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Maputor für Leipzig !

Par Julien Duez
Maputor für Leipzig !

À l’image de sa progression, le RB Leipzig trouve désormais des supporters sur la terre entière. Et l’Afrique ne fait pas exception puisqu'en 2017, un fan-club des Roten Bullen a été fondé à Maputo, la capitale du Mozambique. Un lieu qui ne doit rien au hasard et fait écho à des liens tissés à l'époque de l’ex-RDA, où des Mozambicains officiaient comme travailleurs invités au nom de l’amitié socialiste internationale.

En 1975, le Mozambique obtient son indépendance du Portugal au terme d’une guerre civile opposant le Front de libération nationale au pouvoir lusitanien. À la tête du FRELIMO, un certain Samora Machel, un ancien infirmier qui installe un régime marxiste à la tête du pays, avant d’entamer des rapprochements avec l’Union soviétique et ses alliés. Parmi eux, la République démocratique allemande (RDA), dont le dirigeant Erich Honecker effectue un voyage officiel à Maputo en 1979. Lors de leur rencontre dans la capitale, Machel et Honecker signent un accord de partenariat pour envoyer des travailleurs mozambicains en RDA afin de renforcer la main-d’œuvre locale en échange de devises qui doivent servir au développement du pays. Au total, ils sont 15 000 à tenter une aventure qui se terminera bien mal lors de la réunification allemande en 1990.

De l’usine au stade

Roland Hohberg, lui, n’a eu l’autorisation de quitter la RDA qu’en 1990, après la réunification de cette dernière avec la RFA. Natif de Saxe-Anhalt, il assiste au triomphe du FC Magdebourg en C2 en 1974, le seul titre européen remporté par un club est-allemand. Puis il achève une formation de technicien nucléaire qui l’envoie à Greifswald, la ville de naissance de Toni Kroos, dans le nord du pays. « À cette époque, j’étais gardien de l’équipe de l’entreprise, la BSG KKW Greifswald, qui évoluait en D2. Mais je ne suis jamais monté au jeu parce que j’avais refusé de faire mon service militaire. » Après la catastrophe de Tchernobyl en 1986, les perspectives professionnelles de Roland s’amenuisent et il commence à passer du temps à Leipzig, là où commence la révolution pacifique qui mènera à la chute du régime est-allemand.

Dans le quartier de Connewitz, il entre pour la première fois au contact de travailleurs invités, qui vivent le plus souvent parqués dans des ghettos proches de leur usine et à l’écart de la population locale, laquelle réagit souvent mal à la présence de ces frères socialistes à la peau sombre. Parmi les activités qui les aident à rompre avec le quotidien, le football apparaît comme une évidence. Julio Fazal Lakha, qui a passé dix ans en RDA, d’abord comme peintre en bâtiment puis ouvrier dans l’industrie automobile, en garde un souvenir particulièrement marquant : « Le 26 octobre 1988, je suis allé avec Roland au Zentralstadion, là où se trouve aujourd’hui le stade du RB Leipzig. Il y avait un match de C3 entre le Lokomotive Leipzig et le Napoli de Maradona. C’est la plus belle rencontre à laquelle j’ai assisté de toute ma vie » , confie l’un des 80 000 spectateurs qui virent le Lok tenir tête aux Italiens en arrachant le match nul (1-1).

Étrangers dans leur propre pays

En 1990, tout bascule. La faillite massive que connaît l’industrie est-allemande oblige les travailleurs mozambicains à rentrer dans leur pays. Problème : ils sont complètement désargentés. Pendant leur séjour en Allemagne, la RDA envoyait 60% de leur salaire à Maputo, afin de financer, entre autres, la création d’un système de sécurité sociale. Le reste doit ensuite leur être reversé. Mais l’argent, on parle d’environ trente-six millions de dollars, a disparu. Dur retour au pays pour ces travailleurs qui doivent parfois laisser une femme et des enfants derrière eux en Allemagne. Julio par exemple, en a deux qu’il n’a jamais revus. Depuis, ceux que l’on surnomme les Madgermanes, une cacographie de l’expression Made in Germany, se battent au quotidien pour retrouver leur trace et percevoir leur dû. En 2004, l’opinion publique les redécouvrent lorsqu’ils occupent l’ambassade allemande de Maputo, accusée d’entraver leur quête de justice, pendant quatre jours. Depuis, leurs manifestations se tiennent chaque semaine.

