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Mediapro, Téléfoot et la Ligue 1 : la révolte des consommateurs ?

Pierre Rondeau
Mediapro, Téléfoot et la Ligue 1 : la révolte des consommateurs ?

Voilà, le dirigeant espagnol Jaume Roures l’a annoncé mercredi : Mediapro se maintient en France. Pour l’instant, il ne paye pas donc, mais il reste. Et s'il était grand temps que le consommateur se rebiffe ?

Durant une conférence de presse d’une heure, calquée sur les grandes stratégies à suivre en communication de crise, Jaume Roures a cumulé les poncifs. « Mediapro se maintient et compte poursuivre son développement en France », « c’est la crise, personne n’avait pu anticiper l’apparition de la covid19 et de la situation économique et sanitaire », « Mediapro est un groupe solide, tenu par ses actionnaires. Je crois en notre projet ». Méthode Coué ou aveuglement irrationnel, toujours est-il que de nombreuses questions subsistent.

Jusqu’à quel point le groupe sino-espagnol va-t-il tenir ? Il doit déjà 172 millions d’euros à la Ligue à la suite de l’absence du second versement d’octobre et alerte, parce qu’une procédure judiciaire est en cours, que le troisième, prévu en décembre et estimé à 150 millions d’euros, n’aura pas lieu. Concrètement, la LFP et les clubs français vont vivre à crédit jusqu’à cette date… voire sur toute la saison. Ils ont ainsi obtenu un deuxième prêt, via une banque britannique, d’une valeur de 112 millions d’euros qui pourrait monter à 300 millions d’euros, après avoir dû intégrer un prêt garanti par l’État (PGE) à leur comptabilité. Mais ce second prêt est garanti par la promesse que Mediapro paiera plus tard, un jour ou l’autre, ce qu’il doit. En gros, le football tient parce que son débiteur lui a assuré des fonds a posteriori à partir d’un modèle non rentable et avec l’aide d’actionnaires non solvables. On continue comme ça ? Pour citer Arnaud Simon, directeur fondateur d’In&Out Stories et spécialiste de l’économie des médias, « la LFP se comporte comme un propriétaire qui a un locataire dans les murs, Mediapro, qui ne peut plus payer le loyer et qui se sait inexpulsable car l’hiver arrive et qu’il a lancé des procédures qui le protègent juridiquement pour les prochains mois ».

Le football est sauvé… mais jusqu’à quand ?

Certes, la Ligue a corrigé la situation, a pansé la plaie béante du football et a assuré de la trésorerie aux équipes déficitaires. Mais elle n’est absolument pas guérie. Sa situation reste totalement incertaine et inquiétante. Un simple grain de sable dans les rouages suffirait à faire s’écrouler tout l’édifice. Que se passerait-il si la crise économique se maintenait, si les mesures sanitaires se renforçaient et se prolongeaient sur la saison ? La situation est déjà gravissime, mais rien n’est réglé, et le pire peut encore arriver.

Alors oui, juridiquement parlant, la LFP et Vincent Labrune ne pouvaient pas briser le deal avec Mediapro. Parce que le maintien de l’état d’urgence, prolongé le 16 octobre dernier, assure les entreprises en faillite, et que si un nouvel appel d’offres avait été lancé, tout laissait croire que Canal+ et beIN Sport, les diffuseurs historiques, se seraient positionnés au rabais. Mais que fallait-il faire ? Croire Jaume Roures et lui accorder une confiance aveugle ? Non merci. Accepter une renégociation du contrat à la baisse sans contrepartie ni condition ? Non merci. Le doute persiste et persistera toujours, la confiance est rompue. La marque Téléfoot a pris un coup sévère sur la tête et il faudra du temps avant qu’elle ne retrouve une certaine réputation. Quelque chose est brisé, et plus rien ne fonctionnera comme avant. En revanche, ce qu’il faut garder ou se mettre en tête, c’est la force et le pouvoir du consommateur.

Le jeu dont vous êtes le héros

Finalement, si l’on veut changer le football, il ne sert à rien de le réformer, de le réguler, de demander de l’aide des autorités publiques ou de n’importe quel autre acteur, il suffit de décider ce que l’on veut voir et ne pas voir. C’est ça, le pouvoir du consommateur. Dès le début, nous avons alerté sur le business plan plus que bancal de Mediapro, qui pensait fonctionner avec une offre à 25€ par mois pour seulement 80% des matchs. Beaucoup l’ont cru, comme Didier Quillot, qui était persuadé que « même à 40€, la chaîne pouvait marcher ». Nous, consommateurs, avons toujours critiqué et rejeté l’idée.

Et nous avons eu raison. Seulement 600 000 personnes, selon Roures – même si le chiffre fait débat et que de nombreux médias avancent un chiffre largement inférieur –, se seraient abonnées à Téléfoot, alors que la chaîne visait 1,5 million d’abonnés dès la première saison et jusqu’à 3,5 millions pour atteindre le seuil de rentabilité. Si le consommateur ne veut pas, rien ne marche, le modèle ne prend pas et le château de sable se fissure. Il faut arrêter de suivre la logique très mercantile du marché, capable par la seule rencontre d’une offre et d’une demande, de se réguler automatiquement, selon une grande convergence naturelle. En réalité, c’est encore et toujours la demande qui règne, le consommateur qui décide, le consommateur qui achète et qui vote. S’il ne veut pas payer plus de 25€ pour du foot, il ne paye pas, il regarde autre chose ou par d’autres moyens.

Prenez le streaming et l’IPTV par exemple. Grand débat en France, le piratage serait-il responsable de la perte des revenus des diffuseurs ou est-il la résultante des tarifs fixés par les diffuseurs ? Plutôt que d’annoncer une baisse du prix des abonnements, Roures a préféré parler, lors de sa conférence de presse, de la future loi de lutte contre le téléchargement et le piratage en ligne votée à l’Assemblée. Lorsque le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt, non ? Si les gens regardent sur des liens streaming, ne serait-ce pas parce que le prix payé est maintenant trop élevé ? Entre les abonnements Canal, beIN, RMC Sport, et maintenant Téléfoot, sans compter Netflix, Amazon ou Disney +, la facture mensuelle peut vite s’alourdir pour les foyers français qui doivent faire des arbitrages selon ce qu’ils veulent regarder ou non, en priorité et selon leur budget.

Autant d’éléments qui font que, peut-être, au bout d’un moment, le consommateur en a eu marre. Que, peut-être, il ne veut plus être pris pour un vache à lait. Que, finalement, peut-être, les déboires de Mediapro ne seraient que le reflet d’une chose : le consommateur, les consommateurs, ont le pouvoir de tout changer et de tenir les rênes.

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