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  • 10 ans de Savidan chez les Bleus

Lugano : « Le maillot de Savidan est au-dessus de mon barbecue »

Propos recueillis par Antoine Donnarieix
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Recrue de l’ère QSI au Paris Saint-Germain à l’été 2011, Diego Lugano portait le brassard de l'Uruguay, le 19 novembre 2008, face aux Bleus. Ce jour-là, le défenseur central a eu un réel coup de cœur pour Steve Savidan.

Bonjour Diego. Si je ne me trompe pas, ce match amical était ta toute première fois à Paris… Exactement. 2008, il y a dix ans maintenant !

Comment est-ce que tu voyais la France en tant qu’Uruguayen natif de Canelones ? Dans le monde, la France a toujours été perçue comme l’un des propulseurs de la démocratie, des racines humanistes et de la pensée des Lumières avec ses philosophes. C’est une énorme référence dans l’époque moderne. D’un point de vue sociétal, la France donnait un exemple sur lequel s’appuyaient de nombreux pays pour évoluer. D’un point de vue plus sportif, l’équipe de France était vice-championne du monde depuis 2006. C’était aussi une grande puissance du football moderne. En vérité, c’était un réel honneur et un vrai test d’affronter la France ce soir-là en tant que capitaine de l’Uruguay.

Vous jouiez ce match amical à Saint-Denis, en banlieue parisienne. Comment l’aviez-vous préparé ?Durant toute la période où j’ai été capitaine de ma sélection nationale, j’avais imposé une règle orale d’ordre culturel. Dans chaque pays dans lequel nous nous rendions pour jouer un match de football, nous devions visiter au moins un lieu culturel du pays en question. Pendant un jour, nous devions visiter et apprendre la culture dans laquelle nous entrions. Si tu ne fais pas ça, le footballeur souffre de la routine de son travail, et se contente de faire du shopping, dormir à l’hôtel et passer son temps sur les réseaux sociaux. Ce train de vie n’est pas propice à l’homme. Avec El Loco Abreu et Sebastián Eguren, nous étions les moteurs de cette ouverture culturelle, car cela nous passionnait. À Paris, je me souviens que nous sommes passés par le Louvre d’abord, puis le musée de l’Armée aux Invalides. Et bien entendu, il y a eu un passage obligatoire par la tour Eiffel ! J’avais vraiment pris du plaisir à connaître tout cela.

C’est à ce moment-là que tu es tombé sous le charme de la ville ? (Il réfléchit.) Probablement. Même si à cet instant très précis, je n’aurais jamais imaginé signer au PSG trois ans plus tard. Mais depuis l’enfance, j’étudiais déjà le français au collège et j’étais déjà fasciné par l’histoire de ce pays. Il faut savoir que les histoires de la France et de l’Uruguay sont intimement liées : l’instauration de l’école publique par exemple, cela provient de l’Uruguay. Et dans le même registre, la politique de conquête établie par Napoléon Bonaparte a influé sur l’indépendance de l’Uruguay, car les forces espagnoles et portugaises présentes sur le territoire uruguayen devaient rentrer au pays pour contrer les velléités napoléoniennes. De cette révolution naissent les indépendances uruguayenne et argentine. Cette relation entre la France et l’Uruguay perdure aujourd’hui dans le temps. Et du point de vue du match en lui-même, quelles étaient les attentes et les directives de Tábarez avant d’affronter l’équipe de France ? En 2008, l’Uruguay était dans une rénovation et une révolution interne concernant son organisation propre. Il s’agissait de sélectionner avec des critères d’assiduité les joueurs membres de l’équipe nationale. Tábarez n’a jamais éludé le fait que son modèle, c’est celui de la France. La formation à la française, la gestion des internationaux… Tout cela était la base du raisonnement du Maestro.

Les histoires de la France et de l’Uruguay sont intimement liées : l’instauration de l’école publique par exemple, cela provient de l’Uruguay. Et dans le même registre, la politique de conquête établie par Napoléon Bonaparte a influé sur l’indépendance de l’Uruguay.

