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ACTU MERCATO

Mais pourquoi les clubs persistent-ils à créer des lofts ?

Par Simon Butel
Mais pourquoi les clubs persistent-ils à créer des lofts ?

C'est tous les ans la même rengaine : à cette période, des éléments jugés indésirables par leur club s'entraînent à l'écart du groupe pro, comme c'est actuellement le cas à Bordeaux, où six joueurs ont intégré un loft. Histoire, officiellement, de faciliter le boulot de leur coach, mais surtout de leur mettre la pression. Si cette pratique semble conforme à la Charte du football professionnel, elle pourrait, dans le sillage des cas Ben Arfa et Rabiot, se voir davantage réprimée et encadrée à l'avenir, comme chez certains de nos voisins. Explications.

« Onze célibataires coupés du monde, Philippe, Laure, Aziz, Loana, Jean-Edouard, Julie, Steevy, Kimy, Fabrice, Kenza, Christophe. Filmés dans un loft de 225 mètres carrés, 24 heures sur 24, par 26 caméras, et 50 micros. Dans neuf semaines, ils ne seront plus que deux. » Ce sont des images et des tronches qui nous ramènent à une époque lointaine et encore un peu innocente, celle de l’apparition de la télé-réalité en France, au printemps 2001. Une intronisation signée M6, proprio de Girondins de Bordeaux alors abonnés au Top 5 de celle qu’on appelle encore Division 1. Dix-huit ans après, M6 a quitté le Haillan, le loft le petit écran, mais le club au scapulaire persiste à entretenir le concept cet été, en placardisant ses indésirables. À ceci près que les lofteurs girondins ne sont pas onze, mais six ; qu’on ignore – et qu’on se fiche de le savoir, d’ailleurs – s’ils sont célibataires ou non, dans la mesure où leur identité, même si l’on s’en doute, n’a pas filtré ; et qu’à la fin, Bordeaux aimerait qu’il n’en reste aucun. À ceci près aussi que les caméras ne sont pas constamment braquées sur eux depuis le début de leur mise en quarantaine.

Double dérive

Sauf ce vendredi 19 juillet, moment choisi par l’UNFP pour dénoncer la situation des six bannis en question, dont le principal tort serait donc de vouloir respecter leur contrat. Dans un communiqué où il assimile notamment les dirigeants bordelais à des négociants en vin mélangeant « le temps des vendanges – le mercato – et celui de la mise en garde » , le syndicat des joueurs pros s’est ainsi ému de ces pratiques qu’il juge d’un autre temps, et de l’inaction de la LFP et des ministères des Sports et du Travail face à celles-ci. Des pratiques nuisant à l’image du football français à l’étranger, toujours selon l’UNFP, qui craint que celles-ci se banalisent. Si ce n’est pas déjà fait : l’an dernier, 146 joueurs auraient fait l’objet d’une mise à l’écart. Sans pour autant que leur club, dans la majeure partie des cas, ne puisse être réellement considéré comme hors la loi. « Il y a plusieurs années, face au grand nombre de joueurs à l’entraînement, mettant en avant les conditions de travail un peu plus difficiles pour les entraîneurs, le syndicat avait admis que jusqu’au 31 août on puisse créer deux groupes d’entraînement, avec des conditions d’entraînement équivalentes » , replace Jean-Jacques Bertrand, avocat spécialisé dans le droit du sport.

« Ce problème, estime celui qui est depuis 1973 à la tête d’un cabinet dédié à la défense des droits des sportifs, est dû aux clubs qui multiplient trop le nombre de contrats pros avec une perspective de faire des transferts et gagner de l’argent. Il peut arriver parfois qu’il y ait un Pépé, mais ça n’arrive pas tous les jours. »

De ce système qui a été mis en place de bonne foi par les dirigeants, il y a eu un détournement au fil des années.

Cette dérive en a précédé une autre, relative à l’application du deal passé par les clubs avec l’UNFP, observe Jean-Jacques Bertrand : « De ce système qui a été mis en place de bonne foi par les dirigeants, il y a eu un détournement au fil des années. On s’aperçoit que le second groupe est un groupe de laissés-pour-compte. Par ce biais, on va faire pression sur eux pour qu’ils acceptent un transfert ou une résiliation de leur contrat dans des conditions qui ne leur sont pas favorables. » Et quand bien même les conditions de leur mise au ban respecteraient les règles établies par l’article 507 de la Charte du football professionnel (accès à des vestiaires, des soins et des infrastructures de qualité identique, accès à des entraînements encadrés par un entraîneur titulaire d’un diplôme fédéral, fourniture des équipements, horaires d’entraînement compatibles avec les autres conditions de préparation et d’entraînement du groupe principal), qui tient lieu de convention collective, et résulteraient d’un choix de l’entraîneur, l’avocat le rappelle : « Le club a aussi l’obligation de fournir du travail, or du travail ce n’est pas que s’entraîner. »

