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L’incroyable destin de Musa Juwara

Par Éric Maggiori
L’incroyable destin de Musa Juwara

Il y a quatre ans, Musa Juwara, alors âgé de 14 ans, traversait seul la Méditerranée pour venir chercher une vie meilleure en Italie. Aujourd'hui, et après plusieurs années à s'endurcir au gré des difficultés, il vient de marquer son premier but en Serie A.

Qui sait à quoi Musa Juwara a pensé, au moment où le ballon qu’il venait de frapper avec force a fait trembler les filets de Samir Handanović ? Probablement à beaucoup de choses. Ou alors à rien du tout. Seul lui détient le secret, et c’est tant mieux. Ce but, en tout cas, a été un petit séisme qui a secoué toute l’Italie du football. D’abord, parce qu’il a permis à Bologne d’égaliser (puis de gagner) à San Siro contre l’Inter (1-2), enterrant les derniers espoirs de Scudetto des Nerazzurri. Ensuite, parce qu’il a permis de mettre en lumière le parcours d’un gamin de 18 ans venu de Gambie, qui venait de signer là sa première banderille en Serie A. Or, ce parcours, débuté il y a un peu plus de quatre ans de l’autre côté de la Méditerranée, relève de l’extraordinaire. Et c’est ce qui rend ce moment encore plus beau, encore plus fort.

Un périple de plus de 5500 kilomètres

Retour en 2016. Musa Juwara a 14 ans, il vit avec sa famille à Tujereng, un petit village de quelque 5000 habitants en Gambie, et n’a qu’un rêve : devenir footballeur. Mais le gamin, d’une lucidité dingue pour son âge, sait qu’en restant là-bas, son rêve pourrait ne jamais se réaliser. Alors, prenant tout son courage à deux mains (et à ce stade-là, le terme « courage » n’est même pas suffisant), il décide de partir, seul, en Italie. Le voyage, coûteux, lui est financé par son grand frère, qui travaille dans les champs et qui souhaite plus que tout que son petit frère réussisse.

Débute alors, pour Musa, un périple de plus de 5500 kilomètres et de près de 80 heures de route pour rejoindre la Sicile. Seul avec quelques affaires et un peu d’argent en poche, Musa va donc traverser le Sénégal, la Mauritanie, le Sahara occidental, le Maroc, l’Algérie et enfin la Tunisie. C’est de là qu’il embarque dans un petit bateau qui l’emmène en Sicile. Il y est accueilli par la Croix-Rouge, au terme d’un voyage de plusieurs jours. Cette année-là, on estime que 25 000 mineurs venus d’Afrique ont débarqué en Italie… De là, il est envoyé dans un centre d’accueil situé en province de Potenza, une ville du Sud de l’Italie, à deux heures de Naples. Et c’est là-bas que les premières lignes de son rêve vont enfin pouvoir s’écrire.

Décision capitale

Le jeune Gambien se met en effet à jouer au foot dans la rue et se fait quelques copains. Certains d’entre eux vont lui proposer de venir jouer avec eux au Virtus Avigliano, un petit club de la banlieue de Potenza. Il y rencontre Vitantonio Summa, l’entraîneur de l’équipe. Entre les deux hommes se crée immédiatement une relation père-fils qui va jouer un rôle déterminant dans la vie et la carrière de Musa. En effet, Vitantonio va prendre le gamin sous son aile, l’héberger, en plus de lui donner sa chance sur le terrain. « Quand il est arrivé, il avait des problèmes de langue, raconte à Calciomercato.com la femme de Vitantonio, Loredana Bruno. Il se forçait à parler italien, mais c’était difficile. La première et seule requête qu’il m’a faite, c’est d’aller à l’école. Il savait que tout chemin, footballistique ou non, devait être accompagné par la culture. » Musa découvre donc les bancs de l’école, en plus de se faire rapidement un nom dans la région, sur les terrains verts.

À tel point que son nom arrive jusque dans le bureau des recruteurs du Chievo. Le club de Vérone, alors en Serie A, entre en contact avec Vitantonio Summa. Évidemment, Musa est fou de joie. Mais comme si son histoire n’avait pas déjà été assez compliquée, la Fédération italienne de football va venir lui mettre de nouveaux bâtons dans les roues. De fait, la FIGC l’empêche dans un premier temps de s’engager avec le Chievo. La raison invoquée ? Les nouvelles règles interdisant l’exploitation de mineurs extra-communautaires non accompagnés. Désabusé, Musa aurait alors pensé tout arrêter. Mais Vitantonio et sa femme vont prendre une décision capitale : devenir les parents adoptifs de Musa. Un choix qui va permettre au jeune footballeur en herbe de commencer véritablement une nouvelle vie. En novembre 2017, après des mois de bataille légale, Musa et ses parents adoptifs obtiennent gain de cause : Musa Juwara est autorisé à signer au Chievo. La porte de la cour des grands s’ouvre enfin.

Baptême en première division

À partir de janvier 2018, Juwara est donc autorisé à jouer avec la Primavera du Chievo. Et d’entrée, il montre d’excellentes capacités au poste de milieu de terrain (ou d’ailier), avec un certain amour du but. En 15 apparitions avec le Chievo, il inscrit pas moins de huit buts, dont quatre lors de ses trois premiers matchs (un contre l’Udinese, deux contre la Lazio, un contre Naples). Lors de la deuxième saison (2018-2019), il joue pratiquement tous les matchs et s’impose déjà comme une valeur sûre de l’équipe. Au mois de mars 2019, il est invité à participer au célèbre tournoi de Viareggio sous les couleurs du Torino, auquel il est prêté pour l’occasion. Il y inscrit trois buts en trois matchs. Ces prestations convaincantes vont alors lui ouvrir les portes de l’équipe première du Chievo. Et ainsi, le 25 mai 2019, pour la dernière journée de Serie A, le coach des Clivensi, Domenico Di Carlo, lui offre son baptême en première division. Juwara entre en jeu contre Frosinone à la 79e minute. Un match un peu triste, car les deux équipes sont déjà mathématiquement reléguées, mais l’important est ailleurs. Car le joueur, désormais âgé de 17 ans, ne descendra pas en Serie B. Lui est destiné à rester dans l’élite.

En effet, à l’été 2019, Walter Sabatini, le directeur sportif de Bologne, flaire le bon coup. Les dirigeants bolonais dépensent 500 000 euros pour le faire signer, et souhaitent qu’il s’aguerrisse dans un premier temps avec la Primavera, avant de venir passer une tête chez les grands. Mais Musa n’a pas le temps. De septembre à février, il casse tout chez les jeunes : 16 matchs, 11 buts, 5 passes décisives. Ironie du destin : le 8 février 2020, c’est un doublé victorieux sur la pelouse du Chievo, face à tous ses anciens potes, qui convainc définitivement Siniša Mihajlović de l’appeler en équipe première. Il ne retournera plus en Primavera. Après l’interruption due à la pandémie de Covid-19, le voilà aligné dès la reprise contre la Juventus. Et puis, ce 5 juillet, le grand moment. Alors que Bologne est mené 1-0 et est réduit à dix sur la pelouse de l’Inter, Mihajlović décide de le faire entrer en jeu à la 65e minute du jeu. Pas le temps : neuf minutes plus tard, son pétard du droit résonne dans le huis clos de San Siro. On ne saura pas à qui ni à quoi il a pensé à ce moment-là, mais une chose est sûre : devant leur téléviseur, Vitantonio Summa et Loredana Bruno ont très probablement essuyé quelques larmes de joie.

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