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Minanda, le cœur de l’homme
Crack du PES United, le numéro 10 portugais a traîné son talent et ses chaussures blanches sur les pelouses de toute l’Europe. Désormais retraité, il reçoit, chez lui, à Lisbonne, pour revenir sur une carrière que beaucoup jugent ratée. Où quand l’histoire d’un homme dépasse celle d’un joueur.
O Eléctrico do Chile n’a ni un nom de restaurant, ni un nom très portugais. C’est pourtant un restaurant portugais. Une tasca, en VO. Et, comme beaucoup d’entre elles, cette cantine située au numéro 23 de la rue Antonio Pereira Carrilho, à Lisbonne, a en guise de vitrine des daurades fraîches de la pêche du matin, des pavés de saumon à la couleur réconfortante et quelques filets de bœufs suspendus à des crochets. En se faufilant dans l’entrée étroite, le nez apprécie les effluves de poissons grillés, les oreilles sont caressées par un brouhaha anormalement agréable tandis que les yeux se posent, un coup sur la télé qui donne des nouvelles de la Liga Nos, le championnat portugais, puis sur un dessin très peu réussi, censé être un portrait du patron, « Monsieur Zé », et de sa femme. Attablé dans un coin, loin de la cuisine, mais proche des toilettes, un homme se tient seul avec la sérénité de l’habitué. Vêtu d’un simple T-shirt blanc qui bonifie un teint qui n’en a pas besoin, ce beau quadragénaire semble hermétique à l’effervescence créée par le premier service. Il est 12h16 quand il ôte la serviette de son cou et se lève de sa chaise en bois pour tendre sa main : « Bonjour, je crois que c’est moi que vous cherchez. Je suis Minanda. Ça vous dérange si on déjeune ensemble ? »
Son français presque parfait, il le tient autant de son érudition naturelle que de ses années passées aux côtés « de frères plus que d’amis » , le robuste défenseur central Valeny et son compère travailleur du milieu de terrain, Espimas. Aussi à l’aise avec le menu de sa tasca que sur phase arrêtée à l’époque du PES United, le Portugais est de ceux qui choisissent pour leurs invités. « Je ne veux pas que tu te trompes » , balance-t-il, au moment d’interpeller le serveur, Pedro, fils de monsieur Zé et supporter invétéré du Sporting. Tout sauf déplaisant, le menu Minanda consiste en une « soupe du jour » aux légumes, avec quelques morceaux de chorizo pour l’égayer et un « robalo » (du bar, N.D.L.R.) grillé, assorti de légumes grillés et de frites à en oublier que les Belges sont les patrons du game. Après s’être lavé les mains, le numéro 10 de légende fouille dans la poche de son 501 pour y trouver un billet de 20 euros qui suffira à régler la note et à offrir une bière à Pedro, qui lui fait un signe du pouce, témoignage de sa gratitude. Minanda fend alors la foule pour s’extirper de la cantine, puis de la queue qui s’est formée devant. C’est là, face à ces regards admiratifs, que l’on comprend définitivement que cet homme n’est pas n’importe qui.
Rui Costa ou renégat ?
Il reçoit avec le sourire imperturbable de l’homme qui sait qu’il a du pouvoir et, à Lisbonne plus qu’ailleurs, c’est peut-être normal. Directeur du quotidien sportif A Bola, Vítor Serpa porte la cravate fantaisie comme Jean-Pierre Daroussin dans le Bureau des légendes et des pellicules sur ses épaules comme du parmesan sur un plat de pâtes. « Vous savez qu’il y a un dicton sur Minanda, à Lisbonne ? interroge-t-il.Ici, on dit que la ville est divisée en trois + un. Il y a les supporters du Benfica, les supporters du Sporting, les gens qui veulent se faire remarquer et qui sont pour Belenenses et, chez tous ces gens-là, il n’y a qu’un sujet autour duquel ils ne se tapent pas sur la gueule : au moment de dire que Minanda est le seul joueur de football portugais à avoir eu autant de classe et de talent que Luís Figo et Rui Costa. »
Jouer pour le PES United en étant comparé à un Ballon d’or aux 127 sélections et à l’artiste du Benfica, de la Fiorentina et du grand Milan, tel était le tragique dessein de Minanda. Car si tous s’accordent à dire que le coéquipier de Castolo avait le talent, ils se rejoignent aussi au moment de manifester leur incompréhension quant à la trajectoire d’un garçon qui aurait pu devenir le plus grand joueur du pays, devant Cristiano Ronaldo.
