Vous avez été formateur au PSG dans les années 90. Une période où on a l’impression que la formation parisienne avait du mal à émerger… Un constat que vous partagez ?
De 89 à 1999, l’année où je suis parti, de nombreux joueurs comme Jérôme Leroy, Sylvain Distin, Nicolas Anelka et d’autres encore sont sortis du centre de formation du PSG. On a gagné la Gambardella et dans un autre club, certains auraient pu commencer une carrière pro. Le problème, c’est qu’à Paris, il n’y avait pas une politique adéquate pour l’intégration des jeunes. On voulait des vedettes qui attirent du public au Parc des Princes… Et un jeune n’attire pas grand monde. C’est ce qu’il s’est passé sous la présidence de Michel Denisot suite à la reprise du PSG par Canal + par exemple. Des joueurs de grand talent tels que Le Guen, Ginola, Guérin, Weah ou bien Lama ont rejoint Paris. Et en plus pour eux, c’était tout le temps une mentalité de compétition. Ils voulaient jouer non-stop ! Aucune notion de turnover et force est de constater que cet esprit a fait le succès de cette période… Mais quoi que l’on puisse penser, la formation existait au PSG. On a bien travaillé, il y avait des hommes de terrain novateurs en termes de formation, tels que Gérard Houllier, Erick Mombaerts, Paul Jurilli ou Gérard Banide; aux philosophies de jeu bien précises. Et à leur contact, j’ai pu acquérir beaucoup d’expérience au niveau de la formation et de l’entraînement.
Le départ de Sakho, c’est un nouveau désaveu pour la politique de formation du PSG ?
C’est difficile pour un joueur international d’être sur le banc, surtout au cours de l’année qui précède une Coupe du monde et notamment au Brésil. Dommage qu’un vrai Parisien ne puisse pas continuer sa carrière au club, mais quand on est un jeune joueur, il n’y a pas de secret : il faut jouer. Il fallait qu’il parte pour garder son potentiel. Aujourd’hui, un jeune qui sort du centre doit tenter de concurrencer le gros recrutement effectué par les dirigeants et doit réussir à s’adapter à cette nouvelle pression autour de l’équipe. C’est paradoxal car le PSG, pour devenir un grand club européen, se doit d’avoir une politique de recrutement agressive et attractive comme aujourd’hui même si cela implique de perdre un petit peu de son âme. Au niveau des espoirs d’aujourd’hui, Rabiot a le talent et le potentiel pour réussir. Mais seulement si l’on continue à lui faire confiance et qu’il gagne en temps de jeu…
Après le centre de formation du PSG, vous avez quitté la capitale pour les Émirats. Pourquoi et comment ?Pendant des années, les jeunes du Paris Saint-Germain étaient invités à un tournoi international à Abu Dhabi, tournoi qui regroupait les équipes des meilleurs clubs européens et africains. Et lorsque l’on réussit de bonnes performances là-bas, on est forcément sollicité par les dirigeants locaux, les cheikhs et les présidents de clubs, pour y former leurs jeunes. Quand j’étais sous contrat, je n’ai jamais cédé à la « tentation » malgré les sommes proposées. Après que nous ayons perdu la finale de la Gambardella aux tirs au but face à Saint-Étienne – un souvenir qui me reste en travers de ma gorge – j’ai poursuivi au club avant de saisir, en juin 1999, l’opportunité qui m’était offerte de rejoindre l’équipe d’Al Wahda (Abu Dhabi, ndlr). Je l’ai saisie parce que je connaissais la culture du pays et ses us et coutumes, les infrastructures de qualité mises à ma disposition et le groupe de jeunes talents qui évoluaient puisque j’avais pu les observer au travers de nos confrontations. Le challenge sportif était motivant puisque je devais de former les meilleurs afin qu’ils intègrent l’équipe pro dans les deux ans.
Ça reste un bon souvenir ?
Absolument ! J’y suis resté quatre ans. J’y ai laissé des amis émiratis. Je suis quelqu’un qui a toujours eu besoin de contacts avec les différentes directions que j’ai connues. Les présidents Borelli et Denisot au PSG et les Princes aux Émirats. Et par la suite le président Roger Ouegnin à l’ASEC Mimosas. Au fil du temps, ma famille et moi avons intégré le milieu familial et culturel de mes responsables et amis Émiratis. Ce qui est loin d’être le cas pour tous les expatriés… Ils ont une culture ancestrale qui leur est propre et qu’ils conservent au fil des années. J’ai toujours pensé par rapport à ma profession, à ma culture d’entraîneur européen, mais aussi vis-à-vis de la culture du pays où je vivais et de garder le « Act Local but Think Global » comme ligne de conduite.
Vous y étiez lors du 11 septembre, vous n’avez pas perçu un changement de comportement ?
