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Modeste M’Bami : la belle parenthèse colombienne

Par Thomas Goubin

En 2014, le regretté Modeste M'Bami, décédé samedi dernier à seulement 40 ans, s'était envolé pour la Colombie. Une surprenante pige aux Millonarios Bogotá, avec le plaisir de jouer comme leitmotiv.

Modeste M’Bami : la belle parenthèse colombienne

Aller monnayer son talent déclinant en Asie ou au Moyen-Orient est le lot assez banal des joueurs qui peuvent revendiquer quelques années fastes sur les pelouses d’Europe de l’Ouest. Pour Modeste M’Bami, cela avait été la Chine (Dalian Aerbin), puis l’Arabie saoudite (Al-Ittihad), des destinations à l’atterrissage amorti par des émoluments rondelets. Dans les années 1950, bien avant notre époque globale, le championnat colombien avait aussi su attirer des noms, qui étaient eux encore dans la force de l’âge. C’était l’époque d’El Dorado, quand les bien nommés Millonarios Bogotá avaient loué à prix d’or le talent d’Alfredo Di Stéfano, avant que l’Argentin ne décolle pour l’Europe, destination le Real Madrid. Ce championnat-là n’avait rien à voir avec celui où débarquerait Modeste M’Bami en février 2014. À Bogotá, Cali ou Medellín, il n’y avait plus que des clubs désargentés, pillés par leurs homologues mexicains, brésiliens ou argentins. « Avant lui, au cours des années 1990, il y avait eu quelques joueurs africains comme le Camerounais Oyié Flavié ou le père de Pierre-Emerick Aubameyang, renseigne le journaliste d’El Tiempo Orlando Ascensio. Mais Modeste était le premier Africain à porter le maillot des Millonarios. » Une arrivée dans le club ambassadeur accueillie avec circonspection.

Mentor et couleurs vives

Que venait faire M’Bami en Colombie ? La réponse prend la forme d’un petit homme à la chevelure grise tenace et aux sourcils broussailleux. Il est espagnol, érudit et a la réputation d’être le mentor de Pep Guardiola, qui avait lui aussi surpris en son temps en allant le rejoindre au Mexique, en 2006, pour finir sa carrière aux Dorados Sinaloa. « Comme moi, Modeste était venu pour Juan Manuel Lillo, éclaire l’ex-international colombien Fabián Vargas. Il voulait continuer à apprendre de lui, à partager du temps avec lui. » Pour imprimer sa patte, ce jeu de position cérébral, l’entraîneur mise notamment sur ces deux joueurs qu’il connaît bien pour les avoir dirigés à Almería, où ils avaient ferraillé dans la deuxième partie de tableau de la Liga de 2009 à 2011. Au « Millo » , un vent nouveau souffle alors. On parle de projet à long terme, de renforcement du centre de formation, et Lillo est accompagné par son compatriote José Portelos, néo-directeur sportif.

Il pouvait être surpris par certaines particularités du championnat, qu’on joue sous 40 degrés à Barranquilla, puis dans le froid en altitude, mais il ne se plaignait pas, il s’adaptait. M’Bami arrive alors qu’un tiers de la saison a déjà été disputée. Ses débuts sont laborieux. « Il fallait qu’il s’adapte à l’altitude(Bogota plane à 2582m), aux températures changeantes, les supporters le trouvaient lent, lourd et se demandaient pourquoi Lillo avait amené ce type de joueur », se rappelle Rafael Robayo, coéquipier de l’époque. Les supporters sont aussi interloqués par sa coupe de cheveux particulière : fournie sur les côtés, rasée sur le dessus, à l’exception d’une sorte de mini-crête. Dans les vestiaires, ce sont toutefois surtout ses « accoutrements », dixit Robayo, qui font fureur. « C’était très coloré, pantalon rouge, tennis jaunes, tee-shirt orange, dit-il. Ça amenait de la bonne humeur dans le vestiaire. » « Je me rappelle notamment de ses bottes avec une grosse semelle, se bidonne Fabián Vargas, ce n’était vraiment pas la mode en Colombie. Les coéquipiers le charriaient, lui disaient qu’il ressemblait à un punk. Mais lui répondait : « Regarde la marque, elles m’ont coûtées 2000 euros. » »