« Quand il était petit, au centre de formation du Benfica, on lui prédisait un futur dans les plus grands clubs du monde. Je le suivais sur les tournois internationaux et je n’avais vu ça qu’une fois, c’est quand j’ai vu jouer Juan-Roman Riquelme. Je vous le jure : Minanda, il était lent comme un âne contrarié, mais il n’avait même pas besoin de courir pour faire gagner son équipe » , abonde Serpa. Dans un billet d’humeur publié le soir de la retraite officielle de Minanda, le directeur de A Bola se montrait pourtant moins bienveillant. Comme beaucoup de Portugais à l’époque, la carrière du numéro 10 se terminait avec un goût difficile à décrire, quelque part entre celui de l’inachevé et celui du gâchis. « Il y a des joueurs nuls, des joueurs bof, des joueurs bêtes. Des fiertés nationales et des hontes confidentielles. Parce qu’il a choisi de passer la totalité de sa carrière à l’ombre, capitaine de proue d’un bateau qui n’intéresse même pas les eaux, Minanda est et demeurera le plus grand mystère du football portugais » , écrivait-il, dans un édito passionné qui fera date. Un couteau remué dans la plaie béante de Minanda et un oubli majeur : l’histoire d’un footballeur est avant tout celle d’un homme.
Cela fera plaisir à Serpa : Minanda a certainement moins bien gagné sa vie en une décennie passée sous les couleurs du PES United que s’il avait cédé aux sirènes de Man Red ou de North London. Les sous, ni un problème ni une fin en soi pour le principal intéressé : « Vous savez, avec Castolo, j’avais le meilleur salaire du PES United. On est comme cul et chemise lui et moi, on a habité ensemble à son arrivée en Europe, alors je peux le dire : il en a peut-être moins gardé que moi, le salaud, mais aujourd’hui, j’ai largement assez pour bien vivre. Qu’est-ce que je foutrais avec des millions d’euros en plus ? Vous avez vu ce qu’on a bouffé à midi ? C’était bon, non ? 15 balles. » Pour mieux comprendre ces mots glissés lors du déjeuner, il faut grimper dans une voiture, brancher la radio Oxigénio, longer le Parc de Monsanto, où Minanda a tapé dans ses premiers ballons, et s’engager sur la A2. Il ne suffit que de quelques minutes pour que le pont du 25 avril ne se dresse devant vous pour vous aider à traverser le Tage. C’est de l’autre côté de la rive, entre la côte touristique de Caparica et Setúbal, que Minanda a posé ses valises après sa carrière. Une maison à son image, sobre, élégante et accueillante, qu’il a rachetée à une vieille connaissance. Chapeau sur la tête, pieds nus, il ouvre la porte et invite à boire une eau pétillante de la marque Pedras en guise d’apéro.
« Je crois que j’ai trop vu Castolo picoler. Même une bière, c’est assez rare pour moi » , sabre-t-il d’entrée de jeu, avant de reprendre au moment où il voit nos yeux se poser sur les belles bouteilles de vin rouge près du barbecue : « Ça, c’est pour ce week-end. Vous savez, si je vous ai proposé ce week-end-là pour notre interview, c’est parce qu’une fois tous les deux ans, le premier week-end de mars, avec les collègues du PES United, on se fait un week-end. Cette année, c’est moi qui reçois. Certains voient ça comme une virée dans le passé. Je sais que mon ami Castolo n’est pas toujours à l’aise avec ça. Il a du mal avec sa vie d’après. Moi, je suis plus tranquille. Mais ça n’a pas toujours été le cas. On en parlera plus tard. » Il se lève, retire son T-shirt et s’en va tondre la pelouse, où un filet laisse à penser que plus tard dans le week-end, ça va se fritter au tennis-ballon. En parlant du bon vieux temps.
Le grand Real, le petit PES United
Dans le salon, un maillot encadré saute aux yeux. C’est celui du Real Madrid. Il est floqué du nom « Miranda » . Assis dans un canapé qui semble épouser chaque forme de son corps encore sculpté, Minanda brise la glace : « Sincèrement, je ne saurais pas te dire pourquoi ce cadre est encore ici. Il s’agit du pire souvenir de ma vie additionné au pire souvenir de ma carrière. Peu de gens le savent, en fait, personne ne le sait à part ma psychologue, mais si j’ai changé mon nom, de Miranda à Minanda, c’est parce que je ne voulais plus avoir le même nom que mon père. Mon père est un homme qui a fait beaucoup de mal à ma famille et à ma mère en particulier et je ne voulais plus partager son nom. Quant au maillot du Real, c’est parce qu’après mon passage chez les jeunes du Benfica, j’ai été jouer à Madrid, pour la Castilla. Ça s’était bien passé. Mieux que ça, même, puisqu’une place m’attendait dans l’équipe pro, alors même que Luís Figo était encore là. Tu imagines le rêve ? Mais à cette époque, je voulais être auprès de ma mère. Certains diront que choisir, c’est renoncer. Alors oui, j’ai peut-être renoncé au Real et à encore plus. Mais j’ai choisi ma mère et je ne le regretterai jamais. »
