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Maxence Lacroix : « J’ai cassé tous les lampadaires du village avec mon ballon »

Propos recueillis par Adel Bentaha et Matthieu Pécot
Maxence Lacroix : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J&rsquo;ai cassé tous les lampadaires du village avec mon ballon<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Maxence Lacroix est un beau bébé (1,91m, 90 kilos) qui a grandi à Ajat, village de Dordogne de 322 habitants selon le dernier recensement. Fils d'une médecin généraliste et d'un infirmier, le défenseur central de 20 ans, biberonné au lait d'amande et au foie gras, n'a eu besoin que d'une saison en Ligue 2 à Sochaux pour taper dans l'œil de Wolfsburg, où il est en train de casser la baraque pour sa première année en Bundesliga. Si les Loups ont enchaîné 7 clean sheets et sont actuellement 3es du championnat, ils savent très bien à qui ils le doivent. Entretien avec un jeune homme fier de sa Dordogne et qui a fait du prochain Euro Espoirs l'un de ses gros objectifs.

Tu sors d’une série de 7 clean sheets avec Wolfsburg. Comment as-tu vécu cette période ?Au début, on ne s’en rendait pas vraiment compte, mais au fil du temps, on s’est pris au jeu. Au bout d’un moment, je ne m’interrogeais plus sur les victoires ou les défaites, mais vraiment sur le fait qu’on n’encaisse pas de but. Malheureusement, on en a pris deux le week-end dernier à Hoffenheim et, en plus, on a perdu, donc c’est vraiment chiant.

Une telle série, ce n’est jamais anodin. Ça dit quelque chose de votre identité en tant qu’équipe.Ça signifie qu’on assimile ce que nous dit l’entraîneur : on joue uniquement en bloc. On est l’une des équipes de Bundesliga qui courent le plus, ça résume déjà beaucoup de choses. On a affronté certaines équipes où les attaquants restaient devant, les milieux de terrain à la récupération et les défenseurs derrière. Chez nous, on ne hiérarchise pas les postes. Wout (Weghorst) est le meilleur exemple. C’est notre avant-centre et meilleur buteur, mais c’est surtout notre premier défenseur.

J’ai demandé à notre attaquant Wout Weghorst de me présenter un ancien international néerlandais de volley-ball pour améliorer ma lecture des trajectoires du ballon.

En parlant de Wout Weghorst, il correspond aux attaquants de Bundesliga typiques, avec un gabarit imposant et très mobile. Est-ce que ça t’aide de le fréquenter au quotidien ?Il m’aide beaucoup à l’entraînement, puisqu’il me met en difficulté. Moi, je suis assez rapide, et lui est très doué dans les appels et contre-appels, donc je travaille énormément ma concentration. Avec sa taille (1,97m), il remporte tous ses duels de la tête, donc je m’en inspire. Je lui ai même demandé de me présenter un ancien international néerlandais de volley-ball avec qui il a travaillé et que je souhaite solliciter pour améliorer ma lecture des trajectoires du ballon. Wout m’a expliqué que pour bien sauter, il fallait faire deux grands pas puis enchaîner avec des petits pas pour bien reprendre le ballon. Quand je le vois marquer ses buts, ça m’impressionne. Ses coups de tête, ce sont des coups de canon ! Donc je vais lui piquer ses astuces de buteur pour les adapter à ma position.

Ton dernier but, le mois dernier face au Hertha Berlin, est d’ailleurs un grand coup de tête…Lorsque vous revoyez mon but, je fais plusieurs petits pas avant de m’élancer. Chaque détail se travaille, tout est une question de lecture de trajectoire.

Quel est ton rôle précis à Wolfsburg ?Je suis là pour gérer la profondeur. Pour moi, c’est l’aspect le plus important, surtout en Bundesliga où il n’y a que des attaquants rapides. Ensuite, j’essaye de dégager de la sérénité. Plusieurs coéquipiers m’ont dit qu’ils étaient rassurés lorsque je jouais derrière eux. Ça me fait vraiment plaisir, ça prouve que malgré mon jeune âge, j’ai une image de garçon mature et que je peux devenir un patron.

Face à Lewandowski, je gagne quelques duels et je me dis « Ah ! Il n’est pas si impressionnant… » et sur l’action d’après, il jaillit pour marquer. Voilà, tout se résume à la vigilance.

