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Mais qui es-tu, Mohammed ben Salman?

Par Adrien Candau et Anthony Audureau
Mais qui es-tu, Mohammed ben Salman?

Le projet de rachat pour 25 milliards de dollars de la Coupe du monde des clubs à la FIFA, le piratage de beIN Sports qui lui est souvent attribué, ou encore cette toute récente rumeur de rachat de Manchester United : l'Arabie saoudite s'est mise à faire bouger les lignes du monde du football depuis que Mohammed Ben Salman a les pleins pouvoirs du pays. Un prince dans la tourmente depuis l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Portrait d'un monarque pour qui Riyad doit réaffirmer coûte que coûte ses appétits de grandeur. Dans le football comme ailleurs.

Mohammed ben Salman est un homme qui semblait jusqu’ici avoir relativement bonne presse. Promu nouveau prince héritier du Royaume en juin 2017, le monarque s’était immédiatement distingué en endossant des habits de grand réformateur. Sur le plan social d’abord, puisque l’Arabie saoudite a rouvert ses salles de cinéma ou autorisé aux femmes à conduire et à aller dans des stades de football. Économique ensuite, le pays s’étant mis à privatiser certains pans de son industrie, en s’attaquant notamment à des secteurs aussi stratégiques que la distribution de l’eau et les transports.

Le tout en à peine plus d’un an. Oui, Mohammed ben Salman, dit MBS, semblait bien parti pour secouer quelques cages. Quitte, peut-être, à franchir dangereusement certaines lignes blanches. En atteste ce meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, assassiné au consulat d’Arabie saoudite début octobre. Un crime que de nombreux médias internationaux soupçonnent d’avoir été commandité par l’Arabie saoudite.

Mister everything

De quoi obscurcir encore un peu plus la face cachée de la lune du pouvoir sauce Ben Salman. Derrière les réformes libérales et sociétales, il y a bien sûr un agenda politique que le jeune dirigeant de 33 ans souhaite coûte que coûte mettre en œuvre. En attestent ces arrestations massives de princes, de ministres, de religieux, mais aussi d’hommes d’affaires menées par le pouvoir saoudien en novembre 2017. Une vague d’interpellations réalisée en grande partie pour des allégations de corruption, mais qui paraît aussi correspondre à la volonté de MBS de montrer que toute forme d’opposition intérieure ne peut exister.

Si le contrôle est une notion ancrée à la base de tout pouvoir monarchique, comme celui qui régit l’Arabie saoudite, MBS semble, lui, particulièrement attaché à celui de son image et de son pays, que les réformes qu’il a mises en place visent à assainir et polir : « Il a cette stratégie de communication qu’il tente de vendre à l’Occident, explique Olivier Da Lage, journaliste à RFI et auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite. Même si, paradoxalement, on découvre chaque jour qui passe que cette dimension de libéralisation, c’est un peu l’écume de la vague que représente sa volonté de conquête d’un pouvoir absolu, sans aucun partage. »

Une volonté symbolisée par la montée en puissance de MBS, qui n’était pas encore le prince héritier du pays il y a deux ans. La couronne était alors promise au prince Mohammed ben Nayef. Ce dernier a fini par se laisser damer le pion par Ben Salman, qui s’était notamment mis en valeur en se faisant le porte-étendard de son plan de réformes, Vision 2030, destiné à rompre la dépendance du pays au pétrole et à desserrer l’emprise des religieux sur la société. Mais si l’action politique du prince fait les gros titres, sa vie privée reste relativement mystérieuse.

Diplômé de droit de la King Saud University, élevé strictement par sa mère selon ses propres dires, MBS est père de deux garçons et de deux filles. Il y a aussi ce surnom qui lui a rapidement collé aux basques, « Mister everything (littéralement « Monsieur tout » ), révélateur de son omniprésence dans les affaires du pays. Y compris dans le secteur sportif, où Turki Al-Sheik, un ami d’enfance de Ben Salman, s’est vu confier le ministère des Sports saoudien. Un ministère devenu extrêmement proactif depuis que MBS a pris les commandes à Riyad. Tout spécifiquement dans le domaine du football.

Qatarsis

« Le sport, notamment le football, très populaire en Arabie saoudite, et l’art représentent un moyen de donner une image plus ouverte au changement et au monde libéral » , pose Mahfoud Amara, professeur de politique et de gestion du sport à l’université du Qatar. Reste que l’Arabie saoudite a accumulé beaucoup de retard dans le domaine sportif par rapport à ses voisins, et notamment l’ennemi qatari.