Non, pas vraiment de gros changement. Bien que les Émirats étaient une force d’appoint dans le soutien logistique lors de l’invasion de l’Afghanistan. En tant que Français, je n’ai pas eu le moindre souci ou perçu la moindre agressivité à mon encontre. Sans doute du fait que je bossais qu’avec des Émiratis et non avec des expatriés mais plus encore par les bonnes relations qu’entretiennent les Émirats avec la France depuis la création des Émirats arabes unis par son président Cheikh Zayed.
Dans ce genre de situations, on sait que cela peut péter à tout instant
Cette stratégie « culture locale + expérience occidentale » , vous l’avez également utilisé avec succès en Côte d’Ivoire, si l’on en croit votre palmarès (triple vainqueur du championnat de Côte d’Ivoire et de la Coupe Nationale, demi-finaliste de la Ligue des champions africaine, ndlr) ?
En Côte d’Ivoire, on a réalisé un grand parcours, une grande aventure professionnelle. J’ai quitté la sélection des Émirats espoirs, la Coupe du monde des moins de 20 ans ayant été reportée, et on m’a proposé le poste d’entraîneur de l’équipe professionnelle de l’Asec Mimosas. Mon vécu en tant qu’entraîneur-formateur et toute l’expérience acquise au contact de grands entraîneurs (et plus particulièrement Gérard Banide qui m’a imprégné sa philosophie de jeu, de travail et son sens de l’humain) m’ont permis de faire face à mes responsabilités d’entraîneur principal. À l’Asec Mimosas, j’ai bénéficié de l’infrastructure d’un centre d’entraînement digne des grands clubs européens. Je n’ai pas pu atteindre le but ultime qui est de remporter cette LDC africaine (élimination en demi contre le club égyptien d’Al Ahly en 2006, ndlr), mais ça reste quelque chose de très fort…
Souvent, les entraîneurs expatriés ne font pas forcément reconnus à leur juste valeur…
Un entraîneur professionnel qui est à la tête d’un club africain a les mêmes challenges qu’un entraîneur européen. Il doit gagner le championnat local, participer à la Ligue des champions de ce continent avec les désagréments que ça peut apporter comme de longs déplacements au travers de l’Afrique et des reports de matchs de championnat. La pression est la même, les supporters sont aussi, voire plus, exigeants que leurs homologues européens. C’est la stabilité qui fait le succès du club, en Afrique comme en Europe. Heureusement, il y a des présidents forts qui soutiennent leurs coachs… Parfois, les entraîneurs expatriés peuvent être sous-estimés. Alors que c’est le challenge sportif qui domine, pas le financier. Du moins la plupart du temps. Certains réfléchissent à partir, ils ont peur du nouveau. Personnellement, je suis né à Madagascar et ai vécu au Sénégal à l’âge de 7 ans. C’est quelque chose qui est en moi. Mais quand on part, il faut prendre ses responsabilités. Et sur le plan affectif, ça peut-être très difficile…
À propos de moments difficiles, vous avez dû en connaître en Côte d’Ivoire, non ?
Lorsque l’armée française a détruit l’aviation ivoirienne en novembre 2004, il y a eu des répercussions sur les expatriés avec des manifestations anti-françaises. À ce moment, le championnat se terminait tout juste et je suis parti le mercredi, juste au moment où ça s’est aggravé. La situation stabilisée, je suis revenu pour préparer la saison 2005 sachant que les matchs se déroulaient pour la plupart à Abidjan où à la limite de la zone nord.
Il y a eu des séquelles par la suite ?
Naturellement, il y avait des tensions. Je n’étais pas coupé de ce qu’il se passait vraiment dans le pays. Le football permettait d’échapper aux problèmes politiques et tensions du quotidien avec le souci majeur du président Roger Ouegnin de ne pas nous mettre en danger. Du fait de mon statut d’entraîneur principal et de l’investissement de tous les jours au service du club, ma vie était facilitée comparativement aux autres expatriés. Nous organisions des matchs amicaux et détections dans les différents quartiers, nous rencontrions des éducateurs de centre de formation de quartiers pour poursuivre notre mission d’éducateur ou partager la vie de nos joueurs dans leur famille. Donc il y avait une sorte de « protection naturelle » , toujours sous la vigilance du président. Mais dans ce genre de situations, on sait que cela peut péter à n’importe quel instant. Il faut faire attention, prendre des précautions dans ta vie de tous les jours.
Et après, vous avez enchaîné avec la Tunisie… Et le printemps arabe !
