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Lucien Favre à Nice, place au deuxième chapitre

Par Maxime Brigand
Lucien Favre à Nice, place au deuxième chapitre

Six ans après avoir rempli l’Allianz Riviera avec une première saison brillante, suivie d'une seconde un peu plus compliquée, Lucien Favre, 64 ans, fait son retour sur le banc de l’OGC Nice pour prendre la suite de Galtier, en route vers le PSG. Difficile de ne pas être emballé.

Au cours de sa vie de voyages en ballon, il pensait avoir tout vu. Pourtant, au beau milieu de l’été 2016, Mathieu Bodmer, alors âgé de 33 ans, a pris une claque en voyant débouler sous ses yeux un « génie », habité jour et nuit par son job, au point de « s’infuser quinze heures de foot » au quotidien. « J’ai découvert un entraîneur très pointilleux, avec qui le placement se travaille au centimètre près, décrypta un jour l’ancien numéro 24 niçois dans un entretien donné à Ouest-France. Sur deux heures de séance, on va faire une heure et demie de tactique, de mise en place et de sortie de balle. Ce sont des détails, mais qui font que le week-end, on a des repères. Peu importe les joueurs utilisés, il y a ces repères. On fait de grosses séances, avec le ballon, beaucoup de jeu, de courses. Il nous demande de courir énormément, de beaucoup se replacer, de faire des appels. Il y a l’idée d’être en mouvement pour prendre l’ascendant sur notre adversaire. C’est un acharné du travail, avec une mentalité différente. Quand arrive le jour du match, on sait les points faibles adverses, où insister, comment se sortir du pressing adverse… »

Sur deux heures de séance, on va faire une heure et demie de tactique, de mise en place et de sortie de balle. Ce sont des détails, mais qui font que le week-end, on a des repères. Peu importe les joueurs utilisés, il y a ces repères.

À cette époque, lors de chaque représentation de l’OGC Nice à domicile, les supporters locaux se sont bousculés pour assister au spectacle. Le fan de foot neutre, lui, s’est amusé à ne rater aucune rencontre diffusée à la télé, et les différents acteurs se sont régalés sous les ordres d’un coach qui aura, tout au long de son séjour, refusé de se placer au-dessus de ses hommes. Ce coach, c’est évidemment Lucien Favre, dont le premier passage en France (2016-2018) n’a laissé aucun suiveur insensible et dont le pic aura été une première saison étincelante dans le jeu, récompensée par une troisième place de Ligue 1 à 78 points et quatre petites défaites (dont deux lors des trois dernières journées), mais surtout plusieurs rencontres pétillantes (entre autres, les victoires à domicile contre Monaco, Nantes ou au PSG, le nul au Parc…). Arrivé chez les Aiglons pour faire fructifier le travail de Claude Puel, le Suisse, progressivement crispé par certains choix en matière de recrutement, a ensuite connu un deuxième exercice plus compliqué, sans que cela ne fasse pour autant oublier les belles choses produites sur plusieurs séquences par un effectif aux forces multiples. À l’heure de voir déménager une deuxième fois dans le sud de la France celui qui a ensuite connu une aventure aussi riche qu’intense à Dortmund – la saison 2018-2019 du Borussia a notamment été assez brillante -, difficile de ne pas être nostalgique et emballé.

Relance propre et momentum

Il est possible de l’être pour plusieurs raisons. Tout d’abord, car on devrait rapidement retrouver dans le jeu les marqueurs forts des équipes d’un Lucien Favre impossible à enfermer dans une case. L’ingénieur de 64 ans a toujours su monter, pêle-mêle, des armées polymorphes. Des équipes capables de ressortir proprement le ballon au sol en enchaînant les passes courtes près de leur propre surface pour mieux aspirer et prendre de vitesse leurs victimes (on l’a vu avec Pléa, Saint-Maximin ou Eysseric à Nice ; avec Sancho, Pulisic et Reus à Dortmund), comme de densifier les côtés pour percer les organisations adverses dans les demi-espaces plutôt que via des centres à répétition (les équipes de Favre centrent en général très peu : Nice était dernier dans ce domaine en 2016-2017, puis avant-dernier en 2017-2018, et le Borussia était avant-dernier en 2018-2019). Ses formations, souvent repliées dans un bloc médian compact cherchant à poser des trappes dans des zones précises – principalement les couloirs – plutôt que dans un bloc haut agressif (sous Favre, Nice et Dortmund n’ont jamais été des machines au pressing), sont également toujours cohérentes, bien que laissant naturellement quelques espaces exploitables dans la profondeur.

