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Madame Toutain et l’Ours Blanc se rappellent au bon souvenir de Gerland

Par Gabriel Cnudde, à Lyon
Madame Toutain et l’Ours Blanc se rappellent au bon souvenir de Gerland

Alors qu'ils seront des milliers à se masser dans les travées de Gerland, ce soir, pour le dernier derby de l'histoire du stade, seuls les plus âgés auront une pensée pour la mamie Toutain et sa célèbre brasserie, l'Ours Blanc. Une personne et un lieu qui resteront à jamais gravés dans l'histoire de l'Olympique lyonnais.

Les pichets de bière défilent à mesure que les supporters grimpent les marches de la bouche de métro « Stade de Gerland » , à l’angle de la rue Marcel Mérieux et de l’avenue Jean Jaurès. Sur la grande place devant le Ninkasi, tous sont drapés dans leurs maillots, bonnets, écharpes ou vestes estampillés Olympique lyonnais. Les quelques personnes assises le sont depuis des heures déjà, condamnant les derniers arrivés à boire debout. Qu’importe, debout, ils vont le rester pendant encore de bonnes heures. C’est un rituel auquel aucun supporter n’échappe. Là, à quelques mètres du virage nord, le Ninkasi accueille à chaque match un flot ininterrompu de Gones et de Fenottes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la brasserie locale est la première enseigne à s’être assurée une place de choix dans le futur grand complexe de l’OL. Aussi emblématique soit-il, ce lieu de rassemblement n’est pourtant pas le premier de l’histoire de Gerland. Bien avant les rendez-vous sur le parking de l’OL Store ou à la sortie du métro, les supporters en rouge et bleu avaient trouvé refuge derrière la gare de Perrache, dans la petite brasserie de l’Ours Blanc. Retour à une époque lointaine pendant laquelle la figure forte de l’Olympique lyonnais était une femme passionnée de football et une mère de substitution pour les hôtes de Gerland.

Nourris, blanchis, logés

Au 8 cours Charlemagne, dans le second arrondissement lyonnais, plus rien ne rappelle aujourd’hui l’Olympique lyonnais et ses couleurs. Complètement repensé, le quartier de la Confluence dispose aujourd’hui d’un nouveau centre commercial, d’une nouvelle faculté en lieu et place de la prison Saint Paul, et d’une ligne de tramway directe jusqu’au quartier de Gerland. Un moyen de locomotion qu’auraient sans doute apprécié les supporters de l’Ours Blanc, qui faisaient eux le chemin à pied depuis la petite brasserie aujourd’hui disparue. « C’était un des lieux dans lesquels les supporters se rassemblaient pour parler de Lyon et de son actualité. On y était la veille, le jour et le lendemain du match. C’était un lieu de rassemblement pour les supporters qui présentait l’avantage de ne pas être loin du stade. La brasserie était un point de vente de tickets pour les matchs à Gerland » , se souvient Alain Olio, joueur de l’OL de 1976 à 1986, puis entraîneur de l’équipe CFA entre 2014 et 2015. Si peu se souviennent aujourd’hui de ces supporters, le tout Lyon se souvient du fameux coup des carottes, organisé à l’Ours Blanc. Après l’élimination de l’ASSE en seizièmes de finale de la Coupe de France 1967 par l’OL, Jean Snella, le technicien des Verts, se fâche : « À force de jouer la carotte, Lyon n’ira pas loin en coupe. » Une déclaration loin d’être au goût de la mamie Toutain et de ses habitués. Le 19 mars 1967, lors du déplacement de l’OL à Geoffroy-Guichard, les supporters de l’Ours Blanc font un détour par le marché de gros, achètent 25kg de carottes et les jettent sur les Stéphanois à leur entrée sur la pelouse.

