Le championnat est fini depuis près de 2 semaines. Comment s’est-il déroulé depuis les premiers gros affrontements en début d’année ?
On a bien commencé le championnat, même si on a été obligés de jouer à l’extérieur 2 ou 3 matchs. Mais on a eu le grand plaisir de finir champion (le 11 mai dernier, ndlr), même si on ne peut pas le fêter avec nos supporters.
Comment avez-vous réussi à travailler et à garder un esprit lucide dans ces conditions ?
On a réussi grâce à notre expérience (Le Shakhtar a remporté son 5e titre national consécutif, ndlr). Vous savez, j’ai commencé à entraîner lorsque j’avais 32 ans, et de manière ininterrompue depuis. On a fait une bonne préparation et de bons matchs, comme contre Kiev où l’on a gagné. Cela s’est joué aussi sur la concentration des joueurs. La clef pour moi a été d’avoir su me servir de toute cette situation, du conflit, de la guerre civile, pour motiver encore plus mes joueurs. J’ai réussi à leur faire comprendre que gagner un titre dans ces conditions avait deux fois plus de valeur.
Comment s’annonce le mercato ? Des joueurs ont-ils demandé à quitter le club ?
Non, aucun joueur n’a demandé à partir, j’ai réussi à tenir l’équipe et sa concentration, à conserver l’ambition de la victoire dans la tête de mes joueurs. Mais c’est vrai qu’à ce moment-là, il n’y avait pas de conflit, il y avait seulement l’administration centrale qui était sous le contrôle des séparatistes, mais sinon, la vie dans la ville était normale.
Comment comptez-vous faire pour recruter et attirer des joueurs étrangers ?
Je ne sais pas pour le moment, on va voir ce qu’il va se passer dans les jours à venir. On va voir quelles décisions vont prendre les fédérations. Pour le moment, nous travaillons sur la manière de reprendre la préparation en Autriche, puis en Suisse. On va jouer contre Saint-Étienne et Lyon. J’ai construit cette équipe, j’ai tout fait pour qu’elle soit appréciée au niveau international, pour qu’elle continue à exister et obtienne de bons résultats, mais on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. Ce que je peux vous dire, c’est que je ne laisserai pas le club, le président et les supporters. Je ne fuirai pas, je suis encore sous contrat et je veux le respecter jusqu’à la fin. Je serai le dernier à abandonner.
Ce qu’il s’est passé dans le pays était évitable
Vous qui avez vécu la révolution en Roumanie de 1989, conduisant à l’exécution du dictateur Nicolae Ceaușescu, comment ressentez-vous le conflit actuel ?
Ce n’est pas facile de comparer, c’était autre chose là-bas, il s’agissait de changer de système social à l’époque, alors qu’en Ukraine, c’est l’administration qui devait être changée. En Roumanie, en 1989, ce n’était pas une démocratie, car il y avait seulement un parti communiste. En Ukraine, il y a une multitude de partis, le pays est démocratique. J’aurais préféré qu’ils attendent encore un an pour faire les élections et les gagner. Ce qu’il s’est passé dans le pays était évitable, s’il y avait eu des démissions ou des manifestations pacifiques, par exemple. Cela n’a pas été le cas et à Kiev, les gens ont considéré que c’était leur droit de faire la même chose (les manifestations violentes, ndlr). Il y a eu un manque d’expérience démocratique.
Quels espoirs après l’élection de Petro Porochenko ? Était-ce une « élection démocratique » , comme le disent les instances mondiales ? (De nombreux bureaux de vote ont été attaqués le jour des élections, empêchant certains Ukrainiens de voter, ndlr)
L’Ukraine a mis en place un nouveau président, parce que son prédécesseur n’arrivait pas à gouverner. L’administration n’était pas bonne. Et puis, ceux qui ont pris le pouvoir par les armes à Kiev avant que le nouveau président ne soit en place ne pouvaient pas intervenir de manière légitime. Après, c’est difficile pour moi de répondre sur des questions politiques, je ne peux pas me permettre de juger tout cela…
Lorsque vous étiez à Donetsk il y a quelques jours (il est en ce moment « en vacances » en Italie, ndlr), ressentiez-vous une quelconque insécurité ?
Non, on sortait dans la rue, il n’y avait aucun problème à ce moment-là. Les conflits et les attaques à Donetsk sont arrivés plus tard, avec l’élection du nouveau président et sa décision de reprendre la ville, ce qui est absolument normal. La ville doit appartenir à l’Ukraine. Même maintenant, les gens travaillent là-bas, je parle avec eux, bien que beaucoup soient partis.
Quels changements faut-il apporter au football ukrainien pour lui permettre d’évoluer ?
Peut-être réduire le nombre d’équipes à 12 pour rendre le championnat plus fort. Je suis persuadé qu’en faisant comme cela, notre championnat sera beaucoup plus compétitif. C’était ma proposition à la Fédération ukrainienne, donc on va voir ce qu’il va se passer.
Que pensez-vous de l’élection de Vitali Klitschko, l’ancien boxeur, au poste de maire de Kiev ?
Je ne le connais pas et je ne suis pas habilité à en parler. Mais à mon avis, le sport ukrainien pourra profiter de sa présence au poste de maire de la ville. Je ne peux que lui souhaiter d’avoir beaucoup de succès.
D’ailleurs, les grandes figures populaires ukrainiennes doivent-elles publiquement intervenir et prendre parti comme votre président, l’oligarque Rinat Akhmetov (un proche de Porochenko, ndlr) qui appelle au calme et à l’union du pays ?
Le niveau social et politique, ce n’est pas mon travail. Mon job est de faire tout ce qui est possible pour que cette équipe continue d’exister au haut niveau. Le plus important est de continuer à jouer. Le football est aimé partout et je pense que ça ne changera pas. Le président veut aussi à tout prix rester avec cette équipe. Il l’aime beaucoup, et a d’ailleurs construit un stade extraordinaire à Donetsk.
Ressentiez-vous la peur du conflit dans les stades ou ce lieu est-il plutôt propice à la paix, selon vous ?
Nous avons démontré que les supporters étaient fantastiques. Ils se comportent de manière civilisée, ils ont réconforté les joueurs. Par exemple, le report du match contre le Dynamo Kiev a été une grave erreur (des réunions solidaires de groupes d’ultras du Shaktar et du Dynamo Kiev ont eu lieu en marge de la suspension du championnat, ndlr). Le football peut avoir des répercussions positives sur ce genre de conflit, il peut énormément aider.