- Métiers du football
- Reportage
Mais qui sont vraiment les agents de joueur ?
On les imagine riches comme Crésus, avares, requins, prêts à tout pour quelques billets de plus, bien loin de se soucier des intérêts de leurs joueurs. Pourtant la réalité du métier d'agent est bien différente de celle dépeinte par une presse qui se concentre quasi-exclusivement sur quelques sulfureux personnages. Ces marchands de tapis qui ruinent l'image de la profession au détriment de ceux qui se battent pour la légitimer.
« Il y a des gens qui font très bien leur métier et d’autres non. C’est exactement comme chez les avocats, les assureurs, les journalistes… » Sidney Broutinovski n’est pas du genre à se voiler la face. Fondateur de l’école des agents de joueurs de football (EAJF) et du cabinet d’agents « 11 de légende » , l’homme d’affaires, qui ne possède pas lui-même la licence d’agent, ne nie pas l’image sulfureuse du métier auprès du public. Une image écorchée par les « charognards du milieu » . Ces agents qui n’en sont pas, mais qui entrent dans la grande définition commune du métier. Une confusion doublée d’une méfiance vis-à-vis d’entrepreneurs tirant leur épingle du jeu au sein du grand football business qui effraie et anime les passions. Mais loin des strass et des paillettes, la réalité est bien différente : « Obtenir la licence d’agent, ce n’est pas un ticket d’Euromillions. Au début, on galère comme n’importe quel entrepreneur » , abonde Sidney Broutinovski. Car malgré son classieux costume deux pièces, symbolique de la fierté assumée de sa réussite personnelle, le fondateur de l’EAJF connaît très bien l’envers du décor. Ce « milieu de requins » où il est bien compliqué de se faire une place en respectant une certaine éthique. Décryptage.
Agent, mais pas à n’importe quel prix
Sûr de lui et de ses convictions, Sidney Broutinovski transmet à ses professeurs et à ses élèves sa vision du métier. Une vision pragmatique, dure pour certains, mais qui a le mérite d’être honnête et claire. « Le métier d’agent, c’est un métier humain, un métier de contact. On peut avoir le meilleur joueur du monde sous les yeux, si on n’a pas le contact pour le faire signer, il restera dans son quartier » , explique-t-il. « Il y a des agents qui ont un très bon œil et d’autres pas du tout. Ce n’est pas ça qui compte, c’est le carnet d’adresses et la connaissance du business du football. On a plus de chances de réussir en connaissant le business qu’en étant passionné de football » , tranche-t-il, conscient de la réalité des choses. Pour le fondateur du cabinet « 11 de légende » , pas question donc de promettre la lune à un jeune footballeur sans avoir le bon carnet d’adresse. Et pas question, non plus, d’aller arracher un sportif à un concurrent en lui susurrant des mots doux : « Dans mon cabinet, j’interdis le démarchage de joueurs qui sont déjà représentés par d’autres agents. Pour être respecté de la famille football, il faut déjà se respecter entre nous. On peut quand même parler avec le joueur, mais sans lui dire de quitter son agent parce que nous, on va l’envoyer à Arsenal. On lui dit juste que si jamais ça se passe mal, on est là. C’est de la bonne concurrence, ça tire tout le monde vers le haut. »
Luttant quotidiennement contre le cliché de l’agent avare et prêt à tout pour quelques billets de plus, le trentenaire s’efforce d’aider au mieux ses jeunes protégés. « Nous, par exemple, au cabinet, on passe 1h30 à 2h à relire chaque contrat avec le joueur et ses parents quand ils viennent. Ne signe pas pour signer ! Une fois le contrat signé, l’agent et le joueur sont liés. Ça évite qu’après les joueurs se fassent embrigader par du vent, des mecs qui leur promettent Arsenal alors qu’ils jouent en CFA2 » , explique celui qui a déjà vu trop de personnes mal intentionnées ruiner des carrières potentielles. Ces gens-là, ces intermédiaires, « la gangrène du football » , comme il l’appelle, sont « sous-estimés par la Fédération » . « Le problème, c’est qu’à côté des vrais agents, il y a tous les parasites, les feignasses qui refusent de se former, tous les vendeurs de rêve… Moi, ça me dérange, ces gens qui vendent du rêve. Ces gens-là profitent de la faiblesse des gens » , s’offusque Sidney Broutinovski. Et c’est précisément contre ces personnes que les agents s’opposent au quotidien. Car ils sont ceux qui défigurent la profession, et la rendent hideuse aux yeux du grand public. « Ils sont hors-système, ce sont des électrons libres » , conclut le directeur de l’EAJF, agacé.