« La caste politique saoudienne est surtout composée de vieillards, de gens qui ne s’impliquent pas dans les industries du divertissement. Mohammed ben Salman se démarque avec cette image dynamique, jeune et en mouvement » , déroule Olivier Da Lage. Outre le développement de l’influence saoudienne dans le secteur du ballon rond, MBS et Riyad se seraient aussi attaqués au soft power qatari dans le sport, en atteste le récent piratage de beIN Sports, que beaucoup d’observateurs soupçonnent d’avoir été piloté en sous-main par l’Arabie saoudite.

Manchester-PSG, prochaine guerre du Golfe ?

« Ce qui caractérise MBS, c’est qu’il ne se pose pas de limite » , poursuit Olivier Da Lage. Coté foot, l’implication de l’Arabie saoudite grimpe effectivement en flèche depuis juin 2017. Dernière manifestation du phénomène : ces rumeurs de rachat de Manchester United par Riyad pour plus de quatre milliards d’euros. Un choix logique pour Shuaib Ahmed, spécialiste du football du Moyen-Orient : « Ils ont besoin d’une arme symbolique et médiatique capable de rivaliser avec le Qatar. Manchester United, c’est le seul club au monde avec une marque globale, puissante partout, avec Barcelone et le Real Madrid. »

Mais Manchester United n’est qu’une composante parmi tant d’autres de la stratégie de la monarchie saoudienne applicable au sport. C’est d’ailleurs ce qui impressionne Shuaib Ahmed : « Sur le plan footballistique, il y a eu énormément de changements très positifs. En un peu plus d’un an, les accomplissements de MBS sont impressionnants. » Des exemples de réussite ? La finale de la Supercoupe d’Italie, qui se jouera à Riyad le 12 janvier 2019 (après notamment deux éditions au Qatar en 2014 et 2016, comme par hasard). Ou encore cette rencontre qui a opposé l’Argentine et le Brésil mi-octobre à Djeddah, à quelques kilomètres de La Mecque.

L’une des mesures les plus surprenantes reste néanmoins l’accord signé entre la Fédération saoudienne et la Liga. Neuf compatriotes de Ben Salman ont ainsi été prêtés dans des clubs professionnels espagnols, en première ou deuxième division. Le but : préparer la Coupe du monde 2018. Shuaib Ahmed voit cela d’un bon œil : « De jeunes joueurs comme Abdullah Al-Hamdan, qui a évolué avec les U19 du Sporting Gijón, ont pu beaucoup progresser. Un autre exemple de réussite : celui de Salem al-Dossar, prêté à Villarreal et entré en jeu la saison dernière lors d’un match face au Real. » La mesure, populaire en Arabie saoudite, n’en restera pas moins plus cosmétique que réellement efficace, le temps de jeu accordé aux Saoudiens, quel que soit le club, restant infime.

Gianni au pays des Saoud

Quand bien même le rachat de Manchester United par Riyad ne se confirmerait pas dans les mois à venir, l’Arabie saoudite n’a pas dit son dernier mot. En avril dernier, le New York Times annonçait ainsi qu’un consortium de sociétés privées aurait proposé 25 milliards de dollars pour racheter à la FIFA les prochaines éditions du Mondial des clubs. Le tout aboutissant à la création d’une Coupe du monde des clubs à 24 équipes… en Arabie saoudite. Bingo ! Le projet serait mené par un consortium dirigé par Softbank, une société japonaise, entre autres soutenu par le fonds souverain de l’Arabie saoudite.

« Mais le rachat de la Coupe du monde des clubs va sans doute être contrarié par l’UEFA, qui ne va probablement pas laisser le projet se réaliser » , nuance Shuaib Ahmed. Qu’importe, personne n’aura manqué le récent rapprochement d’Infantino avec l’Arabie saoudite alors que le président de la FIFA s’est déplacé au Royaume des Saoud en juin dernier. Sans doute de quoi donner matière à se frotter les mains pour Mohammed ben Salman, qui semble bien parti pour rester maître à bord à Riyad, malgré le scandale provoqué par l’affaire Khashoggi. Du haut de son perchoir, MBS a sans doute encore de la suite dans les idées. Dans le football comme ailleurs.

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Par Adrien Candau et Anthony Audureau

Propos de Olivier Da Lage, Mahfoud Amara et Shuaib Ahmed recueillis par AC et AA

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