Ensuite, parce que l’ancien milieu de Toulouse, qui avait tenté d’installer une défense à trois au début de son aventure en Ligue 1 avant de miser durablement sur le 4-3-3 pour profiter d’un Mario Balotelli retrouvé (17 buts toutes compétitions confondues en 2016-2017), des pieds créatifs de ses milieux (Seri, Koziello, Cyprien, Bodmer, Belhanda, Mendy, Tameze) et des poumons de ses latéraux, devrait trouver dans l’effectif de son deuxième Nice les profils pour rapidement mettre en place son projet de jeu. Un projet où les ailiers sont généralement plus invités à venir combiner à l’intérieur qu’à vivre le long de la ligne de touche et où les différents éléments doivent faire preuve d’une grosse polyvalence. Enfin, car l’autre constante avec Favre est qu’il rend fréquemment dingues les statisticiens qui voient depuis près d’une décennie ses équipes surperformer dans différents contextes. En 2016-2017, au terme d’une saison où ils avaient été plusieurs fois bluffants dans leur capacité à contrôler le « momentum » des rencontres, les Aiglons avaient, par exemple, dépassé leur total de xG de plus de 11 buts et n’avaient concédé que 36 buts (pour 50,89xGA !). En 2018-2019, le Borussia avait fait encore plus fort en inscrivant 81 buts (pour 64,99xG).

J’aime les équipes qui se transforment, entre les rencontres ou au cours des matchs, mais ce qui m’intéresse surtout, c’est le mouvement. Trouver le mouvement juste pour déstabiliser.

« Pour le footballeur qui ne suit pas le mouvement… »

Les différentes réussites de Favre ne sont en aucun cas le fruit de la chance. Le secret se trouve en partie dans le travail sur les centimètres évoqués par Bodmer, mais aussi dans bien d’autres détails. Samedi, dans les colonnes de Nice-Matin, Maxime Le Marchand a ainsi parlé des conseils donnés par le technicien « sur la position du corps, les appuis, que ce soit sur le plan technique pour le contrôle de balle, ou sur un plan tactique dans le duel en un contre un ». Lors de la première parenthèse du natif de Saint-Barthélemy en Ligue 1, certains joueurs – qui « buvaient ses paroles. C’était Panoramix, notre druide » (Le Marchand, aussi dans Nice-Matin) – avaient également été marqués par son amour des gammes. « C’est des exercices techniques simples. Du contrôle-passe, poitrine, mise au sol, détaillait dans un entretien donné à So Foot début 2020 Lucien Favre, notamment marqué par un stage fait en 1993 à Barcelone auprès de Cruyff, coach attaché aux répétitions des bases. Aujourd’hui, on ne travaille plus ces gammes. Certains arrivent et croient qu’ils sont prêts. J’ai fait pas mal de clubs et ça m’est souvent arrivé de tomber sur des joueurs que je trouvais techniquement très faibles. Ils n’arrivent pas à faire un plat du mauvais pied, à changer d’appuis… Ils sont professionnels, mais ils ne sont pas bons techniquement, ne savent pas contrôler un ballon en l’air. Je trouve qu’il y a beaucoup à faire. Moi, là-dessus, j’ai la philosophie de Nadal. Lui se réjouit de son prochain entraînement. Il ressent du plaisir à se faire mal. Je suis aussi là-dedans. »

Au-delà de devoir être au top physiquement pour pouvoir imposer sur la longueur l’intensité demandée (ce qui avait été le hic lors de la deuxième partie du premier mandat niçois de Favre), ses joueurs doivent aussi être dans cet état d’esprit pour pouvoir répondre positivement à toutes les situations et s’adapter à des contextes tactiques divers. À L’Équipe, fin 2016, le coach helvète disait alors : « J’aime les équipes qui se transforment, entre les rencontres ou au cours des matchs (…), mais ce qui m’intéresse surtout, c’est le mouvement. Trouver le mouvement juste pour déstabiliser. Le mouvement offensif, le pressing à la perte, le replacement… Tout ça est important parce que le football, comme le reste, va de plus en plus vite. Au Mondial 1954, les joueurs couraient quatre kilomètres par match. Maintenant, c’est treize ou quatorze, (…), pour le footballeur qui ne suit pas le mouvement, ça devient vite difficile. » Resté proche de Jean-Pierre Rivère, qui aurait aimé le ramener dès l’été 2021, Lucien Favre, qui n’a jamais déconnecté depuis son départ de Dortmund (il a, par exemple, été voir Marcelino en Espagne et a été très attentif à l’Ajax d’Erik ten Hag), revient en France avec une tête fraîche, une passion identique et est prêt à écrire son deuxième chapitre en Ligue 1 avec Nice, qui a passé le dernier exercice entre plusieurs eaux. L’Allianz Riviera l’a longtemps espéré : le voilà de retour.

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