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Lyon, l’intuition féminine

Par Maxime Brigand et Mathieu Rollinger, à Lyon
Lyon, l’intuition féminine

La capitale des Gaules est cette semaine au centre des attentions, accueillant le carré final de la Coupe du monde. Un événement qui sonne comme une dernière consécration pour une ville qui sert depuis plusieurs décennies d’incubateur au développement du football féminin, et cela même avant les titres de l'Olympique lyonnais. Retour sur une aventure à part.

Une machine de guerre dans toute sa splendeur. On a vu jeudi une femme se pointer au musée ouvert par l’Olympique lyonnais au printemps 2018 et se transformer d’un coup en petite fille ouvrant ses premiers paquets de Noël. Son nom ? Christie Welsh, 38 ans, passée jouer une dizaine de matchs dans le coin en 2005. Depuis son départ de Lyon, l’ancienne internationale américaine n’avait jamais remis les pieds dans la ville et n’avait donc pas vraiment pu mesurer le chemin parcouru en quatorze ans par la section féminine de ce club dont elle ne connaissait, au premier jour, quasiment rien, si ce n’est qu’il lui aura permis de prolonger un séjour en Europe débuté l’année précédente en Suède, à Örebro. 2005, chez les filles de l’OL : la fin de l’an I. Et 2019 ? Une nouvelle étape de l’aventure, le moment de « grandir encore » selon Jean-Michel Aulas, ce que le président lyonnais a matérialisé par l’installation de Jean-Luc Vasseur aux manettes de ses Fenottes.

Arrivé à Lyon mi-juin, celui-ci se prépare à devenir le premier entraîneur de l’histoire du foot français à avoir coaché en D1 masculine et en D1 féminine. Ce qu’a dit Vasseur au moment de s’installer dans le siège baquet : « Je soupèse la chance d’arriver dans ce club énorme. C’est un grand honneur, la barre est haute, mais je l’accepte. On me met à disposition une Formule 1. Je vais humblement être le pilote de cette machine de haute précision sur laquelle je n’aurai à faire que quelques retouches. » Tout simplement parce que l’OL est aujourd’hui un monstre, le plus brutal de son pays, le plus gros du continent : six Ligue des champions gagnées entre 2011 et 2019, treize titres de champion de France consécutifs, huit Coupe de France remportées depuis 2005 sur douze finales disputées… Ainsi va l’empire.

Au début était le FC Lyon

Et ainsi avance le bolide, qui ne cesse de se renforcer d’année en année et semble incapable d’une sortie de route, si bien qu’Élodie Thomis, onze saisons à l’OL sur le CV, lâchait il y a quelques semaines, à 20 Minutes, cette question : « Comment trouver mieux ailleurs ? » Avant d’y répondre toute seule : « Quand l’OL veut une joueuse, il l’obtient presque toujours. Il sait garder sa colonne vertébrale et réinjecter chaque année de bons éléments. C’est comme une Ferrari sur laquelle il n’y aurait qu’une roue à changer chaque été. Les bonnes joueuses restent super longtemps à Lyon. En même temps, c’est dur de quitter ce club, rien que quand on voit le niveau des oppositions à l’entraînement. Depuis plus de dix ans, on n’a jamais senti une baisse de niveau. » Peut-être avant tout car Lyon avait cette petite chose dans ses artères qui veut que c’était ici, et nulle part ailleurs, que le football féminin français devait éclater pour de bon. Parce qu’Aulas, évidemment, parce que l’OL, aussi, parce que Madame Toutain, peut-être – la gérante de la brasserie de l’Ours Blanc et supportrice historique du club a notamment entraîné Sainte-Foy-Lès-Lyon lors du premier match féminin de l’histoire joué à Gerland en février 1970 contre Saint-Maurice-de-Beynost (8-1) – et parce que le FC Lyon, surtout.