Bien plus qu’un simple lieu de rendez-vous, l’Ours Blanc est une institution estampillée OL. « L’Olympique lyonnais avait beaucoup de liens avec elle. Quand un joueur arrivait de l’étranger, c’est elle qui l’hébergeait » , explique Alain Olio qui, comme de nombreux jeunes joueurs, a lui aussi habité derrière l’Ours Blanc : « Moi, je l’ai bien connue entre 1974 et 1978. J’avais une chambre chez la mamie Toutain. Quand j’étais à l’armée, en 1977, j’avais une chambre chez elle. Quand je revenais de l’armée, j’allais chez elle, derrière l’Ours Blanc. » Fleury Di Nallo, légende de l’Olympique lyonnais, se souvient lui aussi de ce pensionnat pour jeunes joueurs : « Il y avait de jeunes joueurs qui habitaient là-bas. Les joueurs qui étaient au centre logeaient là-bas. Elle avait des chambres derrière et eux vivaient dedans. Ils y dormaient, ils y mangeaient. Ce n’était pas loin du stade en plus. Ils n’avaient qu’à prendre le car pour aller à l’entraînement. » À une époque où l’Olympique lyonnais est encore une petite équipe, joueurs, supporters et dirigeants se réunissent tous en tant que famille. « C’est inconcevable maintenant. Si les joueurs aujourd’hui faisaient pareil, trop de gens viendraient les déranger » , explique le petit prince de Gerland. Comme si ce n’était pas assez, madame Toutain reçoit aussi dans sa brasserie les équipes de jeunes du coin. « Quand il y avait les tournois inter-région, les sélectionnés du Rhône se rassemblaient chez madame Toutain » , détaille Alain Olio, nostalgique de ce temps révolu. Il faut dire que la mamie Toutain avait l’air d’être un personnage haut en couleur.

Bouchées à la reine et football féminin

« Madame Toutain était une dame extraordinaire. Elle aimait chaque joueur comme son propre fils. Elle s’occupait de nos enfants comme si c’étaient ses propres petits-enfants. C’était une dame extraordinaire » , assure Fleury Di Nallo, à nouveau rejoint par Alain Olio sur ce point : « L’Ours Blanc, c’est un endroit qui m’a marqué, tout comme la gentillesse extraordinaire de la mamie Toutain. Elle trouvait toujours une solution aux problèmes qu’on avait. C’était une maman. Quand j’étais allé la voir pour la chambre, elle m’avait reçu comme un roi. Elle était extraordinaire. » Derrière son comptoir ou dans les tribunes de Gerland, madame Toutain était remarquée et remarquable de partout. « Madame Toutain allait à tous les matchs et suivait l’actualité de l’Olympique lyonnais plus que quiconque. Elle avait beaucoup d’idées, beaucoup de choses à dire, et la plupart étaient très intéressantes » , raconte Alain Olio, ravi de pouvoir évoquer ses souvenirs. « Et puis, c’était une femme de stature importante. Elle avait un langage tout à fait honnête, elle disait ce qu’elle avait à dire et elle ne se privait jamais de le faire. » Et qu’importe si aujourd’hui, le formateur ne peut plus manger de bouchées à la reine à cause d’elle : « Une fois, je revenais de l’armée. Il était tard, entre 22 heures et 23 heures. J’arrivais en train de la gare de Perrache. Je n’avais pas mangé. Bien sûr, quand je suis rentré, la mamie était là. Quand elle a appris que je n’avais pas mangé, elle est passé derrière les fourneaux. C’était vraiment comme une maman ! Elle m’a alors servi des bouchées à la reine. Malheureusement, le lendemain, j’ai été malade… Je pense que la crème avait un peu tourné. Depuis, je ne mange plus de bouchées ! »

Supportrice emblématique de l’Olympique lyonnais, madame Toutain serait probablement ravie de découvrir que l’équipe féminine lyonnaise réussit des merveilles depuis quelques années. « Elle était très investie dans le football féminin, et dieu sait qu’elle a eu raison quand on voit où on en est aujourd’hui. Elle est à la base du football féminin à Lyon » , se souvient Alain Olio, aujourd’hui membre de l’AS Dakar Sacré Cœur. « C’était assez surprenant à cette époque-là de voir une femme autant investie dans le football. » Seulement, la mamie Toutain n’est plus, et la brasserie de l’Ours Blanc non plus, sans doute remplacée par un kebab derrière l’arrêt de tramway Suchet. Depuis le 21 août 1984, le club et ses joueurs ont appris à se passer de leur nourrice et de leur crèche. « Je suis content d’en parler, ça me rappelle la mamie et tous les bons moments avec elle » , se réjouit Alain Olio. L’Ours Blanc et madame Toutain sont deux preuves que le temps a beau être assassin, il ne peut pas s’en prendre à l’histoire. L’histoire d’un club, d’une institution, d’une famille.

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Par Gabriel Cnudde, à Lyon

Tous propos recueillis par Gabriel Cnudde. Merci au compte Twitter @OL_HISTOIRE pour son précieux travail de recherche d'archives.

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