Agacé, il l’est aussi en constatant que les médias entretiennent souvent cette mauvaise image de la profession. « Le reportage d’Elise Lucet dansCash Investigationétait bien, mais à aucun moment, elle ne parle du côté positif du football et du football business. On a l’impression que c’est la Camorra (la mafia napolitaine, ndlr). Alors que non ! » , détaille-t-il. Comme souvent lorsque le football est pointé du doigt, c’est bien l’argent le grand coupable. Or, comme tous les footballeurs ne sont pas millionnaires, tous les agents ne roulent pas non plus sur l’or. « Je ne pense pas que ce sont les agents qui ont entre leurs mains tout le foot business. Je préviens mes étudiants qu’ils sont déjà catalogués. La réalité du marché, ce n’est pas être agent de Ligue 1 ou de Ligue 2. En CFA, CFA2 ou National, on ne paye pas de commissions. Pareil dans le football féminin » , précise-t-il, désireux de rétablir la vérité sur les salaires des agents. « L’argent est fait sur les joueurs qui ont des gros salaires. La rémunération des agents est plafonnée à 10% des salaires annuels des joueurs. L’agent fait l’intermédiaire, mais à aucun moment il ne touche de l’argent sur le transfert. Sur un transfert de 80 millions, l’agent ne prend pas 10% de ces 80 millions ! » Mais le combat contre les idées reçues est encore long.
Gouvernance, statut et cadre mouvants
Outre une vision écorchée de son métier, l’agent de joueurs doit faire face à un cadre légal bien tortueux. Pour cause, depuis le 1er avril 2015, la FIFA a adopté un nouveau règlement (approuvé en mars 2014) qui – pour faire court – a abandonné le système de la licence et transformé le statut d’agent en celui d’intermédiaire. Dans les faits, une façon de refiler le bébé aux fédérations nationales. Sidney Broutinovski explique toutefois le statut de privilégiés des agents français : « La chance qu’on a, c’est qu’aujourd’hui, la France est prise en exemple parce qu’elle a encadré la profession dans une loi, dans le code du sport. C’est donc réglementé. C’est bien pour éviter les dérives. À part la France, aucun pays n’a de lois pour encadrer le métier d’agent parce que quand la FIFA a arrêté de s’en occuper, il n’y avait rien de prévu derrière. Cette circulaire de Jérôme Valcke a laissé des pays sans cadre juridique. » Toutefois si l’État français a semble-t-il fait les efforts législatifs nécessaires, ce n’est pas synonyme de la fin des soucis.
Effectivement, selon le fondateur de l’EAJF, les fédérations ne sont pas à la hauteur : « Le gros problème, c’est un problème de gouvernance. Tant que les agents seront gérés par les fédérations, rien ne bougera. La Fédération gère l’équipe de France, le monde amateur, KFC, Volkswagen… mais pas le monde professionnel. Et puis, je ne pense pas que les problèmes des agents intéressent la Fédération. Alors que la Ligue est en contact avec les clubs, les joueurs. Il faudrait que la Ligue gère tout ça, pas la Fédération. » D’autant plus que les agents de joueurs sont confrontés à un problème de statut professionnel largement méconnu : « L’agent de football n’appartient à aucune catégorie socio-professionnelle. Vous obtenez une licence professionnelle à la Fédération en passant l’examen. Mais une fois la licence en poche, vous n’avez pas de statut » , éclaire Sidney Broutinovski. Les agents sont ainsi équivalents à tout auto-entrepreneur. Un manque de statut légal qui va de pair avec un manque de reconnaissance : « La réelle problématique de la profession, c’est la reconnaissance par le monde du football. » Un cercle vicieux fermé par l’absence de poids des syndicats existants : « Aujourd’hui, les syndicats sont inexistants, même s’il y en a deux, créés par Stéphane Canard et Bertrand Coli » illustre paradoxalement Sidney Broutinovski. « C’est déjà une connerie de créer deux syndicats. On n’est pas sur un marché de 80 millions d’employés » , rajoute celui qui s’est mobilisé pour faire bouger les choses.
L’avenir par la formation
La création de l’école des agents de joueurs de football répond effectivement à une nécessité : « J’ai beaucoup de respect pour les anciens agents, ceux qui ont créé la profession. Mais ces gens-là n’ont pas pensé aux générations suivantes. C’est malheureux, mais c’est notre société qui veut ça. C’était à ces gens-là de tirer la profession vers le haut, de monter au clash avec la FIFA, les fédérations. Mais ils n’ont rien fait. » Un immobilisme qui a poussé Sidney Broutinovski à agir pour mettre en place en 2009 « la formation que [lui aurait] voulu avoir » . Une formation qui ne cesse de grimper avec aujourd’hui 200 élèves répartis dans cinq centres (Paris, Lyon, Lille, Marseille et Nantes). Avec l’objectif de donner enfin ses lettres de noblesse au métier d’agent de footballeur.
Par Eric Marinelli & Gabriel Cnudde
Retrouvez demain le portrait de l'EAJF