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Mais pourquoi le Hellas Vérone a-t-il autant de problèmes de racisme ?

Par Adrien Candau
Mais pourquoi le Hellas Vérone a-t-il autant de problèmes de racisme ?

Après avoir minimisé les insultes racistes dont a été victime Mario Balotelli début novembre au stade Marcantonio-Bentegodi, le Hellas Vérone endosse une fois de plus le rôle du mouton noir d'un football transalpin encore malade de certaines sections de ses tribunes. Tout particulièrement dans la ville de Roméo et Juliette, représentative de la droitisation de la société italienne et qui traîne comme un boulet une histoire politique controversée.

C’est une affaire qui traîne depuis le début de la décennie. Début janvier 2010, l’Inter vient de se payer le Chievo à Vérone en Serie A, et Mario Balotelli, victime de cris et d’insultes racistes nauséabondes, décide de vider son sac. « La seule chose que je veux dire, c’est qu’à chaque fois que je viens ici, le public me dégoûte de plus en plus… » dégaine celui qui est alors attaquant nerazzurro. Ce public, c’est celui de Vérone, ou du moins une part non négligeable de la frange ultra du Chievo et de son voisin de palier, le Hellas. Neuf ans plus tard, Balotelli a pris ses cliques et ses claques pour Brescia, mais le traitement qui lui est réservé quand il se repointe à Vérone, comme le 3 novembre dernier, reste le même : des sifflets, des insultes, des cris simiesques. Peut-être à un degré encore plus intense que ce que le joueur avait pu expérimenter, quand il se faisait encore les os en Lombardie, dans ses jeunes années. Sans que personne ne s’en scandalise vraiment à Vérone, alors que, selon Ivan Jurić, l’entraîneur du Hellas, « il n’y a pas eu d’acte raciste » . Le maire de la ville, Federico Sboarina, a eu lui l’audace de faire dans la victimisation : « Aujourd’hui, j’étais au stade et je n’ai entendu aucune insulte raciste… Ce que Balotelli a fait est inexplicable, parce que, sans aucune raison, il a mis au pilori des fans et une ville. » Lunaire.

L’histoire qui tache

Voilà qui soulève une problématique brûlante, alors que le Hellas est probablement, avec Cagliari, le club de l’élite italienne qu’on retrouve le plus souvent épinglé dans la liste de scandales racistes qui émaillent l’actualité du football transalpin. De quoi sérieusement se demander si les travées gialloblu ne sont pas condamnées, comme saccagées par la rhétorique et l’idéologie d’une extrême droite qui a su s’imposer dans de nombreuses sections du stade. Pour tenter de comprendre ce qui se trame à Vérone, il faut d’abord rembobiner les bandes, pour zieuter sur l’histoire avec un grand H : « Vérone est une ville avec une histoire très particulière en Italie » , souligne Lynda Dematteo, politologue et enseignante à l’EHESS, notamment auteure du Stade, terrain de jeu de l’extrême droite italienne : soupape de sécurité ou fabrique du consensus ?

« La ville est souvent perçue comme une sorte de honte nationale par les Italiens, notamment parce qu’elle fut le lieu de garnison des troupes austro-hongroises avant le Risorgimento. Entamé au milieu du XIXe siècle, ce processus de réunification des divers royaumes qui constituent ce qui deviendra l’Italie moderne n’aboutira en effet qu’en 1866 à Vérone, qui restera entre-temps régie par l’empire austro-hongrois. Surtout, Vérone apporta un franc soutien à la République de Salo pendant la guerre civile. Cet éphémère État fasciste établi par Benito Mussolini pilota l’Italie du Nord et du Centre dans les zones contrôlées par la Wehrmacht de septembre 1943 jusqu’en avril 1945. Donc, le fascisme a laissé une marque puissante et durable dans l’histoire de la ville. »

Tosi et sa clique

Un héritage politique qui perdure encore aujourd’hui : « Par exemple, Flavio Tosi, qui a été maire de Vérone de 2007 à 2017, est un ancien membre de la Ligue du Nord (dont il a été exclu en 2015 par Matteo Salvini, parce qu’il s’opposait à une candidature désignée par le parti pour la présidence de la Vénétie, N.D.L.R.), reprend Lynda Dematteo. Son cas est très intéressant : il est lui-même très proche de certains ultras du Hellas. Andrea Miglioranzi, l’un des fondateurs du Fronte Veneto Skin Head (la plus dure des organisations de la droite radicale italienne, historiquement présente dans la Curva Sud du Hellas), était même tout en haut de la liste électorale de Tosi lors des élections municipales de 2012. »

Illustratif de l’instrumentalisation réussie du football par l’extrême droite italienne, alors que les tribunes du Hellas sont aussi représentées par des individus comme Luca Castellini, capo des ultras du club et affilié à Forza Nuova, un parti d’extrême droite ouvertement néofasciste. Castellini a finalement été exclu du stade Bentegodi jusqu’en 2030 après avoir tenu des propos proprement gerbants à la radio transalpine : « Balotelli est italien parce qu’il a la nationalité italienne, mais il ne pourra jamais être totalement italien. »

« Vérone a une tradition plus intégriste, plus identitaire »

