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Ligue 1 : Des gardiens français infidèles au poste
Lors de l’Euro 2012, les trois gardiens tricolores (Lloris, Mandanda, Carrasso) jouaient dans l’Hexagone au début de la compétition. La dernière liste avant le Mondial au Qatar a rassemblé (dans un premier temps) Lloris, Maignan et Areola, évoluant en Angleterre et Italie. Au-delà des Bleus, c’est le gardien français qui disparaît des buts en Ligue 1. Depuis le début de saison, il n’a joué que 78 des 200 matchs. Entre concurrence étrangère dans les staffs et dans les buts, profil type en mutation, formation déficiente et dégoût du poste chez les jeunes, explication de l'extinction d'une espèce.
Au-delà d’être un derby entre deux clubs européens cette saison, le Stade rennais-FC Nantes de ce dimanche était unique en son genre lors de cette dixième journée de Ligue 1 : deux gardiens français se sont affrontés en les personnes de Steve Mandanda et d’Alban Lafont. Dans les neuf autres rencontres, au moins l’un ou les deux portiers étaient de nationalité étrangère(1). Un comble pour le pays longtemps considéré comme celui des gardiens de but et renommé pour sa formation. Comme dirait Mbappé : « Le football, il a changé », et les gardiens ne sont pas exemptés.
Au bon souvenir des duels Jourdren-Delle
Il y a dix ans (saison 2012-2013), pour la dixième journée de Ligue 1 : sur quatre pelouses, deux gardiens bleu-blanc-rouge se faisaient face, dont Steve Mandanda et Rémi Vercoutre lors d’un OM-OL. Mais aussi Geoffrey Jourdren d’un côté et Joris Delle (Montpellier-Nice). Aujourd’hui, les mêmes rencontres verraient s’opposer Pau Lopez et Jonas Omlin à Anthony Lopes et Kasper Schmeichel. « On a perdu ce vivier un peu pour une question de niveau, mais surtout pour une question de mode, de philosophie et de culture du poste », regrette Jérôme Alonzo, du haut de ses plus de 300 matchs professionnels. L’argument de la montée en gamme des Aiglons version Ineos – du moins dans le discours, les ambitions et les moyens – s’entend, mais ne se justifie pas pour Montpellier, Brest, Lorient, Strasbourg. Cette absence de Français dans le championnat domestique pose question. D’autant qu’hormis les internationaux Hugo Lloris, Mike Maignan, Illan Meslier (Espoirs) et Alphonse Areola, les autres ne s’exportent pas dans les grands championnats européens. Rien d’étonnant pour Silvano Martina, ancien gardien et agent historique de Gianluigi Buffon, dans un article de L’Équipe évoquant l’adaptation rapide de Mike Maignan en Italie : « Pas grand monde ne le connaissait à son arrivée : la Ligue 1 est un championnat plaisant, rempli d’excellents joueurs à tous les postes, sauf celui de gardien. »
Moins présents à l’étranger, portés disparus en France. Mais où sont-ils ? Alors que la base de joueurs étrangers oscille entre 49 et 52% dans les effectifs de Ligue 1 depuis 10 ans (3), 55% des parties sont jouées par ces mêmes étrangers dans cet exercice 2022-2023. Chez les gardiens, le différentiel est encore plus important. Cette saison, dans 78 matchs sur 200, un Français s’est installé dans les cages (soit 39% des rencontres). Un chiffre stable par rapport à l’an dernier (38,28% des matchs, 291 sur 760). Sur cette même dixième journée de L1 d’octobre 2012, treize gardiens français(2) gardaient les cages. Dimanche, ils étaient 9 au coup d’envoi. Et encore, c’est en partie dû à la titularisation des jeunes Lucas Chevalier (Lille) et Yehvann Diouf (Reims) qui ont dépassé ces dernières semaines leurs concurrents étrangers (Leo Jardim et Patrick Pentz), bousculant la hiérarchie établie en début de saison. Sinon le chiffre tombait à 7, soit un tiers. En 2002, toujours au même instant de la saison, seize portiers sur vingt étaient de nationalité française.
