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Matić, le fou du Mou

Par Maxime Brigand
Matić, le fou du Mou

Alors que José Mourinho le pensait incapable de quitter Chelsea, Nemanja Matić l'a finalement rejoint cet été à Manchester United. Ce recrutement s'inscrit dans l'histoire de la carrière de l'entraîneur portugais qui a toujours fait de ses deuxièmes saisons un exercice triomphant. La rencontre face à West Ham dimanche dernier l'a déjà prouvé : avec le milieu serbe, c'est une nouvelle identité qui se dessine complètement et un Paul Pogba qui se libère, enfin.

Manchester, le 3 février 2014. José Mourinho en est persuadé : s’il est revenu à Chelsea quelques mois plus tôt, c’est avant tout car « les conditions sont (alors) bien meilleures pour réussir et obtenir ce qu(‘il) cherche, la stabilité » . Être ambitieux, vouloir de nouveau briller à la barre d’un navire qu’il a déjà mené deux fois au sommet de l’Angleterre n’empêche cependant pas l’entraîneur portugais – autoproclamé The Happy One à cette époque – de savoir où il va. Au soir d’une victoire précieuse à l’Etihad Stadium face à Manchester City (1-0), Mourinho préfère alors freiner et rétrograder pour calmer l’assistance qui lui fait face : « Je ne suis pas d’accord avec vous. Nous avons déjà perdu des points cette saison et nous en perdrons d’autres. Chelsea n’est pas candidat au titre, ce n’est pas l’objectif. Cette saison, nous gagnerons seulement le titre si Manchester City le perd. Pas autrement. Ce que nous faisons actuellement, c’est ce qu’Arsenal essaye de faire depuis de nombreuses années : construire une équipe et la faire évoluer. Si vous voulez, nous sommes face à deux chevaux adultes et Chelsea n’en est qu’un petit. Un petit cheval qui a besoin de lait et d’apprendre à sauter. Mais attention, l’été prochain, on sera plus matures, et ce, dès la première journée. Là, on sera candidats au titre. » José Mourinho sait déjà comment son effectif abordera les concours de saut d’obstacles la saison suivante et en a même fait la démonstration, en privé, à ses dirigeants. Chelsea doit recruter un attaquant qui ne comprend pas l’expression « période d’adaptation » et un milieu capable d’assumer la création au milieu de terrain. Ce sera Diego Costa et Cesc Fàbregas. Pour le reste, Mourinho a déjà trouvé son fou, ce pion bascule qui doit lui permettre de solidifier son ensemble, arrivé de Benfica en janvier 2014 et dont le Portugais estime qu’il fait « disparaître le moindre point d’interrogation » : Nemanja Matić.

Le vieil homme et le mystère

C’était il y a maintenant plus de trois ans, quelque 1200 jours plus exactement, soit une éternité en football. Une parenthèse qui aura vu Matić entrer définitivement dans le groupe des héros de la petite scène. Contrairement à ses collègues, lui est un héros qui a gagné sur le plan collectif – deux titres de champion d’Angleterre avec les Blues, en 2015 et 2017, et une League Cup en 2015 –, mais aussi sur le plan individuel en étant placé dans l’équipe type de Premier League au bout de la saison 2014-2015, soit un peu plus de quatre ans après s’être posé quelques minutes avec un vieil homme. Ce vieil homme, c’est Jorge Jesus, celui qui restera l’entraîneur qui a dit non au Matić qui se rêvait meneur de jeu. C’était à Benfica, tout au long d’une première année qui aura servi d’apprentissage au milieu serbe, derrière Javi García et devant des piles de DVD, avant de voir finalement le gamin devenir un adulte à Amsterdam, en finale de Ligue Europa 2013, face à Chelsea, club qu’il avait quitté quelques années plus tôt pour laisser David Luiz rejoindre Londres. Puis, cet été, il a donc été une nouvelle fois demandé à Nemanja Matić de vider son casier à Cobham. Pourquoi ? La réponse est un mystère et un renvoi de balles interminable entre un Antonio Conte qui pleure la perte de l’un des piliers du titre acquis par Chelsea en mai dernier – malgré la forme déclinante du joueur depuis l’été 2015 qui lui aura notamment valu quelques batailles avec Mourinho – et un directoire pointé comme responsable, mais qui préfère se taire.