En cela, nous devions affronter l’une des meilleures équipes du monde avec la conscience que notre équipe était en pleine restructuration au niveau de son image, de sa gestion. L’objectif, c’était de faire un match sans avoir de regret. J’étais un jeune capitaine de 27 ans, mais j’étais déjà le plus âgé de l’équipe avec Diego Forlán. Des jeunes comme Luis Suárez ou Diego Godín avaient 22 ans, Cavani n’était pas encore titulaire… Ce match nous a démontré que si nous étions sérieux, ordonnés et intelligents, nous pouvions être de bons protagonistes du football à l’échelle mondiale. À partir de ce match-là, le devoir d’être une nation forte du football était devenu un objectif nécessaire. Tu étais joueur et capitaine de Fenerbahçe à l’époque. Est-ce que tu connaissais déjà Steve Savidan ou pas du tout ? Avant de préparer ce match, je ne le connaissais pas du tout. Bien entendu, je connaissais les joueurs issus de la génération des mondiaux 2002 et 2006 comme Vieira, Henry, Anelka… Mais au moment de la préparation, nous avions repéré qu’il faisait partie des nouveaux noms de la sélection française avec le gardien, Hugo Lloris. Forcément, cela m’avait intéressé, car Savidan était un attaquant, et je pouvais potentiellement me retrouver face à lui en tant que défenseur. Au moment d’étudier son cas, j’avais remarqué qu’il était en grande forme (6 buts inscrits sur les 8 derniers matchs de Ligue 1 avec Caen, N.D.L.R.). C’était un homme à surveiller. Quand tu intègres l’équipe de France avec des noms aussi prestigieux, c’est parce que tu le mérites.

Comment est-ce que tu décrirais l’ambiance de ce match ?C’était vraiment particulier. Je me souviens que la Fédération française de football avait eu la grande délicatesse d’associer à notre hymne national une école de candombe venue avec des instruments de musique issus des coutumes charrúas. En tant que pays sud-américain en déplacement, la tradition veut toujours que nous suscitions la crainte à travers notre agressivité, au stade de France ou ailleurs. Là, nous étions au contraire très émus par ce geste fraternel. C’était difficile d’imposer une guerre sur le terrain après cela, car nous étions touchés émotionnellement. Ce sont des détails, vu comme ça, mais pour les Uruguayens, cela est générateur de grandes conséquences.

La première période se passe sans aucun but inscrit, puis vient le début du deuxième acte. Quand tu vois Steve Savidan remplacer Nicolas Anelka sur le front de l’attaque, qu’est-ce que tu te dis ? Anelka, j’avais pu cerner ses qualités majeures : sa vélocité, sa vitesse d’exécution, sa rapidité balle au pied et sa capacité à s’extirper du marquage. Mais quand Savidan est entré, j’ai très vite senti quelque chose de différent. Déjà, il se déplaçait tout le temps, et pour un défenseur, c’est toujours une sacrée galère.

Savidan avait très faim. Tu ne te rends compte de ce type de comportement que lorsque tu es sur le terrain. Anelka était plus habitué à l’équipe de France et tu pouvais sentir qu’il avait pris ce match comme un autre. Pour Savidan, c’était 45 minutes à fond et rien d’autre.

Ensuite, il avait très faim. Tu peux sentir quand il y a de l’enjeu pour un joueur et chez lui, cela se voyait tout de suite. Tu ne te rends compte de ce type de comportement que lorsque tu es sur le terrain. Anelka était plus habitué à l’équipe de France et tu pouvais sentir qu’il avait pris ce match comme un autre. Pour Savidan, c’était 45 minutes à fond et rien d’autre. Il disputait le ballon avec une intensité physique énorme, car il vivait ce moment de manière très forte. Putain, je me souviens d’une bicyclette qu’il avait tentée pendant le match… Il était monté si haut ! C’était beau. En vérité, il a tenté deux bicyclettes dans le match…Ah ouais ? Tiens, c’est marrant. Je me souviens uniquement de celle qui avait terminé juste à côté du but !

Sur son apparence physique, tu le vois déjà avancé en âge ou tu l’apprends seulement plus tard ? C’était assez bizarre en fait. Il avait quoi, 29-30 ans (30, N.D.L.R.) ? Quand tu démarres une carrière internationale à cet âge-là, c’est un peu tardif. Surtout chez nous les Sud-Américains, où des sélections comme l’Argentine ou le Brésil laissent très peu de place aux joueurs révélés sur le tard et privilégient les jeunes profils pour les installer sur la durée. Mais en l’occurrence, cela se voyait qu’il savait se déplacer avec beaucoup d’intelligence, pas comme un joueur jeune et fougueux pourrait le faire. Tout ce qu’il faisait, c’était calculé dans sa tête.

En quoi il était si difficile de défendre sur Savidan ? C’était le neuf typique, celui capable de te faire passer un sale moment à cravacher pour rester dans son sillage. Je ne sais pas combien de diagonales il avait pu faire entre Godín et moi, mais je peux t’assurer que nous étions contents que le match se termine ! Il passait par le centre pour servir de point d’appui, puis il basculait sur l’aile pour rechercher le décalage, et ainsi de suite… Le plus dur, c’était de le maintenir inoffensif dans la surface de réparation.

