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Et Saint-Marin regoûta à la victoire

Par Beniamino Morante, à Saint-Marin

Après 20 années d’abstinence, Saint-Marin a gagné un match de football, ce jeudi, face au Liechtenstein (1-0) en Ligue des nations. Son tout premier succès dans un tournoi officiel. On y était.

Et Saint-Marin regoûta à la victoire

« Est-ce qu’on est la sélection la plus nulle au monde ? C’est ce que dit le classement FIFA en tout cas. » Quarante années au compteur, l’air débonnaire, Daniele Dei est le leader de la Brigata Mai 1 Gioia (brigade jamais de bonheur, en VO), le seul groupe de supporters organisés de Saint-Marin. Un nom qui témoigne de l’acceptation d’un destin : celui d’un micro-État enclavé au cœur de l’Italie, qui ne peut puiser que dans un réservoir de 33 000 habitants pour composer sa sélection. Et qui enchaîne donc les défaites à chaque fois qu’une trêve internationale se profile à l’horizon. « Le problème, c’est qu’on joue toujours en Europe où même la très modeste Lituanie ou le Luxembourg nous sont supérieurs, se révolte Dei. Lorsqu’on a affronté d’autres sélections en amical ces deux dernières années, on a obtenu d’excellents résultats. » Oui, ici, un 0-0 face à Saint-Christophe-et-Niévès ou un 1-1 contre Sainte-Lucie sont (quasi) célébrés comme des victoires.

Des rires, des chants et un espoir

Ces nuls arrachés à ces îlots caribéens ont galvanisé le sélectionneur Roberto Cevoli. Avant la rencontre contre le Liechtenstein de ce 5 septembre, ce Saint-Marinais d’adoption lance donc un défi à ses hommes : « Nous sommes fatigués de jouer le rôle de la victime sacrificielle, il faut devenir une équipe moins sympa et qui obtient plus de résultats. » Comme le reste de la république sérénissime, Cevoli sait parfaitement quelle malédiction pèse sur son équipe. Celle-là même qui dure depuis le 28 avril 2004. Ce soir-là, Saint-Marin arrachait la seule et unique victoire de son histoire face… au Liechtenstein. Cet événement quasi mythologique a servi d’inspiration à l’un des chants phares de la Brigata Mai 1 Gioia. Armé d’un combo mégaphone et tambour miniature, Daniele Dei l’entonne dès l’entrée dans le stade de Serravalle : «  Je me rappelle les collines vertes / Les drapeaux du Liechtenstein / Andy Selva sur coup franc / Quelle fureur, quelle explosion / 20 ans sont déjà passés / Mais la brigade est toujours là / Nous attendons ce grand moment / Qui finira par revenir. »

La Brigata Mai 1 Gioia ©Daniele Dei
La Brigata Mai 1 Gioia ©Daniele Dei

Non loin du capo, un grand gaillard de quasi deux mètres aux cheveux or bouclés reprend l’appel aux armes de Dei avec un léger accent qui trahit ses origines d’outre-Manche. Il s’agit d’Alan, déjà six matchs avec la brigade au compteur. Arrivé depuis Londres en train – par peur de l’avion plus que par engagement écologique –, ce cinquantenaire, dont le cœur bat aussi pour Wolverhampton, se définit comme « un homme footballistiquement optimiste ». « Tôt ou tard la victoire arrivera, lance ce membre de l’importante délégation internationale qui gonfle les rangs des sans-bonheur. En tout cas, j’aime être ici, dans cette atmosphère si particulière. On n’a pas d’attentes, on est là juste pour la joie de supporter. » 20h45, c’est l’heure des hymnes dans l’enceinte de Serravalle, mais aussi des premiers fous rires pour Millun et Will. Les deux jeunes Britanniques de 18 ans, qui ont fait le voyage depuis Birmingham jusqu’au mont Titan pour la première fois ce vendredi soir, réalisent que le chant patriotique du Liechtenstein suit la même mélodie que le God Save the King anglais. Mieux, ils redoublent d’amusement après 10 secondes de jeu lorsqu’une transversale du Liechtenstein s’éteint tristement en touche. Un bon mètre au-dessus de la tête de l’ailier droit qui était censé la réceptionner. Le ton est donné.

