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Mason, tempête sous un crâne

Par Maxime Brigand
Mason, tempête sous un crâne

Gravement blessé à la tête en janvier 2017 après un duel avec Gary Cahill, Ryan Mason a annoncé sa retraite sportive cette semaine. La fin d'une carrière marquée par les blessures, mais surtout la mise en retrait d'un symbole du Tottenham moderne.

« À cet instant, je me suis retrouvé dans un état de calme intérieur presque unique et la dernière chose dont je me souviens, c’est d’un tableau où je voyais Rachel courir sur une colline avec un chien et deux petits enfants : un garçon et une fille. » Ryan Mason, 25 ans, est en blouse blanche, déconnecté. Lui parle plutôt d’une expérience de hors-corps, d’un voyage mystique, presque irrationnel. C’est autre chose : la formation d’une bulle, le complexe du pronostic vital, le bruit d’une ambulance, des questions. Des milliers de questions auxquelles il ne peut plus répondre depuis déjà plusieurs minutes. Moins d’une heure plus tard, quatorze plaques métalliques et quarante-deux agrafes seront glissés dans son crâne. Un mystère : pourra-t-il seulement remarcher un jour ? Lorsqu’il découvre le corps inerte de Mason au milieu de Stamford Bridge le 22 janvier 2017, en plein après-midi, le médecin de Hull City, Mark Waller, renverse le sablier. « Il a tout de suite compris que mon crâne était fracturé parce que le côté droit de mon visage était paralysé, racontera plus tard, au Sun, un joueur devenu international anglais un soir de mars 2015, en Italie, en remplaçant Jordan Henderson le jour-même où son meilleur ami, Harry Kane, fêtait sa première titularisation avec les Three Lions. J’ai été béni sur un détail : il y avait trois ou quatre hôpitaux à environ trente minutes de Stamford Bridge et c’était très important de choisir le bon. Mark a choisi le St Mary’s plutôt qu’un autre plus proche, car il savait déjà que j’avais besoin d’être opéré, et rapidement. Sa décision a été vitale. »

Le foot est déjà loin : une heure seulement s’écoulera entre l’accident – un choc aérien violent avec le défenseur de Chelsea, Gary Cahill – et l’opération. De l’avis de tous, Ryan Mason vient de subir la plus grosse blessure à la tête jamais vue dans l’histoire du sport de haut niveau, un truc similaire aux conséquences d’un accident de voiture. La suite est une histoire de nuits interminables, où boire un verre de jus d’orange jusqu’au bout est un exploit et dont le réveil est accompagné par sa compagne, obligée de le laver à l’éponge. Tout y passe, mais il se relève : en juin, on le voit courir entre les piquets à Cottingham, le centre d’entraînement d’Hull City, relégué au printemps dernier en Championship et embourbé dans une crise interne profonde. Mieux : en décembre dernier, Nigel Adkins, coach pompier débarqué durant l’hiver pour refaire pousser les griffes de Tigers enfermés autour de la zone rouge, évoque l’amélioration de l’état de santé du joueur et affirme que « tout est mis en œuvre pour permettre à Ryan de revenir » . Fol espoir. Dans la matinée du 13 février, via un communiqué publié sur le site officiel de Hull, Ryan Mason, 26 ans, a annoncé « ne pas avoir d’autres choix » que de mettre un terme à sa carrière.

« Qui est ce joueur ? »

Ouverture du bal : chacun est depuis venu apporter son témoignage sur le joueur qu’était Ryan Mason, grand espoir du Royaume, mais aussi un peu plus que ça. En réalité, Mason est un repère dans la courbe d’évolution du Tottenham moderne, un marqueur en matière de valeurs, d’approche, de politique aussi. Lorsqu’il arrive chez les Spurs lors de l’été 2014, Mauricio Pochettino a face à lui un bordel, les restes de la vision Villas-Boas, une pelletée de joueurs surpayés et surtout une institution où les jeunes formés à la maison commencent seulement à être reconsidérés grâce à la prise en main de Tim Sherwood, tour à tour assistant de Redknapp en équipe première et coach des U21 du club. Une scène raconte parfaitement la bascule et c’est Pochettino, en personne, qui l’a dessinée il y a quelques jours après le nul à Turin en C1 : « Je me rappelle parfaitement de la façon dont on l’a découvert. Lors de notre première journée au club, il était dans la salle de sport, tête basse et le visage triste. J’ai demandé à Jesús (Pérez, son assistant, ndlr) : « Qui est ce joueur ? » Il m’a répondu : « Ryan Mason. Sur les cinq dernières saisons, il a toujours été envoyé en prêt, mais n’a surtout pas beaucoup joué à cause de nombreuses blessures. » »

