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- Décès de Siniša Mihajlović
Mihajlović, le plus beau des coups francs dans le ciel
Il a été le meilleur tireur de coups francs de son époque, et probablement l'un des meilleurs tireurs de l'histoire, tout court. Après une longue bataille contre la leucémie, Siniša Mihajlović est décédé ce vendredi 16 décembre, à l'âge de 53 ans. L'Italie et la Serbie pleurent ensemble.
« Siniša, la la la lallalla. Siniša, tire la bombe, tire la bombe et fais-nous rêver ! » Pendant six saisons, à chaque fois qu’un arbitre sifflait un coup franc en faveur de la Lazio, le même refrain s’élevait des gradins du Stadio Olimpico. Siniša Mihajlović prenait alors le ballon, le positionnait délicatement, jetait un œil au gardien et envoyait une bombe. Bien souvent, cela finissait au fond (33 fois en six saisons sous les couleurs biancoceleste), à tel point qu’à une certaine période, à cheval entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, on considérait le Serbe comme le meilleur tireur de coups francs au monde. C’était il y a un peu plus de vingt ans, une époque où le géant serbe semblait inébranlable, intouchable. Oui, mais voilà, il y a quelques années, en juillet 2019, les médecins lui ont détecté une leucémie. Si Siniša avait pu tirer l’une de ses fameuses bombes sur la maladie, nul doute qu’elle n’aurait pas fait long feu. Cela ne fonctionne malheureusement pas comme ça. Après plusieurs années de bataille, de rémission et de rechute, Siniša Mihajlović a succombé à sa leucémie, laissant derrière lui une femme, Arianna, et six enfants : Marco, Viktorija, Virginia, Miroslav, Dusan et Nicholas. Terrible.
Sujet d’études
Siniša Mihajlović est né le 20 février 1969 à Vukovar, en ex-Yougoslavie. Très jeune, il se passionne pour le football, tape ses premiers ballons dans la rue et tire ses premières bombes contre des murs. « Je prenais un ballon, je traçais des ronds sur le mur et je visais les ronds, le plus fort possible », raconta-t-il un jour dans une interview à la RAI. « Ou alors, j’allais sur le terrain où il y avait deux buts sans filets, et je tirais d’un but à l’autre, sans jamais me fatiguer. » Il rejoint rapidement Borovo, le club voisin, puis signe à Vojvodina, où il devient déjà l’une des figures emblématiques du championnat yougoslave. Il s’y fait remarquer en marquant un coup franc de 65 mètres face à Novi Sad… « Avec un rebond, quand même », précisa-t-il. En 1990, il est recruté par l’Étoile rouge de Belgrade. Le public français le découvre le 29 mai 1991, lors de la finale de Coupe des clubs champions entre l’Étoile rouge et l’OM. Numéro 8 sur les épaules, il règne alors au milieu de terrain, aux côtés de Robert Prosinečki et Dejan Savićević, futures stars du Real Madrid et du Milan. Ce soir-là, il remporte la C1, aux tirs au but, et ne tremble pas pendant la séance. « Lorsque j’ai tiré ce penalty, j’ai repensé au terrain en bas de chez moi. J’ai visualisé les buts vides, et j’en ai visé un. C’est rentré », raconta-t-il.
Ses tirs, si puissants, deviennent le sujet d’études de chercheurs du département de physique de l’université de Belgrade, qui enregistrent une vitesse maximale de 165 km/h sur l’une de ses fameuses bombes. « Une fois, quand j’étais à l’Étoile rouge, des gens de l’université de Belgrade sont venus pour étudier la puissance, la trajectoire et la rapidité de mes coups francs. Je suis resté plusieurs jours avec ces messieurs. Ils avaient même des instruments bizarres. Ils m’ont longuement interrogé, puis ont étudié et mesuré. Résultat ? Ils n’ont absolument rien réussi à comprendre. Le ballon n’est pas une chose facile, tu dois parfaitement le connaître pour le comprendre », expliquait-il dans un entretien à la Gazzetta dello Sport.
Le triplé contre la Sampdoria
Alors que la guerre fait rage dans les Balkans, Mihajlović est recruté par la Roma à l’été 1992. Mais son adaptation au championnat italien est difficile. La Serie A est plus exigeante tactiquement, et Siniša ne montrera jamais à Rome le niveau qu’il avait affiché dans son pays. Pas de quoi refroidir la Sampdoria, qui le recrute en 1994. À Gênes, Mihajlović rencontre l’homme qui va alors changer sa carrière : Sven-Göran Eriksson. Pour le coach suédois, Miha n’a rien à faire au milieu de terrain, ni même sur un côté. Il décide de le reculer au poste de défenseur central. Choix gagnant : à ce poste, Mihajlović s’impose comme l’un des tout meilleurs défenseurs du championnat. Libéré mentalement, il retrouve également son efficacité sur coup franc, comme au temps de l’Étoile rouge. Eriksson quitte la Sampdoria à l’été 1997 pour la Lazio. En arrivant à Rome, il signifie à son président, Sergio Cragnotti, qu’il veut que Mihajlović le rejoigne à tout prix. Le vœu sera exaucé un an plus tard.
