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Manchester United, Arsenal, Everton : Comment Liverpool a retourné ses ennemis

Par Alexandre Aflalo
Manchester United, Arsenal, Everton : Comment Liverpool a retourné ses ennemis

Pendant longtemps, comme Jean-Jacques Goldman et contrairement à ce qu’affirme leur devise, ils ont marché seuls. Mais cette saison, à force de piétiner la Premier League, les Reds de Liverpool ont réussi quelque chose d’assez improbable : se rendre appréciable aux yeux d’une Angleterre qui adorait pourtant les détester.

Tout le monde a une bonne raison de haïr le Liverpool Football Club. « Leurs fans sont hyperagressifs sur les réseaux, amorce Lawrence Bury, supporter de Manchester City. Historiquement et politiquement, les Scousers (surnom des habitants de Liverpool, N.D.L.R.) se sont toujours mis dans une position d’indépendance et d’opposition par rapport au reste de l’Angleterre. Ça se sent chez certains fans de Liverpool. » Il y a aussi le palmarès : une domination sans partage sur l’Angleterre des 80s, et une fâcheuse tendance à encore s’en vanter des années après, pour laquelle « beaucoup de gens les ont détestés » , explique Greg Claxton, qui soutient lui les Gunners d’Arsenal. « Beaucoup trouvent que c’est une équipe disgracieuse dans la défaite, qui se cherche des excuses. Et puis il y a énormément d’experts dans les médias qui sont d’anciens joueurs de Liverpool. Ça agace. » Et puis, il y a ceux pour qui la haine est naturelle. À Everton, l’autre club de Liverpool, et Manchester United, la rivalité est cultivée depuis des décennies. « Quand Liverpool va remporter le championnat, on va devoir supporter leurs provocations et leur vantardise, » redoute déjà Edward James, fan des Toffees. « Pour un supporter de United, il n’y a rien de pire que de voir Liverpool remporter le championnat, abonde Scott Saunders, Diable rouge devant l’éternel. Les voir ne pas gagner une fois le championnat en 30 ans a été un argument de poids pour les taquiner. Si on perd ça, ça va les remettre d’aplomb. »

« Impossible de ne pas respecter ça »

Plus grand club du Royaume dans les années 1980, Liverpool a depuis, comme l’a si bien mis en mots l’illustre Sir Alex Ferguson, « chuté de son putain de perchoir » . Faisant des trois dernières décennies du pain béni pour cette frange de l’Angleterre qui prend un plaisir coupable à diriger sa haine sur les bords de la Mersey. Depuis leur dernier titre de champion d’Angleterre, en 1990, les Reds ont fini 10 fois sur le podium de la League, dont cinq fois à la deuxième place. Autant d’espoirs déçus, parfois cruellement, d’enfin remettre leurs paluches sur une couronne nationale qui les fuit. En réponse aux redondants « cette année, c’est la nôtre » lancés à chaque début de saison, parfois avec arrogance, les Scousers se récoltaient des moqueries de plus en plus jouissives dès que leur équipe se cassait magistralement la gueule dans le finish. Steven Gerrard et d’autres en ont largement fait les frais. Et peu importe les autres trophées amassés sur le côté, même deux Ligue des champions. Mais depuis deux, trois ans, Liverpool a retrouvé le chemin de son perchoir. Et ne suscite plus aucune moquerie. « Ils ont beau être nos rivaux et voisins, on ne peut qu’accepter qu’ils soient devenus l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure équipe du monde, concède Edward. Ce que Klopp a fait avec cette équipe, qui galérait à se qualifier en C1, c’est ni plus ni moins qu’incroyable. »