Il est aujourd’hui impossible de comprendre le succès de l’Olympique lyonnais sans comprendre ce qu’était justement le FC Lyon, club quadruple champion de France (1991, 1993, 1995, 1998) chez les filles, dont l’OL aura récupéré les droits sportifs en 2004, avant de réapparaître progressivement cinq ans plus tard, loin de la D1 féminine. « Le foot féminin, à Lyon, c’était avant tout ça, replace instantanément Thierry Braillard, ancien secrétaire d’État chargé des Sports et historique de la vie politique lyonnaise. J’allais souvent voir jouer les filles parce que je jouais dans un club du 8e arrondissement de Lyon, à l’Étoile sportive Trinité, et on s’entraînait en même temps qu’elles, à la Plaine des jeux des États-Unis. Du coup, il m’arrivait d’aller voir les matchs, je trouvais ça intéressant. » Intéressant et performant, car le FC Lyon est rapidement devenu un nid à internationales, dont la porte-brassard Cécile Locatelli. « En arrivant de Grenoble en 1992, j’ai tout de suite vu un club structuré, raconte aujourd’hui celle qui est depuis devenue, entre autres, la sélectionneuse de l’équipe de France U16. Moi, j’étais dans un univers de sportifs : j’ai vécu avec des hockeyeurs, puis à la patinoire Baraban avec Gwendal Peizerat et Marina Anissina… La semaine, on avait trois-quatre entraînements par semaine, on partageait le stade Vuillermet avec le LOU(club de rugby, N.D.L.R)et, même si on bossait à côté, on était le gros club. Le FC Lyon était connu pour ses filles et, comme on avait des résultats, ça attirait du monde. »

Et quelques regards, aussi, les autres clubs français voyant bien rapidement l’avance prise par les dirigeants lyonnais qu’étaient Paul Piemontese, arrivé à la tête du club en 1988, et son copilote, Jacques Manrique, cerveau des projets sportifs du FC Lyon.

Le FC Lyon était précurseur et en avance sur son temps. Le problème, c’est qu’on s’est aussi rapidement rendu compte qu’il nous manquait quelque chose pour évoluer, qu’on aurait besoin de plus.

Ainsi, c’est à Lyon qu’ont été créées les premières sections sportives dédiées au football féminin et c’est aussi à Lyon qu’a débarqué un jour la première internationale, Irina Grigorieva, en 1993. Locatelli : « Elle logeait chez moi et la première fois que je l’ai emmenée au supermarché, à Vénissieux, elle n’avait rien mis dans son chariot après vingt minutes. Elle était perdue, elle ne comprenait que le russe. Du coup, j’avais acheté un dictionnaire pour communiquer avec elle, mais c’était surtout la première fille qui arrivait en France pour ne jouer qu’au foot. C’est signe que le FC Lyon était précurseur et en avance sur son temps. Le problème, c’est qu’on s’est aussi rapidement rendu compte qu’il nous manquait quelque chose pour évoluer, qu’on aurait besoin de plus. On avait déjà monté le FC Lyon féminin parce qu’on sentait la jalousie des garçons… On prenait la lumière, l’argent, le bébé était structuré. Il fallait juste l’aider à grandir. » Et ce ne sont pas les 50 000 euros de subvention alloués à la section féminine qui peuvent permettre cette mue. Alors, Thierry Braillard, maire-adjoint de Lyon chargé du sport depuis le mois d’avril 2001, part à l’aventure.