En débarquant de Sochaux et avec une seule saison de Ligue 2 chez les pros, tu pensais avoir autant de responsabilités aussi vite ?Le club a été clair et m’a dit qu’il me faudrait d’abord une année d’adaptation et qu’ensuite, j’allais progressivement être lancé. Mais j’ai finalement eu de la « chance » : Marin Pongračić est tombé malade, et j’ai été propulsé comme titulaire. Il fallait que je saute sur l’occasion pour montrer que j’étais au niveau. On ne m’a pas juste mis sur le terrain pour faire le nombre ! L’entraîneur (Oliver Glasner) aurait très bien pu se dire : « C’est un joueur qui arrive de Ligue 2, je ne vais pas prendre le risque de le faire jouer », et choisir quelqu’un d’autre. J’ai énormément travaillé pour gagner ma place. Et puis j’ai bien été intégré, notamment par les francophones comme Josuha Guilavogui. C’est un vrai grand frère au sens noble du terme, c’est le taulier du club et de la ville, tout le monde l’aime !

Chaque week-end, tu joues contre des joueurs très physiques. Parmi eux, il y a Lewandowski et Haaland. Ils ont quoi de particulier, ces mecs-là ?C’est simple, ils provoquent la chance. Ils sont toujours à l’affût de tout. Quand il ne se passe rien dans le match, tu te dis que c’est louche et qu’ils vont finir par bondir. Face à Lewandowski, je gagne quelques duels et je me dis : « Ah ! il n’est pas si impressionnant », et sur l’action d’après, il jaillit pour marquer. Voilà, tout se résume à la vigilance. Ce sont des joueurs qui ne laissent rien passer.

Tu as l’air de souhaiter te détacher de cette étiquette de défenseur « bourrin » , comme si tu trouvais péjoratif le fait qu’un défenseur central puisse être rugueux. D’où vient ce combat ?Bien sûr qu’il n’y a pas de honte à aller au duel ! Mais lorsque j’étais plus jeune, on me disait trop souvent qu’un défenseur ne devait se contenter que des duels. Non, pour moi, ce n’est pas comme ça que ça marche, nous sommes avant tout des footballeurs. Ce n’est pas parce que je suis défenseur central que j’ai les pieds carrés. Bon, quand j’ai signé en professionnel, mes passes n’étaient pas appuyées, le ballon rebondissait…

J’étais l’un des seuls jeunes du village. Je passais tout mon temps dehors, à chercher quoi faire. Je me retrouvais souvent à jouer tout seul. Je me mettais sur la route d’en face pour taper dans le ballon. Je tirais contre les murs, je courais tout seul…

Quel est ton tout premier souvenir de footballeur ?C’est un souvenir pas très joyeux. Lors d’un tournoi départemental, on a perdu, et mon père m’a grondé. Il me réprimandait à cause de la défaite et surtout parce que je pleurais. Je pleurais souvent quand j’étais petit, et lui n’aimait pas vraiment ça. Ce moment m’a marqué parce que ça a déclenché quelque chose de fort chez moi. Je suis devenu beaucoup plus exigeant avec moi-même et désormais, j’intériorise énormément les choses. Je ne voulais plus être faible, mais devenir un guerrier. Je me suis mis en mode adulte.

Tu as vécu jusqu’à tes 12 ans à Ajat, un petit village de 322 habitants en Dordogne. À quoi ressemblait ton enfance ?C’est vraiment un petit village très calme, où il y a beaucoup de personnes âgées. J’étais l’un des seuls jeunes. Il fallait tout le temps bouger à vélo pour trouver des occupations. Avant le divorce de mes parents, je passais tout mon temps dehors, à chercher quoi faire. Je me retrouvais souvent à jouer tout seul, sans personne à côté. On avait une maison et je me mettais sur la route d’en face pour taper dans le ballon. Je tirais contre les murs, je courais tout seul et j’avais tout le temps des problèmes avec les voisins. J’ai cassé tous les lampadaires du village avec mon ballon ! Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que dans mon village, il n’y avait aucun noir. Quand mon père est arrivé, les gens se disaient : « Mais qu’est-ce qu’il fait là, pourquoi il s’installe chez nous ? » Les gens nous regardaient un peu bizarrement. Il n’y avait pas beaucoup d’ouverture sur le monde extérieur, c’était assez particulier. Attention, je ne dis pas que c’était du racisme, ce serait trop brutal comme terme. Simplement, au début, les gens étaient surpris de voir une personne qui ne leur ressemblait pas s’installer chez eux.

Comment l’a vécu ton père ?Mon père a grandi à Créteil dans une grande famille antillaise, avec la notion de partage, de vivre tous ensemble, mélangés. Là, il arrive dans un endroit où il se retrouve isolé, un peu seul face au reste. Ça a été un choc pour lui. Étant jeune, il avait un caractère fort, il n’aimait pas se faire marcher sur les pieds. Lorsqu’il est arrivé en Dordogne, il a dû changer sa personnalité.

