Comment es-tu devenue la tatoueuse des joueurs du Stade rennais ?
Le premier joueur à avoir poussé la porte de la boutique, c’est Jimmy Briand. Comme je ne suis pas trop le foot, je ne l’avais pas reconnu. Le gars arrive, il m’explique qu’il veut se faire tatouer un chapelet sur l’avant-bras. Bon, très bien, je lui explique que je vais prendre l’empreinte pour réaliser le dessin. Je prends une feuille standard que j’applique sur son avant-bras, j’arrivais pas à faire le tour. Impressionnée, je lui dis : « Putain, t’es musclé dis donc, tu fais du sport ou quoi ? » Il me répond : « Ouais, un peu ! » (Rires) Donc je lui ai fait son chapelet et faut croire que ça lui a plu et qu’il en a parlé à ses coéquipiers, car après, j’ai vu défiler un certain nombre de joueurs : Sylvain Marveaux, Yann M’Vila, Abdoul Camara, Benoît (Costil), Kana-Biyik, Chris Mavinga, Montano… Je finis par me douter : quand des mecs arrivent avec des grosses voitures, en général c’est des joueurs de foot ! Je vais aussi à Lyon de temps en temps pour m’occuper de joueurs de l’OL : Briand encore quand il est parti là-bas, puis Mvuemba, Alex (Lacazette), Umtiti…
Ah, donc tu es aussi maintenant la tatoueuse de l’OL ?
Oui, certains joueurs comme Alex avaient vu ce que j’avais fait pour Jimmy Briand, Benoît, M’Vila. Ils ont demandé à Briand s’il y avait moyen que je vienne et j’ai accepté. Maintenant, ils passent directement par moi, car Jimmy est en Allemagne. Alex et Umtiti, je devrais encore les voir pas mal, car ils veulent remplir leurs bras. Mais c’est chaud de faire coïncider mon emploi du temps avec le leur, ça prend du temps de réaliser des tatouages.
Une relation de confiance s’est-elle installée avec eux ?
Oui, et puis je pense qu’ils sont contents du résultat. J’ai fini par remarquer que les footballeurs sont des gens assez fidèles : quand quelque chose leur convient, ils ne vont pas aller chercher ailleurs. Ici, ils ne paient pas plus cher que les autres clients, et comme ils sont habitués à ce que des gens tournent autour d’eux et essaient d’abuser de leur argent… Ils sont plus méfiants que la moyenne, disons.
Ils ont des envies spéciales au niveau des tatouages ? Des particularités ?
Franchement, ils ont des goûts qui vont avec leur âge. À la base, ils veulent tous un peu la même chose : des nuages, des étoiles, des trucs religieux, des trucs de rappeurs… J’essaie de les driver, de leur faire ouvrir les yeux. « Ouais, bof, ce tatouage il est déjà porté par untel, tu veux pas quelque chose d’un peu plus perso ? » Avec certains, ça marche plus qu’avec d’autres. Alex (Lacazette) par exemple, son dernier tatouage, à l’intérieur du bras, c’est lui qui m’a expliqué ce qu’il voulait et j’ai trouvé ça très chouette. C’est un truc par rapport à ses frères. C’est bien, il a compris la démarche, idéalement faut que les idées viennent d’eux. Tiens, d’ailleurs, ça me fait penser que si, quand même, il y a une particularité avec les footballeurs : ils sont très famille. Quasi tous veulent des tatouages en hommage à leur mère, leurs enfants, ce genre de choses… Quand tu leur parles, tu vois que c’est très ancré chez eux. Ils ont de la reconnaissance dans le fait d’avoir réussi, d’avoir consenti des sacrifices… Il y a aussi peut-être un besoin de se raccrocher à des valeurs essentielles, étant donné la vie qu’ils mènent…
Comment t’expliques qu’aujourd’hui de plus en plus de joueurs de foot sont tatoués, alors qu’avant c’était plutôt réservé au milieu artistique plus que sportif ?
Difficile à expliquer… Les motivations sont tellement différentes. Tu vois que certains joueurs se font tatouer uniquement pour le principe de se tatouer. On dirait que ça fait partie de la panoplie pour eux… J’ai l’impression qu’il y en a pour qui c’est presque un gage de réussite : faire comme Beckham, faire comme Zlatan… En France, il me semble que celui qui a lancé la mode, c’est Djibril Cissé. Mais pour en revenir aux motivations, je dirais que ce sont celles de jeunes de leur âge. Je les vois bien, certains, à débarquer dans la boutique avec les photos de rappeurs, de gangstas… C’est un univers qui les branche.
C’est qui ton client le plus régulier parmi les footballeurs ?