On n’en saura pas plus sur le drame familial qu’a vécu le Portugais. Ce qui est sûr, c’est que le Real tout entier se souvient encore de ce moment. Légende vivante de la Maison-Blanche, Raúl se rappelle la démarche chaloupée du jeune Pportugais comme si c’était hier. « Il était différent. Un garçon très bien éduqué, dont on pouvait percevoir qu’il avait une compréhension supérieure du football, autant dans le côté tactique que dans ce que j’appellerais l’instinct. Sur les quelques séances que l’on avait partagées lui et moi, je peux vous dire que s’il avait joué pour nous, je serais à beaucoup plus que 323 buts, se marre-t-il. Son sens de la passe, c’était juste dingue. Et je vous dis ça, mais à cette époque on avait Beckham et Zidane, hein. Pour vous situer le phénomène, je ne suis même pas sûr que David aurait continué à tirer les coups francs… »
« À cet instant précis, je suis à une croisée des chemins, reprend Minanda, devant son petit-déjeuner. J’ai 19 ans, je suis un bon footballeur, un fils qui veut prendre soin de sa mère et un garçon qui n’a pas été éduqué pour rentrer dans le moule du football pro et du star-système. Moi, je voulais prendre du plaisir avec mes potes. C’est ce que les journalistes portugais n’ont jamais accepté. Pourtant, je pense avoir réussi ma mission et plus encore : je pense que j’en ai donné, du plaisir. Et pas qu’un peu. À ce moment de ma vie, le PES United, c’est un choix évident. De là à me dire que ça allait durer toute ma vie de footballeur, je ne l’aurais pas juré. Mais j’ai trouvé une putain de famille. J’ai trouvé des dirigeants qui ont accepté de prendre soin de ma mère. J’ai trouvé une équipe dans laquelle j’ai pu m’épanouir en tant que leader technique. Une équipe pour laquelle tout le monde avait de la sympathie et au sein de laquelle personne ne me cassait les couilles si on perdait un match. J’ai pu vivre dans le plaisir et la sérénité. Et pour quelqu’un qui a connu la dépression comme moi, ça valait tout l’or du monde. » Une histoire de vie donc, qui a poussé Minanda à traîner ses crampons d’un blanc immaculé sur les pelouses de l’Europe entière avec une équipe que beaucoup jugeaient pas assez bonne pour lui. « Et alors ? » , devait-il certainement penser à l’époque, comme un doigt d’honneur à la presse et aux observateurs. Un côté rock & roll qui contraste avec la première impression qu’on se fait du bonhomme. En témoigne le bruit des grosses voitures qui commencent à faire la queue devant le portail. Le week-end commence.
Ximénez le seul absent
Au fur et à mesure des abrazos que s’échangent les anciens coéquipiers, le tempérament de Minanda semble évoluer. Lui, si calme et posé, semble retrouver la connerie. L’esprit de groupe, certainement, mais pas seulement. Castolo, l’ami de toujours, la tomate
de sa mozza, débarque avec un magnum de champagne à la main et s’affaire immédiatement au barbecue, poste qui lui semble réservé avec autant de fermeté que celui de numéro 9 à l’époque. Autre grand ami, Espimas est là, avec son traditionnel chapeau de paille sur la tête et sa bouteille de pastis Henri Bardouin, lui, le jeune retraité de Pierrevert, près de Manosque. « Shaba ! » , crie-t-il, avec les larmes aux yeux avant de nous expliquer : « Je l’appelais comme ça à l’époque, une blague à la con. J’adorais Monaco et si tu colles le tout, ça fait ShabaMinanda, comme Nonda ! » Et les bises continuent, Valeny est là, Macco, Stein, Stresser et Ordaz ont tous laissé femme et enfants pour ce moment touchant, quelque part entre le Cœur des hommes et Very Bad Trip. Seul absent de marque, Ximenez, l’autre technicien du milieu de terrain. Officiellement, l’Espagnol est malade. C’est l’Australien Burchet, toujours le plus rapide, qui dégaine l’explication officieuse : « Ximé, il n’a jamais trop aimé Minanda. Il voulait être celui qui tire les coups francs, il voulait le numéro 10, il voulait être le leader technique. Le problème, c’est que Minanda, tu n’auras jamais une raison valable de ne pas l’aimer. Donc sa jalousie, ça lui fait faire des trucs de con, tu vois. Je l’aime bien, Ximé, mais là, on a quarante piges. L’ego, tu le mets de côté. »
Le boulot, aussi. Si l’information est le travail principal du journaliste, la pudeur se rappelle vite à nous au moment où, après le barbecue, tout ce beau monde pose ses fesses dans le jardin, un verre à la main. Certains regardent les étoiles, d’autres se regardent entre eux comme s’ils ne faisaient qu’un comme la Grande Ourse. Devant autant de complicité, on se sent comme un cheveu sur la soupe servie à Eléctrico do Chile. Comme si sa vision du jeu ne l’avait jamais quitté, Minanda jette un coup d’œil vers nous et nous raccompagne à notre voiture. Il nous remercie de ce bon moment passé ensemble, tend un maillot du PES United comme un pass pour faire partie de la famille et, au moment de retourner voir ses frères, ne peut s’empêcher de jeter un regard au maillot du Real Madrid encadré. Peut-être pense-t-il à son père. Peut-être pense-t-il à la carrière qu’il aurait pu avoir. Une chose est sûre : cet homme n’est pas n’importe qui.
Par Swann Borsellino