Ça a dû te faire bizarre de quitter le cocon familial pour le Pôle Espoirs de Talence, à 12 ans.Quand je suis allé vivre à Bordeaux, j’ai été choqué. Tout était immense, j’étais totalement perdu. Je sortais d’un tout petit village et je me retrouvais là, dans une très grande ville qui ressemblait à l’inverse de ce que j’avais connu durant ma jeunesse.

J’adorais les animaux, je voulais devenir vétérinaire. Je côtoyais des agriculteurs et des fermiers, je croisais des moutons, des biches, c’était vraiment magnifique.

En quoi l’apprentissage du foot dans un milieu rural a influencé ce que tu es devenu ?Je pense surtout que tout ça m’a aidé à toujours vouloir plus. Je m’explique : quand tu sors d’un petit village comme le mien, que tu accèdes à un Pôle Espoirs et que tu t’installes dans une ville immense comme Bordeaux, tu n’as plus le droit de revenir en arrière. Il était hors de question pour moi d’abandonner. Quand tu viens de chez moi, tu comprends vite que ce n’est pas envisageable de réussir dans le sport, il n’y a aucun modèle de réussite dans le foot, tu pars de très loin ! Nous n’avions aucune infrastructure dédiée, pas les conditions pour nous entraîner. On n’avait aucun moyen de locomotion, pas de bus, pas de train, tout était loin, il fallait improviser. Ce qui a fait la différence avec les autres, c’était l’envie et le courage de ma mère.

Tu es né à Villeneuve-Saint-Georges, dans le Val-de-Marne (94). Pourquoi avoir quitté la région parisienne ?Ma mère est médecin et a eu l’opportunité d’ouvrir son cabinet en Dordogne. Mes parents voulaient quitter Paris pour trouver de la tranquillité. J’avais neuf mois quand on est arrivés à Ajat.

Le fait d’avoir une mère médecin et un père infirmier, ça ne t’a jamais donné envie de travailler dans le milieu médical ?Médecin, non. Mais plus jeune, j’adorais les animaux, je voulais devenir vétérinaire. Le fait d’avoir grandi à la campagne m’a forcément influencé. Si j’étais resté à Villeneuve-Saint-Georges, je n’aurais sûrement pas eu cette affection pour les animaux. Je côtoyais des agriculteurs et des fermiers, je croisais des moutons, des biches, c’était vraiment magnifique.

Ma mère est médecin, elle me donne encore beaucoup de conseils. Quand j’étais petit, elle préférait me donner du lait d’amande et m’empêchait de mélanger mes Chocapic avec du lait demi-écrémé.

C’est quoi les avantages d’avoir une maman médecin ?Déjà, je ne suis jamais allé chez le médecin, et ça, c’est un luxe. Le deuxième avantage, c’est que ça me facilitait la tâche pour être surclassé. Pour passer d’une catégorie à une autre chez les jeunes, il fallait avoir un justificatif médical. Ma mère signait tous les documents pour moi, j’étais tranquille. Aussi, par rapport à ma préparation physique, elle me donnait des compléments alimentaires. Elle m’empêchait également de boire du lait classique. À l’adolescence, j’avais beaucoup de problèmes de croissance, je grandissais trop vite. Je souffrais du syndrome d’Osgood-Schlatter (douleur récurrente au genou ressentie après les efforts notamment chez les jeunes garçons, NDLR). Ma mère préférait me donner du lait d’amande et m’empêchait de mélanger mes Chocapic avec du lait demi-écrémé.

C’est ta mère qui t’a conseillé d’aller à Sochaux plutôt que Bordeaux ou Toulouse, qui étaient des choix plus évidents géographiquement. Pourquoi ?Elle souhaitait que je m’éloigne de l’environnement dans lequel j’avais grandi, que je me détache de cette zone de confort. Elle avait peur qu’en restant dans la région, je ne puisse évoluer correctement et que je sois distrait par d’autres choses.

Le FC Barcelone est vite venu se renseigner sur toi, lorsque tu avais 17 ans. Mais tu as souhaité en discuter avec ton formateur à Sochaux, Éric Hély…Je voulais avoir son avis pour ne pas me perdre. Il m’avait conseillé de signer professionnel dans mon club formateur pour me créer de la stabilité. Il ne voulait pas que je me lance dans une aventure de footballeur sans même en connaître les bases. Et puis, bien que ce soit le Barça, je ne voulais pas non plus faire n’importe quoi. C’était déjà une satisfaction de pouvoir signer professionnel, en plus dans le club qui m’avait formé. J’étais dans une liste de joueurs ciblés par le FC Barcelone, mais il fallait prendre son temps.

