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L’incroyable histoire d’Ángel Cheme

Par Éric Maggiori
L’incroyable histoire d’Ángel Cheme

Ángel Cheme est un joueur équatorien de 36 ans, qui évolue en toute discrétion au Club Atlético Saquisilí, en D3 équatorienne. Pourtant, il y a dix ans, il était sous le feu des projecteurs. Avec la Liga de Quito, il remportait la Copa Sudamericana (équivalent de la C3 en Amérique du Sud), et deux fois de suite la Recopa Sudamericana. Surtout, à l’époque, il ne s’appelait pas Ángel Cheme, mais Gonzalo Chila. Histoire folle.

Cela fait désormais un an qu’Ángel Cheme coule des jours paisibles en troisième division équatorienne, au Club Atlético Saquisilí. Sa première saison là-bas s’est soldée par un bilan honorable de 5 buts en 13 matchs. Surtout, le joueur a fait parler de lui en mars dernier pour avoir vendu aux enchères ses médailles de Recopa Sudamericana 2009 et 2010 (équivalent de la Supercoupe UEFA), ainsi que le maillot porté lors de l’édition 2010. Le but de cette vente ? Couvrir les frais d’une opération chirurgicale dont sa nièce a besoin pour soigner son dos. Un geste magnifique, qui, au premier abord, laisse à penser que Cheme est un chic type, un vrai gars bien, qui agit dans l’intérêt des autres. Or, si ceci est vrai en 2018, cela n’était pas le cas il y a dix ans. Une période où Cheme, valeur montante de la LDU de Quito, meilleur club équatorien, porte un autre nom. Celui de Gonzalo Chila. Un patronyme derrière lequel se cache une incroyable histoire d’usurpation d’identité.

Une ascension interrompue

Retour en 2009. Il y a tout juste dix ans. La LDU de Quito remporte la Copa Libertadores, en battant en finale Fluminense. Le club équatorien décide alors de se renforcer encore, en recrutant un jeune milieu de terrain de 25 ans qui évolue à Olmedo et dont on dit partout le plus grand bien : Gonzalo Chila. La presse nationale assure même qu’il va devenir l’un des piliers de la sélection nationale équatorienne. Et ces prédictions semblent se confirmer quand Chila devient l’un des maîtres à jouer de la LDU de Quito, et remporte plusieurs trophées continentaux, dont la Copa Sudamericana. L’ascension du joueur est fulgurante, mais elle va connaître, au même moment, un coup d’arrêt aussi improbable qu’inattendu.

De fait, au beau milieu de nulle part, un homme fait irruption et prétend qu’il s’appelle… Gonzalo Chila. Il n’est pas du tout footballeur, mais pasteur. Un homme de dieu, qui prêche la bonne parole et clame à quel fidèle veut l’entendre qu’il est le seul et unique Gonzalo Chila. D’accord. Mais alors, l’autre, c’est qui ? Le joueur répondrait en réalité au doux nom d’Ángel Cheme, et aurait 28 ans, soit trois ans de plus qu’il ne le prétend. La presse, qui s’empare immédiatement de l’affaire, affirme que les deux hommes sont des amis d’enfance, et qu’ils ont échangé leur identité d’un commun accord. Une version que l’intéressé réfute totalement. « On habitait le même quartier à Esmeralda, mais nous n’étions pas amis, explique le présumé vrai Chila. En revanche, je me rappelle que Cheme voulait percer dans le football. Il passait ses journées à taper dans le ballon. Quelques années plus tard, je suis parti travailler dans une poissonnerie. Une connaissance commune en avait parlé à Cheme. Comme il avait besoin de bosser en attendant de trouver un club, je me suis dit que je pouvais lui rendre service. » Un service qui va se transformer en calvaire.

Le journaliste et les crapules

Parallèlement à son job à la poissonnerie, Ángel Cheme passe des détections à l’Aucas Quito, qu’il réussit. Le tableau est parfait, à une exception prêt : l’âge maximal requis est de 21 ans. Cheme en a alors 24. Sur conseil de son oncle – visiblement un fin stratège –, il décide de falsifier ses papiers et vole le nom de Gonzalo Chila, de trois ans son cadet, sans son autorisation. « Il y a une fragilité dans le registre d’état civil équatorien. Tous les fonctionnaires sont corrompus, et pour 30 ou 50 dollars, ils peuvent vous refaire l’identité que vous voulez : passeport, n° de sécurité sociale, tout ! C’est incroyable, mais vrai » explique Guido Campanas, journaliste au quotidien équatorien El Universo. Lorsque l’affaire éclate, Campanas, qui avait déjà enquêté sur une affaire similaire quelques années auparavant (celle de Moises Alberto Cuero, un international espoir qui avait falsifié son identité pour rajeunir de trois ans), se penche sur le dossier.