Le mandat et l’été II

José Mourinho, lui, n’a pas changé et tout le monde sait aujourd’hui comment le chef de chantier fonctionne : la première année, il analyse et construit ; la seconde, il doit gagner – ce qu’il a toujours fait depuis le début de sa carrière, de Porto à Madrid en passant par Milan et Londres. Au printemps dernier, Mourinho avait alors demandé à Ed Woodward et ses petites mains de recruter un buteur capable de remplacer Zlatan Ibrahimović – Romelu Lukaku –, un central – Victor Lindelöf – pour solidifier un secteur qui a été l’une des problématiques principales de sa première saison à Manchester United et un milieu indispensable pour apporter une forme de stabilité à son animation, mais aussi libérer Paul Pogba, à qui on a demandé un peu tout et n’importe quoi la saison dernière. Cela aurait pu être Eric Dier, longtemps pisté pour une raison simple : Mourinho n’aime pas « chasser des cibles impossibles » . « J’ai rapidement pu voir en arrivant à Manchester United que j’aurais besoin d’un joueur similaire à Matić, mais il n’en existe pas beaucoup et je ne pensais pas qu’il pourrait bouger. Puis, tout a changé sur un coup de téléphone de son agent » , a confié l’entraîneur portugais après la victoire des siens face à West Ham (4-0) dimanche dernier. Sur le papier, le départ de Nemanja Matić à Manchester United est difficilement compréhensible : pourquoi Chelsea, qui a recruté Bakayoko cet été, renforcerait-il un concurrent pour le titre ? Là aussi, mystère. Aujourd’hui, peu importe, le milieu serbe est arrivé à United pour quelque 45 millions d’euros et c’est finalement tout ce qu’il faut retenir.

Libérer Pogba

Voilà Mourinho enfin en possession de ce joueur pour qui « marquer est un miracle, mais perdre un ballon en est aussi un » (comme il l’explique dans son livre The Beautiful Game and Me, ndlr), ce qu’était Cambiasso dans son Inter ou encore Makelele dans la première version de son Chelsea. Quelques semaines auront suffi pour voir l’apport de Matić, seul à surnager lors de la Supercoupe d’Europe face au Real Madrid (1-2) et boulon décisif dans le saccage de West Ham en ouverture du championnat. S’il ne faut pas tirer de conclusions définitives après une seule rencontre de Premier League, Manchester United tient là le milieu capable d’apporter les dernières retouches à l’identité que souhaite donner Mourinho à son équipe. Face à West Ham, on aura vu toutes les nuances de Matić : l’élégant, le rassurant, le percutant capable d’accompagner les combinaisons offensives comme sur l’ouverture du score de Lukaku et le point d’équilibre qui protège – enfin ! – une défense trop souvent en danger la saison dernière. Soit un profil un poil plus complet qu’un Ander Herrera plus aboyeur ou qu’un Michael Carrick pour qui enchaîner les rencontres de haut niveau sera de plus en plus compliqué. Mieux, en une seule recrue, José Mourinho a répondu au principal casse-tête de la première saison de son mandat : comment tirer le maximum de Paul Pogba, enfin déchargé de ce statut de joueur le plus cher du monde ? Le Français n’est pas un homme qui calcule et il faut l’empêcher de le faire. Il marche à l’instinct, c’est un libertaire et on l’a vu face aux Hammers, face à qui La Pioche a excellé malgré quelques déchets inhérents à son plaisir. Peut-être aussi parce que si Pogba ne cesse de se plaindre, c’est parce qu’il a déjà tout dans la tête et que son football ne se conjugue que par le jeu et rien d’autre. Le voilà installé avec un milieu qui parle son langage et qui est prêt à le laisser s’épanouir. Qu’en pense Paul Pogba ? « La saison dernière, la première question qu’on me posait était toujours au sujet du prix de mon transfert. Nemanja nous apporte une solidité supplémentaire. Aujourd’hui, tout le monde me parle de jeu, de football. Tout est dit. »

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