Le cas des Rémois est « symptomatique de la situation en France, de moins en moins prête à exploiter sa formation », souffle un entraîneur en charge des gardiens d’un club de L1 et donc souhaitant rester anonyme. Pour rappel, l’an dernier, Yevhann Diouf était la doublure de Predrag Rajković. Lorsque ce dernier a quitté la Champagne pour Majorque, les hommes du président Caillot ont recruté Patrick Pentz, Autrichien libre de 25 ans. Ce dernier a déçu, et l’élément formé à l’ESTAC enchaîne les titularisations depuis trois matchs. « Le profil étranger est à la mode. À Brest, Larsonneur ne faisait pas du mauvais travail ; Diouf est un espoir depuis un moment ; entre Lecomte et Nubel, je ne suis pas sûr qu’il y ait une grande différence ; Lille avait Lucas Chevalier, tout le monde voyait qu’il jouerait vu ses performances et ils font quand même venir Jardim, passe en revue Jérôme Alonzo, également consultant sur Prime Video. Ils ne regardent pas forcément ce qu’ils ont en formation, mais vont chercher du Tchèque, du Suisse, de l’Espagnol… »
Un problème de taille
Formé à l’OGC Nice, Alonzo prend l’exemple d’un club qu’il connaît bien pour, tout de même, concéder un défaut de formation : « Baratelli, Lloris, Grégorini, Letizi sont sortis de Nice. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. Plus globalement, une marche a été loupée. Alors, quand le réservoir sonne creux, le coach demande un goal étranger à son scout comme Ospina, Benítez ou Bulka. Mais quand je regarde l’OM, Pau Lopez arrive juste parce que Sampaoli a une idée en tête précise, pour ne pas dire obtuse, en tête. » Un constat partagé par Jean-Marc Rodolphe, gardien remplaçant du FC Metz victorieux du FC Barcelone en 1984 et ancien cadre fédéral dans la formation des gardiens et des éducateurs spécifiques. « C’est très inquiétant. Le gardien français n’est plus au niveau, car on a pris du retard dans la formation des entraîneurs de gardien il y a une quinzaine d’années et donc, cela se ressent sur les gardiens formés aujourd’hui. Forcément, le grand gardien étranger va sembler être plus rassurant, car il prend plus de place, même s’il est moins bon. »
La taille serait donc un élément d’explication. Sauf que la différence ne saute pas aux yeux dans les chiffres. Pas autant que dans l’imaginaire collectif, renforcé par l’image de Courtois, Neuer, Donnarumma. En reprenant chaque onze de départ de Ligue 1 depuis août, le gardien français est en moyenne plus petit que l’étranger de 2,4 centimètres (1,907m contre 1,883m). Une taille moyenne encore plus basse en ne comptant pas la nouvelle génération des tricolores, comme Yevhann Diouf (1,90m), Yahia Fofana (1,94m) et Lucas Chevalier (1,89m). Sauf que la taille ne comble pas tous les manques. « Elle permet juste de les masquer, juge Christophe Miranda, qui a officié à l’AS Nancy Lorraine, des pros à l’école de foot et aujourd’hui en charge des espoirs du Pôle Grand-Est. La morphologie est un critère parmi d’autres, comme la lecture du jeu, la mobilité ou le mental. Malheureusement, il compte tant car c’est le plus simple à déceler, pas besoin d’analyser. »
Et en France, quelle est la réflexion sur le poste par la Direction technique nationale ? Contactée, la Fédération française de football n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais un cadre fédéral de Ligue, ancien de la DTN, se questionne en guise de réponse. « Reconnaît-on un gardien formé en France ? Non. En revanche, un Espagnol ou un Allemand, c’est le cas, car ils se ressemblent tous », regrette cet habitué de Clairefontaine « conscient du manque de ligne directrice ». Sur un rectangle vert, cela se traduit par une technique et une attitude spécifiques, « comme la pose du genou au sol, le buste haut ou la fermeture d’angle en face à face. C’est un élément visible chez ces gardiens, mais il y a aussi toute une réflexion autour du poste, un courant de pensée. C’est cette modernisation du poste qu’ont très bien comprise nos voisins », poursuit Christophe Miranda. Un retard pas aussi important que le gardien du Sporting Adán lors de sa sortie face à l’OM en Ligue des champions, mais tout aussi préjudiciable.
Image épineuse
Jusqu’au milieu des années 2010, seul le Certificat d’entraîneur de gardien de but (CEGB) existait pour reconnaître la formation des éducateurs spécifiques, mais il n’était destiné qu’au monde professionnel. « Avec Bruno Martini, on avait créé des déclinaisons en Ligue et District pour démocratiser la formation, se souvient Jean-Marc Rodolphe, avant de faire un constat sans appel. On a beau former les éducateurs, il faut cette fibre et cette culture du poste. On les sensibilise, mais le week-end, si le coach est dans la panade, il continuera de mettre le petit gros au but. Si son n°10 est aussi le meilleur au but, il restera sur le champ. » Retraité depuis 2010, Jérôme Alonzo constate au bord des terrains amateurs que « le poste passionne moins depuis dix ans. Ce sont ces jeunes qui auraient dû taper à la porte de la Ligue 1 aujourd’hui à 18, 19 ans ». En cause, notamment, une absence de modèle donnant envie de plonger dans la boue (ou sur le synthétique qui fait mal aux coudes). « Hugo Lloris a une carrière exceptionnelle et force l’admiration, mais il est moins inspirant que la génération devenue gardien pour faire comme Barthez qui, lui, était moins lisse et plus spectaculaire. »