Hier club arrogant qui ne gagnait rien ou presque, Liverpool a retrouvé en quelques années la recette miracle pour justifier son discours ambitieux, le tout en se rendant sympathique. « Klopp a apporté de l’unité à cette équipe, et les a fait jouer chaque match comme s’ils partaient en guerre : unis, » observe le Toffee. Le résultat de cette unité, ce sont des performances titanesques en 2019-2020 (invaincus en championnat avec 24 victoires sur 25, 22 points d’avance sur leur premier poursuivant et 55 sur la lanterne rouge Norwich, qu’ils défient ce samedi) après une saison 2018-2019 déjà proche de la perfection. Générant chez leurs rivaux un mélange de fatalisme teinté d’admiration. « La façon dont ils vont gagner le championnat, avec au moins 100 points, un record de victoires, les fans de football l’apprécient et le respectent, embraye le Citizen Lawrence. La façon dont ils en sont arrivés là, aussi : avec des talents britanniques, des jeunes joueurs qui ont explosé, pas beaucoup de transferts exorbitants (une balance de transferts négative d’environ 120 millions d’euros sur les cinq dernières années, mais avec seulement trois acquisitions dépassant les 50 millions : Alisson, Van Dijk et Naby Keita, N.D.L.R.). » Le respect a même gagné le rival historique Manchester United. « Cette équipe est une machine, et pour moi c’est impossible de ne pas respecter ça, concède Scott. Je n’ai jamais vu une équipe aussi acharnée et assoiffée de victoires que Liverpool cette saison, et je compte le Manchester City de ces deux dernières années. Ils ont fait les choses proprement, ils sont un exemple que même Manchester United devrait suivre. Ils se sont sortis d’une situation similaire à celle de United actuellement en s’appuyant sur les bonnes personnes aux bonnes positions. Leur titre et leurs éventuels records seraient mérités, je n’ai aucun problème à le dire. »

Invincibles 2.0 ?

Les records, justement. Sur sa lancée, Liverpool en voit un certain nombre se rapprocher de sa portée : celui du plus grand nombre de titres, détenu par le grand rival United (20, Liverpool en aurait 19 en cas de sacre cette saison), mais aussi le titre le plus anticipé (33e journée), le plus grand nombre de points (100, 73 sur 75 possibles actuellement), le plus grand écart de points avec le dauphin (19, 22 actuellement), le plus grand nombre de victoires (32, 24 sur 25 actuellement) ou le plus grand nombre de victoires consécutives (18, 16 actuellement, série en cours), tous établis par le City de Guardiola entre 2017 et 2018. « Les records, ça ne me préoccupe pas plus que ça, avoue Lawrence Bury. Manchester City restera le deuxième plus grand total de points de l’histoire, et la première équipe à avoir atteint 100 points. À mon avis, Liverpool grimpera jusqu’à 104, 105, voire plus… Ça, je pense que personne d’autre ne le fera. Mais Manchester City aura été la référence à battre. »

Contrairement à City, il y a un autre club qui ne prend pas à la légère la menace que fait peser Liverpool sur son patrimoine. « Tous les fans d’Arsenal prient pour que Liverpool faute à un moment donné » , avoue Greg Claxton. En tête, forcément, la perspective d’une deuxième équipe d’Invincibles, succédant aux Gunners qui ont tenu une série de 49 matchs sans défaite en Premier League, de mai 2003 à octobre 2004, dont la totalité de la saison 2003-2004 (26 victoires, 12 nuls). « C’est un moment clé de l’histoire du club. Cette équipe, on en parle encore régulièrement aujourd’hui entre fans d’Arsenal. Si Liverpool venait à le faire aussi, ça enlèverait au côté unique de ce qu’ils ont accompli. » Même si les Reds tiennent une forme d’enfer et paraissent imbattables en l’état, il reste toutefois bien des matchs à gagner avant de marquer définitivement l’histoire. De la 26e à la 38e journée, Liverpool doit encore affronter, justement, Everton (29e journée), City (31e), Arsenal (36e) et Chelsea (37e). Autant de pièges pour l’ogre liverpuldien. « S’ils sont encore invaincus à ce moment-là, l’atmosphère à l’Emirates sera exceptionnelle et on pourra peut-être les battre, espère Greg. Personnellement, je pense qu’ils battront notre record de 49 matchs sans défaite (Liverpool en compte actuellement 42, sa dernière défaite remontant au 3 janvier 2019 contre City), mais pas qu’ils resteront invaincus toute la saison. Sans être amer, j’ai l’impression que toutes les décisions litigieuses sont allées dans leur sens cette saison. Ils méritent une décision, un match qui ne les favorise pas. » Alors oui, toute l’Angleterre s’est déjà résolue à voir Liverpool régner à nouveau. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne se réjouira pas du moindre faux pas.

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