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Belgique-Israël : les coulisses de la délocalisation en Hongrie
Future adversaire des Bleus, la Belgique commence sa campagne de Ligue des nations face à Israël ce vendredi. Si les Diables rouges évoluent habituellement à domicile à Bruxelles, l’Union belge de football a été contrainte de déplacer la rencontre en Hongrie. Retour sur les coulisses d’un avant-match sous tension.
Quand une équipe n’est pas en mesure d’accueillir un match de football à domicile, il y a souvent de quoi être inquiet. La Syrie, l’Ukraine ou encore l’Afghanistan sont par exemple contraints de disputer leurs rencontres loin de leur terre, et ce, depuis de nombreuses années. Il est donc consternant de voir la Belgique s’ajouter à cette liste noire le temps de 90 minutes en Ligue des nations. Les Diables rouges n’ont en effet pas été autorisés à recevoir Israël au stade Roi-Baudouin de Bruxelles, l’enceinte habituellement louée pour chaque match de l’équipe nationale. Si l’Union belge de football a bien tenté de trouver une solution de repli, toutes les villes du Plat Pays ont décliné la demande. En cause : des craintes pour la sécurité liées aux tensions générées par le conflit israélo-palestinien.
Risque de mobilisation et mauvais souvenir
Pour bien comprendre cette décision, il faut s’adresser à la Ville de Bruxelles, elle qui accueille habituellement Kevin De Bruyne et sa bande dans l’anciennement nommé stade du Heysel. Selon Benoit Hellings, échevin des Sports et coresponsable du refus, la réception d’une délégation israélienne aurait été susceptible d’affecter considérablement le climat social à Bruxelles, déjà tendu depuis le 7 octobre dernier. « Tous les jours, on a des manifestations et des contre-manifestations liées au conflit en cours, explique l’écologiste. Accueillir Israël, c’est faire entrer la tension géopolitique maximale dans nos quartiers. Qu’est-ce qu’on aurait fait si les militants pro-palestiniens ou pro-israéliens avaient acheté massivement des tickets ? Allait-on faire courir un risque si énorme pour la Ligue des nations, qui n’est quand même pas la compétition la plus prestigieuse ? »
L’Organe de coordination pour l’analyse de la menace a estimé qu’il y avait un risque multiplié autour de cette rencontre, de même que les forces de l’ordre, inquiètes à l’idée d’encadrer la sécurité urbaine. Bien qu’habituée à gérer des sommets européens importants, la police a expliqué à l’échevin que cet évènement risquait bien d’être « impossible à organiser, même avec des renforts ». Et quand on demande pourquoi la France et l’Italie pourront bien accueillir de leur côté le pays hébreu, l’élu évoque immédiatement le traumatisme de Belgique-Suède d’octobre 2023. Ce jour-là, deux supporters suédois avaient été assassinés en dehors du stade par un islamiste radicalisé. « Recevoir Israël en Belgique, même à huis clos, ça aurait été prendre un risque démesuré de voir un loup solitaire déclencher un nouvel acte terroriste. Toute la ville, voire tout le pays, aurait posé problème en matière de gestion des foules, des manifestants et de terrorisme. »
Un boycott qui ne dit pas son nom ?
Ce choix de ne pas accueillir le match, bien qu’exceptionnel dans l’histoire du sport belge, n’a pas créé énormément de remous au sein de la classe politique. Georges-Louis Bouchez, figure majeure de la droite francophone, est l’un des rares à avoir publiquement critiqué cette délocalisation. « Le collège de la Ville de Bruxelles veut simplement boycotter Israël, tacle le libéral. Il s’agit de raisons purement électorales en raison de l’importante communauté musulmane de la capitale. » Une accusation que réfute complètement Benoit Hellings, qui a plutôt Aleksander Čeferin dans le viseur : « C’est l’UEFA qui fait de la politique en n’excluant pas temporairement Israël. L’instance, par sa décision de maintenir en compétition un pays en guerre, reporte la responsabilité et la gestion sur les villes et les fédérations. »
Les mobilisations militantes au sujet du conflit israélo-palestinien ne sont toutefois pas hors de contrôle outre-Quiévrain. Au contraire, celles-ci seraient même moins sujettes aux débordements que dans l’Hexagone. « La question anime Bruxelles, mais les manifestations y sont moins importantes qu’ailleurs, en matière de nombre comme de personnes impliquées, analyse Elena Aoun, chercheuse en relations internationales spécialisée du Proche et Moyen-Orient. Les faits de violence sont très marginaux. Ça demeure bon enfant par rapport à la France, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. »
Dans l’hypothèse où la dimension sécuritaire autour du match est surfaite, doit-on dès lors y voir un malaise à l’idée de recevoir Israël dans le contexte actuel ? « La Belgique est plus ou moins restée fidèle aux positions européennes historiques allant dans le sens d’une reconnaissance des aspirations politiques palestiniennes, là où la France s’en est fortement éloignée, complète la professeure. Avec cette délocalisation, il y a peut-être du politique informulé, un souhait de ne pas fermer les yeux sur ce qu’Israël fait à Gaza et dans les territoires palestiniens. Le match a bien lieu, mais il se tient à distance : cela montre bien qu’on n’est pas dans une normalité totale. »
Chez les nouveaux amis de l’UEFA
Forcée de jeter l’éponge, l’Union belge de football a dû se tourner vers l’UEFA pour trouver une solution. L’instance européenne a choisi la Hongrie, son nouveau partenaire privilégié pour accueillir les rencontres dont personne ne veut. Le vilain petit canard de l’Union européenne est devenu le nouveau domicile de l’équipe nationale et des clubs israéliens, mais aussi de la Biélorussie, non autorisée à organiser des matchs sur son sol en raison de son engagement dans le conflit russo-ukrainien. C’est donc à Debrecen, dans un Nagyerdei Stadion à huis clos, que ce Belgique-Israël prendra finalement place.
Cette hospitalité magyare n’est évidemment pas anodine. Viktor Orbán, Premier ministre hongrois et fan invétéré du ballon rond, s’attire de cette façon les bonnes grâces de son homologue israélien Benyamin Netanyahou, mais aussi de l’UEFA. Le pays d’Europe centrale se consolide ces dernières années un capital politique solide auprès de l’instance européenne, qui a notamment permis à Budapest d’obtenir la finale de Ligue des champions 2026. Un moyen aussi pour le Fidesz, le parti au pouvoir en Hongrie, de tirer à boulets rouges sur les pays occidentaux, jugés incapables d’accueillir un match de football en raison de « l’immigration clandestine ». Voilà donc les Diables rouges contraints de quitter la capitale de l’Europe pour évoluer dans l’un des bastions de l’extrême droite européenne : même quand on cherche à fuir la politique, elle finit toujours par vous rattraper sur le terrain.
Par François Linden, en Belgique