Produit local, né à Londres, recruté par Tottenham à l’âge de huit ans, Mason est à cet instant âgé de 23 ans et n’est personne. Du moins, pour le grand public, et ce, alors qu’il a été lancé pour la première fois chez les pros en novembre 2008, lors d’un match de Ligue Europa à Nimègue, dans une équipe où le capitaine s’appelait Jonathan Woodgate et où les références étaient Gareth Bale, Tom Huddlestone, Aaron Lennon et Michael Dawson. La même année, Ryan Mason fracasse les records de l’académie, boucle la saison avec 29 buts sur 31 matchs disputés, mais devra repousser jusqu’en septembre 2012 pour connaître sa première titularisation avec les grands. Puis, le silence, les blessures, les doutes de la vie du footballeur de haut niveau.

Cerveau et nettoyage

Reste que Pochettino succombe, enfin, et son staff avec : lors de sa première pré-saison chez les Spurs, l’Argentin découvre un joueur élégant, qui « comprend tout » et qui assimile rapidement ses concepts. « Ce que certains joueurs mettent un an à comprendre – la tactique, le mouvement, les idées –, il l’a compris dès notre premier match amical ici, face à Seattle. J’ai rapidement compris qu’on avait un super joueur entre les mains » , affine Mauricio Pochettino qui, dans l’excellent bouquin A Brave New World consacré à sa philosophie, n’hésite pas à décrire Mason comme « une personne spéciale, un joueur spécial » . Chris Ramsey, son entraîneur chez les U21 des Spurs, débarque alors pour compléter le portrait : « Ryan, pour comprendre, est l’un des meilleurs jeunes qu’il m’ait été donné de voir. Il représente parfaitement ce qu’on met en place à Tottenham : de jeunes joueurs, rejetés ailleurs parce qu’ils sont jugés trop frêles, comme c’était le cas avec Harry Kane, et en qui la confiance est donnée. Malheureusement, les blessures ont flingué sa carrière, mais c’était un excellent footballeur, et aujourd’hui, c’est une grande perte pour le football anglais, vraiment. » Difficile de contredire Ramsey, tant Ryan Mason aura lancé l’ère Pochettino avec style, nettoyant rapidement les déceptions Stambouli et Capoue et lâchant quelques instants de douceur, notamment une frappe pleine de douceur face à Nottingham Forest en League Cup. Un instant qui lui permettra notamment d’accrocher une titularisation à l’Emirates quelques jours plus tard, plus une bonne trentaine sur toute la saison 2014-2015.

Vidéo

Vingt matchs à Hull, et la fin

Pour comprendre, Ryan Mason est une copie d’Harry Kane dans la mentalité, le rapport au jeu, et Mauricio Pochettino entendait lui offrir la même trajectoire : adaptation progressive, confiance, relais. Puis, Eric Dier est arrivé, Moussa Dembélé a explosé, et le dernier souvenir qu’il posera finalement dans la tête des Spurs sera un but crucial inscrit sur la pelouse de Sunderland en septembre 2015 au cœur d’un début de saison compliqué. Son importance dans l’émergence du système Pochettino ne doit pas être oublié, le joueur qu’il était non plus. Transféré à Hull lors de l’été 2016 pour quelque 13 millions de livres – record du club –, il n’aura finalement eu le temps de ne disputer que 20 matchs. Sur cette retraite et le choc, Gary Cahill s’est exprimé cette semaine : « Se battre pour un corner est quelque chose que l’on a fait des milliers de fois et voir ces conséquences au haut niveau est un déchirement. » Pochettino, lui, a invité son ancien joueur à venir bosser à ses côtés. Plus rationnelle, la vision de Ryan Mason dans l’ambulance s’est réalisée : il vient de donner naissance à son premier gosse. Loin des terrains, définitivement.

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Par Maxime Brigand

Propos de Chris Ramsey recueillis par MB, ceux de Ryan Mason tirés du Sun.

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