C’est donc à la Lazio que Mihajlović va véritablement connaître son apogée. Aussi bien en défense, où il est associé à Alessandro Nesta (quelle doublette) que sur coup franc. Lors de sa première saison romaine, il plante huit buts, tous sur coup franc. Son plus grand chef-d’œuvre a lieu le 13 décembre 1998, lors d’un Lazio-Sampdoria. Ce jour-là, face à son ancien club et donc face à son ancien gardien, Fabrizio Ferron, Mihajlović inscrit un triplé sur coup franc. Avant de tirer la troisième bombe, il indique même à Ferron le signe 3, comme pour lui signifier qu’il allait planter un triplé. Certaines de ses bombes ont marqué l’histoire du club romain : le tout premier but de l’histoire de la Lazio en Ligue des champions, face à Leverkusen, un coup franc victorieux à Stamford Bridge qui qualifie la Lazio pour les quarts de finale de la C1 ou encore un coup franc magistral face à la Fiorentina qui lance la Lazio en tête de Serie A. Pour Siniša, le coup franc est un art, qu’il faut chérir. « Tu dois frapper la balle avec décision, très fort et vraiment « couper » le ballon, y imprimer une trajectoire. Je ne veux pas exagérer, mais le ballon doit être piloté avec ton cou-de-pied. Je suis peut-être présomptueux, mais personne n’a tiré les coups francs comme je l’ai fait. Selon vous, un gardien de Serie A se ferait surprendre si la balle était lente et que la trajectoire était prévisible ? »
Deuxième carrière sur les bancs de touche
À la Lazio, Mihajlović gagne à peu près tout : le Scudetto, la Coupe des coupes, la Supercoupe d’Europe, deux Coupes d’Italie, deux Supercoupes italiennes. Lors de sa période romaine, il se retrouve néanmoins au cœur de plusieurs polémiques, notamment pour avoir affiché son soutien au Tigre Arkan, son grand ami (ancien chef des ultras de l’Étoile rouge, à l’époque où Mihajlović y jouait), et au général – et non moins criminel de guerre accusé de génocide – Ratko Mladić, un « grand guerrier qui combat pour son peuple », selon le joueur. En 2003, il est également suspendu 8 matchs en Coupe d’Europe pour avoir craché sur le Roumain Adrian Mutu.
Alors que la Lazio frôle la banqueroute à l’été 2004, Mihajlović part terminer sa carrière à l’Inter, où il ne dispute que 25 matchs en deux saisons, suffisant tout de même pour marquer cinq buts. La suite de sa carrière s’écrira sur les bancs de touche. De 2008 à 2018, il passe sur ceux de Bologne, Catane, la Fiorentina, la Sampdoria, Milan et le Torino. Plusieurs fois, il déclare ouvertement son amour à la Lazio, club dont il est resté très proche, mais ses nombreux appels du pied pour en devenir un jour l’entraîneur sont restés sans réponse. C’est donc à Bologne, club où il avait vécu sa toute première expérience d’entraîneur en novembre 2008, que Siniša revient définitivement en janvier 2019, six mois avant de découvrir qu’il est atteint d’un cancer du sang. Pendant toute sa bataille contre la maladie, Mihajlović continuera de coacher son équipe, sur place quand il le pouvait, ou à distance quand les soins de chimiothérapie étaient trop lourds. Avec Bologne, il décroche quatre maintiens plutôt tranquilles, obtenant un respect éternel des supporters, avant d’être remercié en septembre 2022.
« Serrer mon père dans mes bras »
En 2020, alors que le monde contemplait la pandémie de Covid-19 et que Mihajlović se battait contre son cancer, il avait accordé une longue interview à la Gazzetta dello Sport. Les mots étaient déjà forts à l’époque, mais aujourd’hui, quelques heures après l’annonce brutale de son décès, ils résonnent au moins aussi fort que ses bombes dans un stade en fusion. « Mon père était chauffeur de camion et est mort à l’âge de 69 ans d’un cancer du poumon. Quand il est parti, je n’étais pas là. Je pense à lui tous les jours. Quand je parle de rêves, je ne pense pas à soulever une Ligue des champions ou un Scudetto. Le mien est impossible : pouvoir à nouveau serrer mon père dans mes bras. J’ai vécu ces 50 ans comme je le voulais. L’adolescence en Serbie, ma carrière, l’Italie, Rome, mes six enfants, la pauvreté, le succès, la richesse. Mais aussi deux guerres, mes blessures, mes larmes… Aujourd’hui, si je regarde en arrière, je peux dire : « Siniša, quelles vies tu as vécues… » » Rien de mieux à ajouter. Tire la bombe, Siniša.
Par Éric Maggiori