« Célébrer un corner, c’est quand même drôle  »

La technique des représentants des deux micro-États (qui comptent environ 70 000 habitants à eux deux) a beau être perfectible, le match n’a pourtant rien de comique. L’intensité physique proposée par ces deux équipes, plutôt habituées à dresser des barricades, est là. Peut-être car, comme l’explique Adrien, les deux sélections sont conscientes que ce match représente pour elles une occasion en or. « Le Liechtenstein aussi n’a plus gagné depuis 3 ans, donc, ce soir, d’un côté ou de l’autre, on pourrait être témoins d’une belle histoire, sourit ce Lyonnais qui affirme suivre Saint-Marin depuis 8 ans (à distance) et depuis l’année dernière aux côtés des sans-bonheur. C’est en regardant les matchs ici que je prends le plus de plaisir, se réjouit-il. Célébrer un corner, c’est quand même drôle. » L’humour, justement, semble être une constante chez les membres de la brigade, qui s’amusent volontiers des erreurs de leurs idoles. Inusuel pour un groupe de supporters, ce qui laisse parfois planer un doute sur les réelles intentions des sans-bonheur, qui dans leur quasi-totalité ne sont pas natifs de Saint-Marin. « C’est sûr que l’élément “déconnade” existe, surtout quand on suit Saint-Marin les premières fois, reconnaît à ce sujet Daniele Dei, originaire d’Empoli en Toscane. Mais il y a surtout l’idée de soutenir une sélection qui perd toujours. On encourage des joueurs qui ne sont pas professionnels pour la plupart et qui affrontent quelque chose de plus grand qu’eux. Ça part d’un bon sentiment, ce n’est pas pour se foutre de leur gueule. »

Les rires gras de Millun et Will pourraient laisser penser le contraire, mais au fur et à mesure que les minutes défilent, leur attitude vis-à-vis du match change radicalement. Saint-Marin et le Liechtenstein se répondent coup pour coup (et faute sur faute), et un frisson parcourt le stade après un but liechtensteinois finalement refusé par la VAR. Ouf, 0-0 à la pause, les chants reprennent de plus belle au début du second acte avec un déjà mythique « on se contente d’un contre-sans-camp ». Puis le miracle se produit. Sur un ballon anodin, la défense du Liechtenstein s’emmêle les pinceaux et permet à Nicko Sensoli, 19 bougies soufflées, de planter un but de renard. La brigade explose et entraîne avec elle le reste du stade. Plus question de blaguer désormais, le parfum de l’exploit historique galvanise tout le monde, autant qu’il effraie. Alan, pourtant à l’aise en italien, ne bafouille plus que des prières païennes en anglais. « Je n’en peux plus, je ne mérite pas ça, j’ai voyagé si longtemps, ça aurait dû être amusant », peste le quinqua britannique. Les sept minutes de temps additionnel sont un supplice, mais la lumière apparaît enfin au bout du tunnel : 20 ans après, Saint-Marin a gagné un match de football. La magie de la Ligue des nations, dédaignée par les grandes nations du football, opère. Car dans cette poule de trois complétée par Gibraltar, Saint-Marin peut même se prendre à rêver d’autres succès. La date du 15 novembre, avec la réception de Gibraltar, est cochée dans le calendrier. Au moment des adieux, une dernière question flotte dans l’air : faut-il désormais changer le nom de la Brigade ? Hors de question pour Daniele Dei. « Pour nous, de toute façon, il n’y aura que très peu de joies dans le futur, conclut le Toscan. À la rigueur, on optera pour “un bonheur tous les 20 ans”. »

Adrien, un fan français de Saint-Marin aux anges. ©Stefano Sammaritani
Adrien, un fan français de Saint-Marin aux anges. ©Stefano Sammaritani

Par Beniamino Morante, à Saint-Marin

Tous propos recueillis par BM.

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