Inégalité des chances

« Au-delà des conditions d’entraînement se pose la question des matchs, développe Jean-Jacques Bertrand. Les dirigeants disent que les entraîneurs sont maîtres des choix sportifs, mais des joueurs sont systématiquement écartés de toute possibilité de match. Un joueur qui est dans un deuxième groupe, mais ne participe jamais à un amical avec un grand nombre de changements ou aux stages, on le met en difficulté, on ne lui permet pas d’être en condition physique s’il doit partir ou être réintégré. »

Un joueur qui est dans un deuxième groupe, mais ne participe jamais à un amical avec un grand nombre de changements ou aux stages, on le met en difficulté, on ne lui permet pas d’être en condition physique s’il doit partir ou être réintégré.

C’est là tout l’objet des litiges opposant Hatem Ben Arfa et Adrien Rabiot au Paris Saint-Germain. Deux dossiers défendus par le cabinet le 16 octobre prochain pour le premier, faute de conciliation avec le PSG le 8 avril, et d’ici la fin d’année pour le second. Et à l’enjeu majeur, si les deux joueurs obtiennent gain de cause devant le Conseil de prud’hommes : « Il est évident que ça doit faire jurisprudence sur la définition des obligations d’un club à l’égard des joueurs. Des pays étrangers l’ont fait, je pense notamment à la Suisse, où le Tribunal fédéral, qui est quand même l’équivalent de la Cour de cassation en France, a rappelé à un club que l’obligation contractuelle à l’égard des joueurs, c’est non seulement qu’il s’entraîne de la meilleure manière possible, mais aussi qu’il participe aux meilleures compétitions possibles. Si ça pouvait se faire en France aussi, ce serait pas mal. Sur la Suisse, c’est d’autant plus significatif que le droit suisse autorise la mise au placard avec quelques exceptions, parmi lesquelles les footballeurs professionnels. La difficulté, c’est de prouver que ce n’est pas une décision de l’entraîneur. Pour cela, il faut avoir des éléments comme je pense qu’on en a dans les dossiers Ben Arfa et Rabiot. »

Les bons joueurs vont toujours trouver du travail, mais un joueur entre guillemets moyen a tout intérêt à faire profil bas : à talent égal, on prendra toujours celui qui ne fera pas de procédure.

Mais n’est pas Hatem Ben Arfa ou Adrien Rabiot qui veut. Et c’est là que le bât blesse, pour des joueurs aux noms moins ronflants se retrouvant dans une situation similaire à celle de HBA ou du Duc. « Malheureusement, ce sont les pauvres de la paroisse, image Jean-Jacques Bertrand. Ces joueurs-là ont peut-être moins de médiatisation ou d’argumentation possible. Les bons joueurs vont toujours trouver du travail, mais un joueur entre guillemets moyen a tout intérêt à faire profil bas : à talent égal, on prendra toujours celui qui ne fera pas de procédure. D’où l’alerte de l’UNFP sur le cas de Bordeaux. » Que faire, alors ? D’abord, attendre le « couperet » du 2 septembre, date à laquelle le mercato s’achève cette année et où les clubs doivent théoriquement réintégrer leurs lofteurs au groupe principal. Chose que n’ont pas l’intention de faire les Girondins de Bordeaux, croit savoir l’UNFP, qui rappelle qu’à défaut, les bannis devront alors faire partie d’un groupe professionnel d’au moins dix joueurs, comme le veut l’article 507 de la Charte.

Dans le cas contraire, ceux-ci pourront toujours s’en remettre à la commission juridique de la LFP, qui impose généralement aux clubs de réintégrer les joueurs, ou à la justice étatique. Avec les risques que cela comporte pour leur image et leur carrière, donc. Et les lenteurs administratives que cela suppose, aussi : « Le temps que la commission étudie leur dossier, on sera en octobre ou en novembre. Et la procédure étatique est un peu plus longue. » Pour Jean-Jacques Bertrand, la solution passe donc par plus de réactivité, et surtout plus de fermeté : « Tant qu’il n’y aura pas de sanctions, les clubs continueront de le faire. Il faut, par d’autres dossiers, faire en sorte que cette situation à Bordeaux soit l’une des dernières. » À moins que la préparation foireuse des Girondins (cinq défaites en autant de matchs) n’incite Paulo Sousa à reconsidérer le sort des lofteurs plus vite que prévu ?

Dans cet article :
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Par Simon Butel

Propos de Jean-Jacques Bertrand recueillis par SB

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