Je ne sais pas combien de diagonales il avait pu faire entre moi et Godín, mais je peux t’assurer que nous étions contents que le match se termine !

Voir un ailier qui déborde, ce n’est pas tellement un problème. La vérité, c’est dans la surface de réparation qu’elle se passe. Si tu es maître de ta surface de réparation, alors tu évites le danger. En ce qui me concerne, le football se résume à cela.

Savidan avait raconté lors d’une interview pour So Foot que tu étais venu lui demander son maillot dans le vestiaire après le match. Pourquoi avoir décidé de récupérer son maillot ? Après avoir lutté avec vaillance sur le terrain, j’avais envie d’échanger mon maillot avec mon principal adversaire. Nous nous sommes serré la main, puis nous avons échangé nos maillots. D’ailleurs, il faut savoir que ce maillot de l’Uruguay dégage une signification importante, puisque c’est la dernière fois que notre équipe nationale a joué en rouge. Nous avions arboré cette tunique rouge en hommage à l’anniversaire de nos prédécesseurs qui avaient joué avec les mêmes couleurs le premier match de l’Uruguay contre l’Argentine, en 1910. Le surnom de la Celeste est en réalité arrivé bien après…

Le fait d’avoir joué jusque 31 ans avec un souci cardiaque démontre toute sa force physique. Ce joueur n’a pas fait une simple carrière de footballeur, il est allé chercher des ressources au-delà de ses capacités. Sincèrement, c’est exceptionnel et ça me laisse bouche bée.

Le rouge est issu du second drapeau de notre pays, seulement visible dans nos livres d’histoire. J’avais envie d’échanger ce maillot, mais je n’ai pas oublié d’en garder un exemplaire en souvenir ! Depuis ce temps, le maillot de Savidan est au-dessus de mon barbecue. Il est à côté de celui d’Henry, avec lequel j’avais échangé mon maillot lors du Mondial sud-africain. En fait, j’ai une salle à trophées où je détiens une centaine de maillots et mes médailles, et j’avais envie que tout cela soit à l’endroit où je fais cuire la viande pour les asados.

Savidan ne parlait pas beaucoup l’espagnol… Qu’est-ce que tu lui as dit exactement ? Je ne me souviens pas trop… Mais à mon avis, il parlait beaucoup mieux espagnol que je parlais français. Il a sûrement dû y avoir un échange de sourires, un « ¡ Gracias ! » et des félicitations partagées.

Est-ce que tu le sentais accessible et prêt à échanger ? Oui, je sentais qu’il profitait de l’instant. Sans le connaître vraiment, il démontrait une réelle passion pour ce qu’il vivait.

Est-ce que tu as suivi sa carrière après ce match ?Pour être franc, non. Qu’est-ce qu’il a fait ensuite ? Il a toujours joué en France ?
Il a mis un terme à sa carrière sportive à la suite d’une anomalie cardiaque, sept mois après ce fameux match. ¡ Caramba ! Je ne savais pas du tout…

Qu’est-ce que cela t’inspire ? Cela me rend triste. Quand une blessure grave ou un problème de ce type empêche un joueur d’avoir une carrière pleine, ça me fait aussi réfléchir. Cela aurait pu m’arriver… Mais d’un autre côté, je crois que le fait d’avoir joué jusqu’à 31 ans avec un souci cardiaque démontre toute sa force physique. Ce joueur n’a pas fait une simple carrière de footballeur, il est allé chercher des ressources au-delà de ses capacités. Sincèrement, c’est exceptionnel et ça me laisse bouche bée. Maintenant, nous faisons partie des anciens footballeurs et il nous reste encore une bonne partie de vie à effectuer. Le plus important, c’est de prendre soin de nous-mêmes.

Pour terminer, quel message souhaiterais-tu faire passer à Steve Savidan ? Je n’ai pas de message en particulier à faire passer, et puis je ne suis qu’un modeste joueur de football. Je lui souhaite une vie prospère et une bonne santé. C’était un plaisir d’avoir pu combattre contre lui pendant 45 minutes. L’Uruguay fait désormais partie de son histoire, et nous sommes fiers de faire partie de l’histoire de Savidan. Et en bon compétiteur, je suis très heureux d’avoir vu son retourné acrobatique passer à côté du but !

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Diego Godin during the Liga match between Atletico and Sevilla on 12th May 2019
Diego Godin during the Liga match between Atletico and Sevilla on 12th May 2019 Photo : Marca / Icon Sport
Diego Godin : défenseur d'une époque

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