Tu lui dois quoi à Éric Hély ?Il m’a permis d’avoir une deuxième éducation, en tant qu’homme. Il était très rigoureux et la seule chose qui lui importait, c’était le respect, rien de plus, on étais tous logés à la même enseigne. Donc n’allez pas parler de lait d’amande à coach Hély ! (Rires.)

Ta mère est encore impliquée dans ton alimentation ?Elle me donne beaucoup de conseils. Par exemple, pour éviter les inflammations, elle me demande de ne pas consommer beaucoup de tomates, qui sont très acides et qui retardent la récupération. Donc ces conseils, j’essaye de les communiquer à mon cuisinier. Au début, je le laissais préparer un peu comme il voulait, mais au fur et à mesure, je lui ai communiqué mes préférences. Par exemple, le soir, je ne mange que de la salade, donc deux fois par semaine, il prépare une bonne grosse salade. Pareil à midi, lorsque je ne déjeune pas au centre d’entraînement, je lui demande de me préparer des pâtes. Mes repas sont assez précis.

Tu t’autorises quand même des gros craquages au niveau de la nourriture ?Je suis minutieux concernant mes repas, mais je mange ce que je veux. C’est-à-dire que j’essaye toujours de contrôler la quantité. En fait, l’alimentation est une question de mental. Dans ma tête, je peux me conditionner à ne manger que des légumes ou que des pâtes. C’est une question de préparation mentale, pour ensuite préparer le corps.

J’ai eu le Covid et j’ai perdu le goût et l’odorat. Du coup, ma mère m’a envoyé un peu de foie gras pour relancer mes sensations et surtout me réconforter.

Ça fait combien de temps que tu n’as pas mangé de foie gras ?Oh la la ! Ça fait tellement longtemps ! Ma mère m’en envoie régulièrement, mais c’est devenu impossible. En fait, j’ai eu le Covid et j’ai perdu le goût et l’odorat. Encore aujourd’hui, je ne sens pas les aliments. Du coup, ma mère a pensé que ça serait bien de m’envoyer un peu de foie gras pour relancer mes sensations et surtout me réconforter.

Tu sais que le maire de ton village, Didier Clerjoux, fait son propre foie gras ?Bien sûr, je le connais et je connais également sa ferme. C’est une personne qui a vraiment facilité l’intégration de ma famille dans le village. Lorsque nous sommes arrivés, nous n’avions pas encore de logement et il nous a hébergés dans l’annexe de sa maison, le temps de trouver un domicile fixe.

Quand tu es arrivé à Wolfsburg, tu as demandé à Josuha Guilavogui de te donner le numéro de téléphone de son jardinier. Tu avais besoin de retrouver de la verdure ?Oui, totalement. J’ai mal vécu le premier confinement. J’étais dans un appartement, tout seul. Évidemment, il y a des gens dans des situations beaucoup plus difficiles que moi, je ne suis pas du tout à plaindre ! Mais un deuxième confinement dans les mêmes conditions, ça aurait été très difficile. Je suis très casanier, donc dès que j’ai signé à Wolfsbourg et que j’ai eu l’opportunité de prendre une maison avec jardin, je n’ai pas hésité.

Cette liste peut me permettre de lancer mon histoire avec l’équipe de France, d’abord chez les jeunes, puis avec les A. Je suis prêt à représenter mon pays.

Et en dehors du foot, tu fais quoi ?J’essaye de lire beaucoup. Ces derniers temps, je me suis mis sur un livre qui concerne la bourse et que l’on m’a conseillé, qui s’intitule Le Guide de l’investisseur. L’économie et la gestion du patrimoine, c’est un domaine qui m’intéresse. En tant que footballeur, on parle beaucoup d’argent autour de nous, donc c’est mieux de se documenter pour ne pas avoir de surprises.

La liste de l’équipe de France espoirs, en vue du prochain Euro, sort ce lundi 15 mars. Que représente-t-elle pour toi ?Je serai très attentif à la liste de lundi. Je serais le plus heureux du monde de participer au voyage. Je pense que cette liste précise du mois de mars peut être le premier vrai tournant de ma carrière. Elle peut me permettre de lancer mon histoire avec l’équipe de France, d’abord chez les jeunes, puis avec les A. Je suis prêt à représenter mon pays.

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Propos recueillis par Adel Bentaha et Matthieu Pécot

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Maxence Lacroix

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