C’est donc l’intérêt porté au poste qui plonge chez les coachs et chez les joueurs. Si les clubs professionnels sont désormais structurés avec un référent à chaque échelon de la formation, c’est avant que le retard a été pris. « Moins tu as de quantité pour choisir, moins t’as de qualité. Je me suis vu prendre des gardiens par défaut pour certaines sélections », avoue Jean-Marc Rodolphe, au contact des équipes de France de jeunes jusqu’à 2018. Sorti du monde fédéral aujourd’hui, il comprend – et regrette – le désamour pour le poste : « Le gardien est encore la cible facile. Après l’arbitre, c’est le mec sur le terrain qui prend le plus cher par les parents, son entraîneur et ses coéquipiers. C’est de pire en pire. Faut être costaud ! »
D’autant que le roi de la surface de réparation ne doit plus seulement être décisif sur sa ligne dans le football moderne. Il doit jouer haut, car le libero a disparu, être le premier relanceur tout en étant le dernier défenseur. De quoi multiplier les risques de boulettes. « Le cahier des charges a gonflé en dix ans. Il est trop lourd, observe l’ancien portier du PSG. Ce n’est pas pour rien que c’est encore plus difficile de trouver un gardien. Les coachs, dès U10, se prennent pour Guardiola et veulent que leur gardien soit Neuer. L’idée s’entend, sauf qu’en voulant trop bien faire et en exagérant, on fait mal. Quand le gardien se trompe, il se fait pourrir immédiatement et plus que les autres. Franchement, ça m’aurait dégoûté du poste. Un gardien, c’est rare, ça se chérit des U8 aux pros. »
Seuls quatre Français dans le dernier top 10
Et si le gardien n’était plus forcément ce sportif individuel dans un sport collectif ? Christophe Miranda, à la tête de sa propre Académie des gardiens volants, fait le constat qu’il « manque une réflexion globale de l’entraîneur. Il se demande souvent ce qu’il attend de son attaquant, mais pas de son gardien. Le gardien est à articuler dans l’idée de jeu, histoire de l’impliquer plus sur certaines phases et le soulager sur d’autres ». À l’image de Jorge Sampaoli à l’Olympique de Marseille au moment d’installer Pau Lopez face à un Steve Mandanda au demeurant encore performant. Le tout sous l’impulsion de Jon Pascua Ibarrola, adjoint espagnol en charge des gardiens de but également sous Igor Tudor, qui travaille désormais avec un duo ibérique complété par Ruben Blanco… espagnol également.
Une question de mode, de culture du poste évaporée, mais peut-être également de niveau. L’an dernier, les gardiens français ne représentaient que 19,47% des matchs joués par les portiers d’un club du top 10 en fin de saison. Loin de la période où Lloris, Mandanda, Carrasso, Landreau brillaient en Ligue des champions avec des clubs hexagonaux. Sur les 17 gardiens français ayant joué au moins un match de Ligue 1, seuls quatre ont terminé dans la première moitié du classement : Steve Mandanda (9 matchs), Romain Salin (1), Jean-Louis Leca et Alban Lafont (38). Lens, 7e est le premier club à avoir principalement titularisé un gardien made in France (25 matchs pleins pour Leca), tandis que Donnarumma, Lopez, Nubel, Gomis, Benítez, Sels gardaient majoritairement les autres cages. En revanche, dans la seconde partie du classement, 57,10% des matchs (217 sur 380) ont été joués par des gardiens français, comme à Troyes (15e), Lorient (16e), Clermont (17e), Saint-Étienne (18e) ou Bordeaux (20e).
Sébastien Frey, qui n’a joué qu’une saison en France avant de s’envoler en Italie, regrette ce manque de présence lié à un manque de patience. En bas, mais surtout en haut du classement. « Les top clubs, le PSG et l’OM, ont besoin de regagner quelque chose, donc c’est tout, tout de suite et n’ont pas le temps de former un gardien, observe l’ancien de Parme et de la Fiorentina. Un jeune gardien, ça peut coûter des points. Le PSG a fait comprendre à Maignan qu’il ne lui faisait pas confiance, il y a quelques années, et regardez-le aujourd’hui… Il fait plus que remplacer Donnarumma. » Sans toutefois s’inquiéter pour les Bleus. Après les binômes Barthez-Lama, Barthez-Coupet, Lloris-Mandanda, reste à trouver le compère de Mike Maignan (27 ans). Areola ? Lafont ? « Il y a un petit trou de génération, mais après Hugo, Mike répondra présent pour quelques années. Il y a des garçons qui montent en puissance comme Lafont (23 ans), il faudra du temps. » Alban Lafont qui, après un passage en Italie, compte, à nouveau, parmi les gardiens français de Ligue 1. Comme quoi…
Par Alexandre Plumey
Tous propos recueillis par AP, sauf mentions.
(1) Les gardiens binationaux ne sont pas comptabilisés comme gardiens français dans les chiffres utilisés, sauf ceux ayant effectué toute leur formation en France et joué en sélection de jeunes tricolore, comme Yevhann Diouf (Reims), par exemple. Anthony Lopes, né en France et entièrement formé à l’OL,mais qui a décidé de jouer pour le Portugal, compte parmi les gardiens étrangers selon les critères Opta.
(2) Base Opta.