Reste encore à expliquer pourquoi le racisme exprimé à Vérone, et notamment au Bentegodi, semble à la fois banalisé par les pouvoirs publics locaux et atteindre des sommets d’intensité en Italie. Le Hellas est pourtant loin d’être le seul club dont une partie de la tifoseria a viré radicalement à droite. La Ligue du Nord et d’autres groupes assimilés à l’extrême droite italienne ont par exemple une influence certaine dans le virage nord de l’Atalanta. Mais l’hégémonie idéologique de l’extrême droite parmi les ultras de la curva de la Dea a été freinée par l’influence d’autres groupes de supporters, à l’extrême gauche de l’échiquier politique. « Le cas de Bergame est différent de celui de Vérone dans la mesure où les supporters des Brigades Noires Azures (BNA), proches de l’extrême gauche, étaient avant beaucoup plus nombreux que les ultras proches de la Ligue, explique Lynda Dematteo. Les BNA sont apparues en 1976 et elles ont marqué l’histoire du mouvement ultra italien. Elles étaient jumelées avec deux autres groupes de supporters de gauche à Livourne et Terni, et leur symbole était un immense Che Guevara. »

Si les tribunes de l’Atalanta sont notoirement moins politisées aujourd’hui, certains observateurs proches du club théorisant même leur droitisation, la ville n’en reste pas moins gouvernée par un maire social démocrate, Giorgio Gori. « Vérone et Bergame sont deux villes historiquement marquées par le mouvement démocrate chrétien, ajoute Lynda Dematteo. Ce parti centriste a en effet tenu les manettes de Vérone de 1951 à 1994, avant de céder le pouvoir à des formations beaucoup plus droitières, qui tiennent encore la mairie aujourd’hui. « Néanmoins, la démocratie chrétienne est un mouvement composite, traversé par différentes tendances. Bergame est historiquement tenante d’un catholicisme plus à gauche, c’est entre autres la ville de Jean XXIII, un pape généralement considéré comme progressiste. Vérone a une tradition plus intégriste, plus identitaire, tenante d’un catholicisme plus dur. Il y a d’ailleurs eu un rassemblement dans la ville au printemps dernier, le World Congress of Families, où se sont rassemblés divers courants chrétiens intégristes pro-vie. Il y avait aussi bien des orthodoxes russes, des évangélistes américains, que des catholiques, etc. La Ligue du Nord faisait partie des organisateurs, et Matteo Salvini a fait un discours lors de cette rencontre. »

Folklore puant

Dans un tel contexte, il n’est pas forcément étonnant d’entendre des fans emblématiques du Hellas comme Luca Castellini utiliser l’argument usité du « folklore » pour justifier les dérapages racistes et xénophobes entendus au stade. « Nous avons une culture identitaire d’un certain type. Nous sommes partisans de provocations. On ne le fait pas avec un instinct politique ou raciste. C’est du folklore » , signait ce dernier dans les médias transalpins, après le match ayant opposé le Hellas à Brescia. Une rhétorique similaire à celle utilisée par les ultras de l’Inter pour défendre ceux de Cagliari, dans un communiqué surréaliste adressé à Romelu Lukaku, après que ce dernier a été victime de cris racistes en Sardaigne début septembre. « Et ça, cette excuse du folklore, c’est un discours que j’ai pu recueillir régulièrement quand j’ai interviewé de nombreux ultras italiens, déroule Lynda Dematteo. Même certains supporters de gauche m’expliquaient que ça faisait partie du jeu… Les ultras de droite se sentent légitimés, en partie en raison de la montée en puissance de la Ligue du Nord, et ils peuvent tenir un discours raciste qui était moins ouvertement utilisé il y a quelques années. D’ailleurs, il y a quelque chose de très choquant dans le cas de Balotelli, qui n’a reçu aucun soutien de la part des joueurs du Hellas. »

« La gauche a perdu la bataille des tribunes »

La surenchère des provocations xénophobes portées par certains ultras du Hellas semble également répondre à une volonté d’affirmation identitaire, alors que la ville et son club de foot sont régulièrement pointés du doigt pour ses dérapages et son histoire politique controversée. « Vérone est aussi prisonnière de son image à l’échelle nationale, confirme Lynda Dematteo. Ces excès au stade, c’est aussi une manière de marquer son identité citadine, qu’on peut décrypter comme une forme de provocation. » Tout n’est cependant pas noir dans la ville de Roméo et Juliette, où s’activent également des associations anti-racistes et d’aide aux migrants, mais Vérone reste néanmoins le symbole d’une Italie où la gauche a notoirement perdu la bataille des stades.

« Je pense que la chute du mur et du parti communiste dans le pays (jusqu’en 1991, le PC fut un parti majeur dans la Botte, seulement devancé par la Démocratie chrétienne, N.D.L.R.) a été dramatique pour l’anti-fascisme, qui était intrinsèquement lié au PC dans le pays, poursuit Lynda Dematteo. Quand le PC s’est effondré, les mouvements anti-fa’ sont tombés avec lui. Certains se sont reconstitués, mais ils restent minoritaires. » Si le stade de Vérone s’affirme comme l’une des expressions les plus extrêmes du phénomène, il n’est ainsi pas le seul concerné par une droitisation radicale de sa frange ultra, depuis le début des années 1990. « Dans les années 1980, le mouvement ultra décolle et il y a différentes tendances contestataires, aussi bien à l’extrême gauche que très à droite du spectre politique, conclut Lynda Dematteo. Mais aujourd’hui, les tribunes se sont droitisées. À Vérone, oui, mais même à Bergame aussi, où les supporters de gauche ont été exclus du virage nord et se sont retrouvés dans le virage sud. Il n’y presque plus de virage de gauche, à part à Livourne et peut-être à Gênes ou Padoue. » Un ultime signe, s’il en fallait, que Vérone n’est que le symptôme avancé d’un mal qui ronge les franges ultras de trop nombreux stades italiens, encore aujourd’hui.

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Par Adrien Candau

Propos de Lynda Dematteo recueillis par AC

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