Lui est convaincu de la bonne foi du vrai Chila, et fait tout pour prouver que celui qui porte le maillot de la LDU de Quito est un usurpateur. Mais cette détermination va lui coûter cher. « Pour m’assurer de la véracité des propos de Chila, je me suis déplacé à Esmeralda. Je suis allé voir les anciens professeurs, les familles, l’administration et la mairie. Ils m’ont tous confirmé que Cheme était un usurpateur. Mais en repartant, une voiture a arrêté le bus dans lequel je me trouvais. Deux hommes cagoulés et armés sont entrés et m’ont tiré de force vers leur voiture. Ils m’ont bâillonné, attaché les mains et les pieds et m’ont gardé pendant 7 heures. Ils disaient qu’ils avaient été mandatés pour que je la ferme. Ils n’ont même pas caché qu’ils venaient de la part de Cheme » , raconte le journaliste. Mais Campanas n’a aucune intention de la fermer. Pire, il va même aller de révélation en révélation.

Poissonnier, prêtre, avocat

Il découvre entre autres qu’avec seulement quelques pots-de-vin bien distribués, Cheme est devenu Chila et a pu signer son premier contrat pro. Le poissonnier, qui était devenu entre-temps pasteur, ne se rend compte de rien et continue à vivre sa vie. Jusqu’au jour où l’évêque de Guayaquil lui dit que le Seigneur veut l’envoyer en Argentine et au Pérou pour prêcher la bonne parole. Chila fait alors une simple demande de passeport. Qui ne s’avère finalement pas si simple que ça. « La guichetière m’a dit que quelqu’un était déjà venu le récupérer. J’ai été surpris et ma première réaction a été de me dire qu’il s’agissait d’un signe de Dieu pour que je ne parte pas. Ensuite j’ai réfléchi et j’ai compris que c’était grave » , atteste Chila, vert.

Il embauche immédiatement des enquêteurs et une avocate. Mais quand rien ne veut sourire… L’avocate est confrontée, au cours de son investigation, à Cheme. Et visiblement, le feeling passe entre les deux. « Au lieu de m’aider, l’avocate s’est fait séduire par Cheme. Je ne sais pas comment il a réussi à lui retourner le cerveau, mais en tout cas, je peux vous dire que ces deux-là sont devenus amoureux. Pour moi, c’était encore une injustice puisque l’avocate essayait de me décourager dans mes démarches » , se plaint-il. Heureusement, les enquêteurs sont plus efficaces que l’avocate. Rapidement, ils entrent en contact avec l’imposteur devenu footballeur et tentent de lui mettre la pression. Mais ils sont face à un mur, et l’enquête fait du surplace.

« Dieu est à mes côtés »

Alors, Gonzalo Chila prend les choses en main, et se rend lui-même dans le bureau du vice-président de la LDU de Quito, Patricio Torres, pour lui faire entendre raison. Raté. « Il m’a traité de menteur et m’a menacé si je revenais. Je pense qu’il savait la vérité, mais qu’il ne voulait pas l’admettre, car l’affaire aurait fait trop de bruit. En perdant le nom de Gonzalo Chila, Cheme allait perdre du prestige et le club ne pourrait pas le revendre. C’est pour ça qu’ils m’ont envoyé me faire foutre. » Lésé, désespéré que personne ne veuille lui rendre son identité, Chila contacte la presse pour que son visage et son nom apparaissent dans les colonnes de tous les journaux. Quelques jours avant que les diverses interviews ne soient publiées, le pasteur est contacté par Cheme lui-même, qui souhaite le voir en privé. « Je suis sûr qu’il voulait me buter » , affirme l’homme d’église, qui refusera toutes les offres (biftons, arrangements crapuleux) présentées par le joueur. Quelques jours avant que la Cour ne rende son jugement, Chila garde la foi, malgré le chemin de croix sur lequel il est engagé. « Un homme ne peut pas lutter contre les lobbys du foot. Sauf moi. Dieu est à mes côtés. Il sait comment je m’appelle. Et il sait aussi comment s’appelle Cheme. Tôt ou tard, il reconnaîtra le bon du méchant et j’obtiendrai justice. »

Et Dieu finit par l’entendre. En décembre 2010, la justice sportive condamne en effet Ángel Cheme à deux ans de suspension, tandis le procureur décrète la restitution immédiate de l’identité de Gonzalo Chila. Cette suspension est finalement réduite à un an, et Cheme peut faire son retour sur les terrains en février 2012. Mais cette histoire d’usurpation d’identité lui colle désormais à la peau, et la LDU de Quito lui fait rapidement comprendre qu’il ne rejouera pas. Chante va alors se résigner à repartir dans les niveaux inférieurs, au Deportivo Quito, puis en retournant à Olmedo, le club où il avait explosé. Instable, il change de club tous les six mois depuis 2015, et semble finalement s’être posé au Club Atlético Saquisilí. Ses médailles de 2009 et 2010 et son maillot de 2010 ont finalement été vendus pour 3000$. Un maillot collector, sur lequel est floqué le nom « Chila » . Amen.

Histoire vraie initialement parue dans le SO FOOT #90 d’octobre 2011.

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Par Éric Maggiori

Propos de Chila (le vrai) et Cabanas recueillis par Javier Prieto Santos

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