Benoît (Costil), je lui ai fait les deux bras. C’est bien, il est à l’écoute, il a fait ça patiemment avec des choses qui lui tiennent à cœur. Il a des cartes à jouer, une couronne, un diamant, un numéro 1, différents lettrages en rapport avec des choses importantes de sa vie, un petit ange, une tête de mort avec une bougie, une hirondelle, une colombe…
M’Vila, ses avant-bras, c’était pas joli à voir…
Et t’as déjà eu des supporters qui sont arrivés en demandant à avoir les mêmes tatouages que leurs idoles ?
Oui, j’en ai déjà vu débarquer avec une photo d’un joueur : « Je veux le même bras que Costil ! » C’est hors de question. Dans le même esprit, ok, mais je ne fais jamais deux fois le même tatouage, c’est quelque chose de personnel.
Quand les joueurs partent de Rennes, tu restes leur tatoueuse ?
Oui, Jimmy Briand par exemple. Je l’ai revu à Lyon. Il m’a rappelé aussi il n’y a pas longtemps, mais je lui ai dit que ce n’était plus possible. Entre-temps, il s’est fait tatouer d’autres trucs et ce n’est plus du tout mon style, donc dans ce cas, je préfère dire non. Il a compris d’ailleurs, car il connaît ma façon de travailler. Je revois aussi M’Vila, il doit d’ailleurs venir prochainement avant qu’il ne reparte en Russie.
T’as vu des vilains tatouages chez certains footballeurs ?
Pedro Henrique, il s’était fait faire des tatouages ultra pourris ! Je lui ai dit d’ailleurs : « Mais comment t’as pu faire des trucs pareils ? » Il me disait que dans son ancien club en Suisse, il s’était pas trop renseigné et était allé dans une boutique un peu par hasard. L’erreur ! M’Vila aussi, ses avant-bras, c’était pas joli à voir… J’ai essayé de rattraper le coup, mais c’est pas évident. Là pour le coup les footballeurs sont comme tous les jeunes : ils se font parfois avoir, se font faire des trucs dans un appart pour trente balles sans réfléchir, ce sont des erreurs de gamins.
Et les footballeurs tatoués les plus célèbres, t’en dis quoi ?
Zlatan, j’ai bien observé ses tatouages, c’est vraiment pas très beau… Même Beckham, c’est une catastrophe ! De loin, ça passe, mais de près… Dans la nuque, il a une croix avec des ailes, si tu regardes bien elle n’est même pas symétrique. C’est ni fait ni à faire. Et puis ses bras, tu sens bien qu’il a juste rajouté des nuages sur la fin histoire de les remplir. C’est pas jojo. Ces mecs-là ont de quoi se payer les meilleurs tatoueurs du monde, pourtant. Quand je regarde les matchs, c’est clair que je regarde les tatouages. Un truc marrant que j’ai remarqué : beaucoup de footballeurs ont leurs tatouages qui commencent juste au niveau de la manche du maillot !
Es-tu devenue amie avec certains joueurs ?
On n’est pas des potes, car on n’a pas la même vie, mais Benoît par exemple, il est cool. On parle pas mal, on rigole. Lui aime bien laisser sa vie de footballeur et discuter de trucs plus marrants. C’est pas tous le cas. Jimmy Briand par exemple, il ne parle que de ça. T’essaies de dévier la conversation sur autre chose, il en revient toujours au foot. J’ai tatoué sa femme, elle me disait que c’était une calamité pour ça. Il mange foot, il dort foot, il regarde des matchs des années 80 ou 90, il passe son temps à les analyser. Même les repas avec les amis, il est absent car il a le foot en tête.
Joues-tu aussi parfois le rôle de confidente ?
Parfois ouais. Lacazette par exemple, il m’a dit qu’il avait vraiment envie de jouer la Ligue des champions avec Lyon. C’est son club, il y a ses amis, c’est un gars très affectif qui pense d’abord par rapport à ses potes. Il est hyper reconnaissant vis-à-vis de Lyon. Tu sens aussi que c’est un gars poli, bien élevé. La plupart le sont d’ailleurs. M’Vila par exemple, je sais qu’il a une mauvaise image, mais je peux te dire qu’il s’est toujours super bien comporté avec moi. Chaque fois qu’il m’envoie un SMS, c’est : « Excuse-moi de te déranger, j’espère que tu vas bien, que ta famille va bien… » Son erreur selon moi, c’est qu’il n’a pas toujours été bien entouré. Son agent à un moment, c’était ni plus ni moins qu’un wesh-wesh de cité. Comment peut-il être crédible quand il a un contrat à négocier ? C’est pas facile pour les footballeurs, ils ont souvent des sangsues à tourner autour d’eux et à vouloir profiter de leur argent. Or, quand t’as vingt ans, il ne faut pas forcément beaucoup te pousser pour sortir en boîte et déconner…