beaucoup de joueurs africains, non ?
Les Africains ont une envie que les autres joueurs n’ont pas. Due aux conditions parfois difficiles dans lesquelles nous commençons le football, les moyens dont nous ne disposons pas forcément. Donc quand on arrive en Europe, il n’y a même pas besoin de temps d’adaptation. Notre envie suffit. Vous avez déjà vu un joueur africain se plaindre en Europe ?
Et avant l’Europe, tu faisais quoi ?
J’ai grandi à Oudjana, une petite ville près de Jijel (dans le Nord-Est de l’Algérie). C’est là-bas que je fais mes débuts, avant de passer des essais à l’ASS de Jijel, le club de la police locale. En Afrique, beaucoup de clubs appartiennent à des corporations, et ce club accueillait justement les enfants de policiers de la ville. Ce qui n’était absolument pas mon cas. (Rires.) J’ai donc été retenu, mais il a fallu que je quitte mon village, car j’habitais trop loin. L’entraîneur de l’ASS m’a ainsi accueilli chez lui, avec sa famille, et je rentrais chez moi en fin de semaine.
Tu te voyais déjà footballeur à ce moment-là ?
Je disais que chaque joueur a un plan, mais le mien ne s’est dessiné que lorsque j’ai signé mon contrat pro avec Sétif. Avant cela, devenir footballeur ne m’avait jamais traversé l’esprit. Je jouais parce que j’aimais ce sport, mais en faire mon métier, en tant qu’adolescent de village, je n’y avais jamais songé.
Tes parents ne sont donc pas policiers, mais ils partagent ta passion pour le football ?
Mon père est agriculteur et ma mère est femme au foyer. Nous sommes une fratrie de cinq : quatre garçons et une fille. Et je suis le seul qui aime le football. (Rires.) Enfin, les autres suivent cela comme des supporters lambda, sans vraiment s’y intéresser. Et franchement, ça me fait du bien. Quand je rentre à la maison, je coupe du sport. J’ai un entourage sur lequel me reposer. Le seul qui commence doucement à envisager un parcours de footballeur, c’est mon plus petit frère. Il a 11 ans et se débrouille plutôt bien avec le ballon.
Tu n’as pas eu de formation. Comment as-tu réussi à te frayer un chemin jusque-là, avec ton gabarit léger ?
Avec l’ASS, j’ai gagné la Coupe d’Algérie des moins de 13 ans. De là, j’ai été repéré par le Paradou (seul centre de formation d’Algérie affilié à un club professionnel. Les autres académies sont directement gérées par la fédération algérienne et sont appelées Académies FAF, NDLR). Nous étions un petit groupe, envoyés à Alger pour y faire des essais. Tout le monde a été pris, sauf moi. De ce que j’ai compris, je n’avais pas réussi les exercices athlétiques. C’est l’une des seules fois où j’ai pleuré pour du football. Je suis donc resté à l’ASS, avant de partir pour le grand club de la ville, la JS Jijel, à 16 ans. C’est à ce moment-là que j’ai « appris » à marquer des buts, en délaissant le couloir pour me réaxer de plus en plus. J’y ai fait mes débuts en troisième division algérienne, sous statut amateur. À 18 ans, l’ES Sétif est finalement venue me chercher.
C’est donc là que le « projet Amoura » s’affirme ?
Clairement. Avec mon gabarit, j’ai compris que j’avais une carte à jouer. En Algérie, comme beaucoup en Afrique, les contacts font mal. Donc j’ai travaillé ma vitesse, ma qualité d’esquive et ma résistance aux chocs. Quand on me regarde jouer, certains se disent que je cours trop ou que je retombe mal. Mais tout est plutôt maîtrisé. Je sais quand je dois sprinter, quand je dois aller au contact pour gratter une faute. Ma gestion de l’effort m’a permis de m’en sortir et d’être là aujourd’hui.
Tu as des modèles ?
En Algérie, il y a un joueur qui s’appelle Abdelmoumene Djabou. C’est une légende de l’ES Sétif et un ancien international algérien. (Djabou a notamment inscrit deux buts lors de la Coupe du monde 2014 : contre la Corée du Sud, et contre l’Allemagne en huitièmes de finale, NDLR.) Je me suis vite identifié à lui, parce qu’on avait un physique similaire. Petit, vif. Ce genre de joueur m’a mis en tête que c’était possible de réussir. Et à échelle internationale, j’aime beaucoup Son de Tottenham. Pied droit, pied gauche. Il sait tout faire. Mon joueur préféré.
Mohamed, les supporters algériens t’attendent désormais à la CAN. Tu te sens prêt ?
Oui. Entre le championnat et la coupe d’Europe, l’enchaînement des matchs avec l’Union m’a mis dans les bonnes conditions. En 2022 au Cameroun, j’étais dans le groupe, mais je n’avais pas joué, et j’ai pu observer mes coéquipiers. Voir comment ils agissaient, se préparaient et emmagasiner l’expérience nécessaire pour aujourd’hui me sentir prêt.
La CAN au Cameroun est toujours dans ton esprit, alors ?
J’ai une revanche personnelle à prendre sur l’édition au Cameroun, parce qu’on sort au premier tour, alors que nous étions tenants du titre. Cette année 2022 a été pourrie pour le football algérien de toute façon, avec élimination en barrages de la Coupe du monde juste après.
L’Algérie peut aller au bout ?
Dire que nous sommes favoris serait un mensonge. Nous avons une équipe en plein renouveau, avec des nouveaux qui intègrent doucement le groupe. Mais c’est sûr que nous sommes attendus, de par notre statut. Et puis nous avons retenu la leçon de la dernière CAN, tant au niveau de la préparation physique que du mental. On arrive avec la faim. Pour ce qui est de mes favoris, je placerais le Sénégal, l’Égypte, la Côte d’Ivoire et le Maroc en carré final.
Par Adel Bentaha