Quand Braillard murmure à l’oreille d’Aulas

Nommé dans l’équipe d’un Gérard Collomb habitué de Gerland, Braillard va alors jouer des coudes pour imposer ses idées. Inévitablement, l’élu se retrouve embarqué dans la délégation officielle lyonnaise lors des déplacements européens de l’OL et n’hésite pas à souffler à l’oreille de Jean-Michel Aulas. Un soir de Ligue des champions, voilà ce qu’il lui dit : « Jean-Michel, vous avez l’image d’un homme d’argent. Or, quand on vous connaît, on voit très bien que derrière tout ça, il y avant tout la passion du foot et je pense que vous devriez investir le terrain du foot féminin. On ne vous y attend pas et je suis persuadé que ça vous permettrait de faire évoluer le foot féminin, peut-être même de briguer de nouveaux titres. » L’OL vit alors ses heures de gloire, c’est le début des années 2000, celles des trophées nationaux à gogo et des espoirs européens. Aulas a donc déjà les mains dans le cambouis et la tête ailleurs.

Du moins, c’est ce que pense dans un premier temps Thierry Braillard, avant de voir le président de l’OL revenir vers lui en 2004. Cette fois, pour dire banco. « Et quand on connaît Jean-Michel Aulas, ce n’est pas banco pour être champion de France, mais banco pour être le premier club français à devenir champion d’Europe en masculin et en féminin » , précise Braillard. Les bonnes relations entre Aulas et Piemontese, cadre dirigeant chez Renault Trucks, sponsor de l’OL, feront le reste. Une question se pose malgré tout : est-ce une simple lubie ? Une vraie volonté ? De l’opportunisme ? Impliquée dans les discussions autour de la fusion FC Lyon-OL, Cécile Locatelli s’interroge aussi : « Durant les deux premières saisons, j’avoue que j’avais quelques doutes. Je voyais où les dirigeants de l’OL voulaient plus ou moins arriver, mais on se questionnait. J’ai tout de même rapidement compris que quand Jean-Michel Aulas faisait un truc, il le faisait bien et avec un grand respect. »

Première preuve : au moment de lancer l’affaire, Aulas décide de conserver sur le banc Farid Benstiti, arrivé sur celui du FC Lyon trois ans plus tôt.

Quand on connaît Jean-Michel Aulas, ce n’est pas banco pour être champion de France, mais banco pour être le premier club français à devenir champion d’Europe en masculin et en féminin.

« Au départ, je tâtonnais un peu sur mon avenir, je réfléchissais et, un jour, par hasard, j’ai reçu un appel d’un ami qui avait une proposition pour prendre le poste au FC Lyon,resitue celui qui a ensuite coaché les filles du PSG. Il m’a dit que ce n’était pas pour lui, mais pour moi. J’ai rencontré les dirigeants du FC Lyon : deux pieds-noirs, moi d’origine algérienne, ça a collé tout de suite. L’OL, derrière, ça a été le second souffle parce qu’on savait où on allait. On a rapidement établi un plan de recrutement sur plusieurs années avec Jean-Michel Aulas et Paul Piemontese, tout était pensé. » Problème : la troupe va mettre un peu de temps à trouver la bonne stratégie pour assouvir ses ambitions.

Les Magnum, Loulou et les barrières cassées

Car, à peine la fusion validée, l’OL veut vraiment frapper vite et fort. Peut-être trop. Alors, en 2005, six internationales américaines, dont les stars Aly Wagner et Hope Solo, déboulent dans le Rhône, sous les regards méfiants des locales. « On nous a toutes assises dans une salle pour nous annoncer leur arrivée, se souvient la capitaine Locatelli. On a vu des joueuses baisser la tête, parce que les États-Unis, c’était la référence, et parce que c’est du lourd qui arrivait. Certaines avaient peur de la révolution. Puis, quand certaines ne jouaient pas parce qu’une joueuse américaine prenait leur place, il fallait le gérer. » Autre problème, Benstiti se montre plus laxiste avec les petites nouvelles et les laissent notamment manger des Magnum au fond du bus, là où les Françaises sont surveillées de près. Le coach rembobine : « À l’époque, il y avait une petite faille dans le système concernant le nombre d’extra-communautaires. On a eu cette opportunité, mais on n’avait pas forcément les structures. Finalement, ça a surtout été une bonne chose pour le club en matière d’expérience parce que les Américaines étaient des super joueuses. C’est un moment qui nous a permis d’affiner le projet. » Et de faire mûrir le groupe aussi, Locatelli avouant avoir poussé deux ans de plus pour « tester ses limites » au contact de la bande des six (Solo, Nicks, Slaton, Fair, Wagner, Welsh).