Julio avec l’un de ses fils, né en RDA

Pour ne pas perdre complètement pied, il existe des instituts culturels germano-mozambicains où les Madgermanes peuvent se retrouver entre eux, lire le journal ou regarder la télévision en allemand et avoir accès à Internet pour rechercher leur famille. Roland Hohberger gère l’un d’entre eux : l’Instituto Cultural Moçambique-Alemanha (ICMA), qui existe depuis 2003. Comme les travailleurs invités, Roland a aussi quitté la RDA en 1990, mais pour des raisons différentes : « Depuis mon enfance, je souffre de rhumatismes en cas de basses températures. Là-bas, ils ont disparu ! Et puis il y avait aussi l’envie de partir à l’aventure après trente ans passés sans pouvoir voyager. L’Afrique, ce continent lointain et plein de secrets, m’a toujours fasciné. » Et si l’ICMA galère financièrement et logistiquement, Roland n’est jamais à court d’idées pour venir en aide à ses amis. La dernière en date est celle qui l’a rendu célèbre : créer le premier fan-club africain du RB Leipzig, dans un des pays les plus pauvres de la planète.

Se souvenir des jours heureux

Chez les Madgermanes, le succès est immédiat. « Le RB Leipzig est le représentant de l’Est en Bundesliga. Nous, on ne connaissait pas l’Allemagne de l’Ouest, mais des villes comme Leipzig, Dresde ou Magdebourg. C’est pour ça qu’on est très fiers de cette équipe » , explique Julio, âgé aujourd’hui de 56 ans et qui l’apprécie également sur le plan sportif : « C’est un club jeune qui produit du jeu offensif et ça manquait au championnat. Je ne les ai jamais vus rester plantés à l’arrière à simplement défendre. » « On a eu de la chance, l’équipe est montée en Bundesliga en même temps que la création du fan-club. Du coup, on peut suivre leurs matchs à la télé depuis le Mozambique » , sourit Roland. Entre Leipzig et Maputo, il n’y a qu’une heure de décalage. Les horaires de coups d’envoi ne sont pas un problème, en revanche, trouver un lieu pour se rassembler l’est bien.

L’ICMA ne possédant pas de locaux, la diffusion des matchs se fait donc chez Roland, qui vit dans les faubourgs de Maputo. « La plupart desMadgermanessont au chômage et peuvent à peine se payer les transports en commun. C’est aussi difficile quand on joue le soir parce qu’il n’y a pas moyen de rentrer en ville ensuite » , explique le quinquagénaire. Mais il l’assure : « Chaque fois qu’on arrive à se réunir, l’ambiance est exceptionnelle. » En attendant que son fan-club soit officiellement reconnu par la direction du club, Roland planche sur les missions annexes de l’association : « Il existe plusieurs moyens de profiter de notre popularité. D’abord, comme le football rassemble les peuples, on voudrait entrer en contact et échanger avec les fan-clubs du RB basés dans d’autres pays. C’est aussi un moyen d’attirer l’attention sur la situation et le combat desMadgermanes. Et puis j’aimerais aussi qu’on soutienne le foot local, à commencer par celui des femmes. La situation du football féminin est tellement catastrophique que l’équipe nationale a été dissoute ! »

Début mai, Roland s’envolera pour Leipzig afin de suivre le dernier match de son équipe à domicile, là où trente ans plus tôt, il emmenait Julio voir jouer Maradona. Ce sera l’occasion de rencontrer Timo Werner, avec qui il a déjà eu l’occasion de discuter sur Skype, mais également des représentants du club et de la mairie afin de partager son projet avec eux et pourquoi pas, recevoir un petit coup de pouce financier. Une chose est sûre, il aura aussi pour mission de ramener des souvenirs à tout le monde : « Pour l’instant, on n’a aucun accessoire. Lorsqu’une équipe de télé allemande est venue faire un reportage sur nous, on ne voyait que mon écharpe qui passait de main en main sur les images ! »

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Par Julien Duez

Propos de Roland Hohberg et Julio Fazal Lakha recueillis par JD.

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