Plus que son look, sa personnalité fait en tout cas l’unanimité dans le vestiaire. Souriant, sociable, toujours prêt à partager les enseignements des grands moments de sa carrière, M’Bami, qui parlait espagnol, s’intègre instantanément. « Sur le terrain, il pouvait paraître dur, mais c’était un amour de personne », résume Vargas, que l’ex du PSG et de l’OM avait appelé avant de s’engager, pour lui poser notamment quelques questions sur la situation sécuritaire du pays. « Une fois sur place, il menait une vie tranquille, car c’est un grand professionnel, assure son ex-coéquipier. Il pouvait être surpris par certaines particularités du championnat, qu’on joue sous 40 degrés à Barranquilla, puis dans le froid en altitude, on jouait aussi dans des stades où il n’y avait quasiment pas de vestiaires, mais il ne se plaignait pas, il s’adaptait. » Sur le terrain, après avoir commencé son premier match sur le banc, M’Bami devient un rouage essentiel du onze de Lillo. Le joueur et l’entraîneur s’apprécient et se le rendent bien. « Modeste ne perdait jamais un ballon, souligne Vargas. Dans la ligne de trois que l’on formait avec Robayo, il était le plus défensif, mais on devait surtout s’adapter aux déplacements des autres, Lillo voulait des joueurs qui savent jouer au foot et interpréter les moments du jeu. » « Il nous disait que c’est un des milieux de terrain les plus intelligents qu’il avait pu connaître », ajoute Robayo.

Et Modeste avec ça

Pour les Millonarios, la saison sera bonne. Résultats et qualité de jeu sont au rendez-vous, même s’il manquera un titre au bout. Deuxième de la saison régulière, le club qui pouvait alors revendiquer quatorze championnats se trouve à une séance de tirs au but d’accéder à la finale. M’Bami a beau régner sur l’entrejeu lors de la demi-finale retour, le club de Bogota ne parvient pas à faire céder le Junior Barranquilla (0-0). À l’aller, le Camerounais avait déjà marqué les esprits. « Comme d’habitude, il faisait une chaleur étouffante, se souvient Robayo. Et lui s’est pointé à l’échauffement avec un survêtement et un maillot manches longues. Il nous disait qu’ainsi il ne sentait pas la chaleur. En tout cas, ça a marché, sur le terrain sa tranquillité était impressionnante. »

Entre M’Bami et Millonarios, l’histoire est belle, mais elle sera courte dans un pays où les saisons sont semestrielles. La demi-finale retour du championnat d’ouverture, disputée le 27 mai, est ainsi le dernier de ses quatorze matchs en bleu et blanc. Vargas comme Robayo croient se rappeler que le départ de Lillo a conduit le Camerounais à faire ses valises, même si l’entraîneur espagnol commencera la saison suivante sur le banc du club ambassadeur. « Il avait signé pour six mois et n’a pas réussi à trouver un accord économique », rectifie César Ardila, l’attaché de presse du club. Les fans de Millonarios ne l’ont toutefois pas oublié, et son décès a autant surpris que peiné des fans qui conservent un très bon souvenir de sa courte pige. Ces lignes écrites par Jeison Cifuentes Pérez sur le site Futbolete témoignent de cette reconnaissance : « Il n’était pas le meilleur, mais il jouait bien. Il comprenait le jeu. Dans le schéma de Juanma Lillo, il avait pour mission d’aider l’équipe à relancer proprement, avec des passes justes. On appelle aussi cela la vision du jeu. Tel a été l’apport de Modeste M’Bami, l’unique footballeur camerounais dans l’histoire de Millonarios. »

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