En championnat, l’OL laisse d’abord Montpellier et Juvisy se battre pour le titre, ce qui n’empêche pas les adversaires des Lyonnaises de grincer des dents. Parce que tout le monde sent que quelque chose se passe, que Lyon a désormais des moyens et qu’Aulas prépare ses arguments : proposer des salaires là où les joueuses touchent des indemnités à Montpellier, des infrastructures de qualité… La promesse de pouvoir vivre du foot, en somme.

Il a fallu casser des barrières quand même, certains nous jalousaient, mais à un moment, cette équipe a été la principale image du club.

« Ce qui était proposé, c’était cohérent, détaille Locatelli. OL TV commençait à faire des reportages sur nous et on sentait la peur grandir chez nos adversaires, surtout qu’on a rapidement fait deux finales de Coupe de France. Je me rappelle notamment un match à Montpellier où, alors que je suis seule au centre du terrain après une défaite, Loulou Nicollin était venu me relever par le bras et m’avait dit :« T’inquiète pas cocotte, t’es dans un super club et des titres, tu vas en gagner… »Lui aussi avait senti la chose arriver. » Bingo : en 2007, l’OL change de cap et décide de devenir la meilleure équipe du pays en recrutant simplement les meilleures joueuses du pays, qui évoluent alors à Montpellier, là où Louis Nicollin avait de son côté déjà joué le rôle de pionnier, sans le jusqu’au-boutisme de « JMA » . Laure Lepailleur, Camille Abily, Sonia Bompastor et Hoda Lattaf déménagent à Lyon, le foot féminin français vient de changer de visage.

La sauce d’Aulas a pris, et chaque cycle va désormais être l’occasion de faire un pas en avant. Au lendemain de la défaite en finale de la Ligue des champions 2010, Farid Benstiti est alors remplacé par Patrice Lair, qui réussira l’exploit de valider le premier triplé de l’histoire de l’OL (championnat, coupe, C1) avec un effectif à l’équilibre précieux : des jeunes pousses, des internationales françaises, des stars étrangères. Lyon doit être un cocktail, mais le meilleur d’entre tous. « Tout de suite, le discours de Jean-Michel Aulas était tourné vers une victoire en Ligue des champions, raconte l’actuel entraîneur de Guingamp. L’OL venait d’échouer en finale sur un penalty raté contre Potsdam et il fallait gagner l’année suivante. C’était la prochaine étape parce que, même s’il fallait parfois se battre à l’intérieur pour exister, de l’extérieur, le club dégageait déjà cette force. C’est ce que je disais aux joueuses :« Soyez championnes d’Europe et après, tout sera plus simple. »Et c’est ce qu’il s’est passé. Ensuite, l’équipe a été véritablement reconnue, acceptée par les garçons et a trouvé pleinement sa place dans la vie du club. Il a fallu casser des barrières quand même, certains nous jalousaient, mais à un moment, cette équipe a été la principale image du club. » Et elle l’est aussi aujourd’hui, les titres ne cessant de s’empiler et les stars avec. Cela ne semble pas près de s’arrêter, même si certains clubs en France (le PSG) ou à l’étranger se structurent progressivement (en Espagne ou en Angleterre, notamment) et pourront bientôt regarder pleinement l’OL dans les yeux. Un Lyon qui a encore faim et mis à l’honneur en recevant les demi-finales du Mondial en cours : c’est aussi ça, mesurer le chemin parcouru.

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Par Maxime Brigand et Mathieu Rollinger, à Lyon

Tous propos recueillis par MB et MR, sauf mentions.

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