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Mediapro-Canal : deux prétendants pour un seul trône

Par Adrien Candau
Mediapro-Canal : deux prétendants pour un seul trône

Alors que Mediapro a précisé ce jeudi aux patrons de clubs de Ligue 1 son futur projet de chaîne pour diffuser le championnat de France, le groupe espagnol semble fragilisé par la contre-attaque d'envergure opérée par Canal + ces derniers mois. La chaîne du groupe Vivendi vient de récupérer 76 matchs de l'élite française dans son escarcelle, comme d'acquérir les deux affiches les plus prestigieuses de la C1 par journée, sur la période 2021-2024. Voilà qui augure une baston d'envergure entre deux géants médiatiques qui ont misé énormément sur un sport, le football, qui ne rapporte pas toujours autant qu'il ne coûte...

« Le foot français aura sa maison l’été prochain et ce sera nous. Nous avons plus de 85% de l’offre sur la L1 et 80% sur la L2… » À la sortie de la présentation que Mediapro vient d’effectuer auprès des présidents de clubs lors de l’assemblée générale de la LFP ce jeudi, Julien Bergeaud, le directeur général du groupe espagnol en France, se veut rassurant. Son nouvel employeur est venu démontrer aux gros poissons du foot hexagonal qu’il avait les épaules pour faire de la Ligue 1 une affaire qui roule, télévisuellement parlant. Pari gagné, à en croire Noël Le Graët, pour qui «  Mediapro a convaincu la plupart des gens qui étaient dans la salle » . Derrière le voile optimiste des discours des uns et des autres, les impitoyables réalités du marché ont pourtant rattrapé Mediapro : à la mi-décembre, le nouvel entrant sur le marché des droits TV du foot français n’a que la Ligue 1 et la Ligue 2 à proposer à ses futurs téléspectateurs, pour les saisons à venir.

Le tournant des droits de la C1

Mediapro aura pourtant bien tenté de diversifier son offre. Mais la firme du Catalan Jaume Roures s’est pris en pleine poire la concurrence, notamment celle de Canal. Chauffé à blanc après avoir vu dans un premier temps les droits de la Ligue 1 lui passer sous le nez, la chaîne du groupe Vivendi s’est partagé avec beIN les droits de la C1 de 2021 à 2024, moyennant la somme record de 375 millions d’euros : Canal aura les deux grosses affiches, du mardi et du mercredi, tandis que beIN Sports aura le reste des rencontres. Et Mediapro dans tout ça ? La chaîne espagnole a comme l’impression de s’être fait légèrement entuber par la concurrence.

Jaume Roures avance que, à la suite de la dernière offre du tandem Canal-beIN, l’UEFA n’aurait pas donné à Mediapro la possibilité de surenchérir : « Il y a eu une magouille. Nos offres étaient meilleures sur les deux tours. L’UEFA était en train de tenter d’arriver à cet accord entre Canal+ et beIN Sports pour faire monter l’offre… Mais on ne nous a pas donné l’opportunité de faire quelque chose… La logique aurait été de nous appeler et de tenter de nous faire monter le prix vu que notre offre était proche… » Si l’UEFA semble avoir privilégié le duo Canal-beIN, c’est peut être aussi parce qu’il lui offre plus de garanties financières : « C’est nébuleux, cette histoire… Pour les droits de la C1, l’UEFA a semblé encourager un rapprochement Canal-beIN-TF1, décrypte Pierre Maes, ancien directeur des programmes de Canal+ Belgique et auteur du Business des droits TV du foot. Pourquoi ? Peut-être qu’ils considéraient que Mediapro n’offrait pas assez de garanties financières. Ça n’a pas été dit, mais ça se murmure quand même… »

Canal-beIN, bromance TV

Autre problème, Mediapro a dû composer avec deux concurrents, Canal et beIN, qui semblent faire front commun. Alors que beIN a revendu à Canal moyennant 330 millions d’euros 76 affiches de Ligue 1 par saison de 2020 à 2024, le rapprochement entre les deux groupes semble ne faire désormais de mystère pour personne. Plus significatif encore, à en croire L’Équipe, la chaîne cryptée deviendra à partir du 1er juin 2020 le distributeur exclusif de beIN Sports sur toutes les plateformes. « Donc, il va falloir souscrire à une offre Canal pour avoir beIN, poursuit Pierre Maes. Pour moi, il s’agit quasiment d’un achat officieux de beIN par Canal, n’ayons pas peur des mots. Le truc, c’est que les deux parties craignent l’autorité de la concurrence, qui avait refusé un regroupement similaire en 2016. Donc, toute la communication des deux firmes est axée sur le fait que beIN continue en solo, que la chaîne va répondre aux appels d’offres futurs, etc. Mais ça m’étonnerait qu’ils s’érigent vraiment contre Canal désormais. »

Avant cela, Canal+ avait par ailleurs repris à SFR les droits de la Premier League anglaise, pour 115 millions d’euros. Si la chaîne cryptée dispose désormais d’un catalogue footballistique aussi copieux que diversifié, la facture est donc particulièrement salée (autour de 750 millions d’euros pour l’ensemble des droits TV du foot récemment acquis par Canal). « Ils ont débloqué les budgets pour partir en reconquête, ça vise la survie de la chaîne dans un environnement hyper concurrentiel, mais peut-être, aussi, un vrai succès, estime Pierre Maes. Canal + garde une bonne base d’abonnés, un savoir-faire technique, ils connaissant le produit football comme leur poche… »

En attendant le 5 août

De son côté, Mediapro a déboursé autour de 780 millions d’euros pour les droits de la seule Ligue 1 et annonce toujours que le groupe proposera une chaîne qui coûtera 25 euros par mois au spectateur. Un tarif élevé, qui en laisse plus d’un circonspect quant au réalisme des objectifs de la chaîne, qui vise au moins 3 millions d’abonnés. « Ceci dit, attention à ne pas mélanger deux choses, nuance Pierres Maes. Il y a la viabilité du projet de Mediapro d’un côté et la sécurité financière de l’autre. La question pour les clubs, ce n’est pas tellement de savoir si Mediapro va rassembler beaucoup d’abonnés, mais plutôt de savoir si Mediapro va pouvoir les payer, aux échéances convenues… Et la première vraie tranche de paiement majeure des droits de la Ligue 1 est prévue pour le 5 août, où doivent être versés 131 millions d’euros. »

Ces garanties pécuniaires ne semblent officiellement pas inquiéter les présidents des clubs de Ligue 1, mais ont peut-être influencé l’UEFA dans sa décision d’attribuer les droits de la C1 à Canal et beIN, plutôt qu’au groupe sino-espagnol. Il faudra donc attendre que Mediapro mette concrètement la main au portefeuille, pour savoir si le nouvel entrant a réellement ce qu’il faut dans le ventre pour se faire une place sur le marché impitoyable des droits TV du foot français.

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Par Adrien Candau

Propos de Pierre Maes recueillis par AC, ceux de Jaume Roures issus de L’Équipe.

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