J’avais déjà été contacté par l’Espérance de Tunis lorsque j’étais sous contrat avec l’ASEC Mimosas. Mais une fois arrivé, ce projet sportif a été stoppé net suite à la révolution du 14 janvier 2011 et le printemps arabe… Il n’y avait plus de matchs, plus de sponsors, ni de recettes. C’était donc compliqué pour la direction de subvenir aux besoins du club et de payer les salaires. J’ai tenté de faire le tampon entre la direction et les joueurs, afin de sauver l’essentiel au niveau humain, de maintenir une certaine ligne sportive malgré les événements. Je poussais les joueurs à venir au stade et ils décidaient le jour même en AG s’ils s’entraînaient ou pas. Après deux mois, le championnat a pu reprendre. On a réussi à se maintenir, à se hisser en demi-finale de la Coupe Nationale malgré les grandes difficultés rencontrées.
L’hôtel bloquait notre mini-bus
Présent en Tunisie à ce moment, comment avez-vous vécu le printemps arabe ?
Je l’ai vécu auprès de mes joueurs et de mes amis tunisiens et avec expérience. J’ai quand même vécu six années en Côte d’Ivoire où nous avions des barrages à gérer chaque jour. Ou quand nous devions rester au centre d’entraînement et ne pas revenir dans nos maisons parce que c’était déconseillé… Cette révolution spontanée a fini comme elle a commencé. Il n’y a jamais eu réellement de danger pour moi ou pour les autres étrangers vivants en Tunisie.
Après un rapide passage en Algérie, vous avez été en Tanzanie ?
J’ai eu une proposition pour le Mouloudia, dans un contexte algérien où l’on est rapidement sur un siège éjectable, mais que j’apprécie. Beaucoup de pression, cette adrénaline, se remettre en question tout le temps… Peut-être que c’est ma destiné (rires). Malheureusement, le président en place, aujourd’hui radié à vie du football algérien, n’a jamais été en mesure d’honorer ses engagements. On avait fait une très bonne préparation, le président a vu que nous étions très pro’, mais comme nous ne marchions pas dans ses « combines » , des tensions sont vite apparues entre lui et mon équipe. Des gens au club m’ont dit de laisser tomber, de partir. Le président Borelli par exemple, c’était un homme de parole. Michel Denisot aussi, des hommes qui avaient une éthique… En décembre, le Simba FC, un club tanzanien qui jouait la Ligue des champions, a remercié son entraîneur et m’a contacté. Le club venait de transférer le meilleur attaquant de l’équipe à l’Étoile du Sahel. Et ils comptaient sur cet argent pour gérer le club. Or l’Étoile du Sahel n’a jamais pu honorer ce transfert. Le Simba FC a donc commencé lui aussi à avoir des dettes, l’hôtel dans lequel j’étais a commencé par bloquer un minibus du club et ma voiture de fonction pour mettre la pression… On a tout de même terminé troisième du championnat.
Maintenant, vous en êtes où ?
J’ai arrêté en Tanzanie en juin avec beaucoup de dossiers administratifs et juridiques en suspens à régler. J’ai pu récupérer un peu depuis. Je suis entraîneur pro’ depuis 2000, c’était important de faire un break, mais j’ai encore une grande envie de coacher. Je n’ai pas le DEPS, mais j’espère avoir une validation d’acquis par expérience pour obtenir la licence pro UEFA nécessaire pour certains postes aujourd’hui.
Vous avez envie de continuer votre carrière à l’étranger ou vous songez à rentrer en France ?
Les gens dans l’Hexagone ont une mauvaise image des entraîneurs avec un vécu africain. On peut même parler d’a priori… C’est bien qu’Hervé Renard soit à Sochaux, son expérience africaine lui a été profitable et il faut qu’on lui donne sa chance. Me concernant, j’ai 63 ans et aujourd’hui ça devient difficile d’entraîner. C’est un rapport de réseaux, d’agents…
Pas trop dur de concilier vie de famille et carrière d’entraîneur à l’étranger ?
Quand tu deviens entraîneur, il faut qu’il y ait une compréhension, une complémentarité avec ta famille. Par exemple quand j’étais avec les moins de 17 ans du PSG, ma femme venait régulièrement, même à l’extérieur. C’est une vie, enfin, un choix de vie. Les Émirats, j’y suis allé parce que je connaissais, mais aussi parce que je savais qu’une de mes filles, qui rentrait en sixième à cette époque, allait pouvoir suivre ses études normalement. Pour mon fils qui rentrait en terminale, c’était plus difficile, il était obligé de quitter ses copains. Mais il a, comme le reste de la famille, vécu une expérience unique, et possède maintenant une ouverture d’esprit exceptionnelle dans la société actuelle. Ils n’ont pas pu me suivre dans les autres pays, mais ils me rendaient souvent visite.
On suppose que vous avez dû les élever dans le football…
Si ma première fille est moins dedans, les deux derniers sont à fond pour le PSG. Mais plus que dans le football, ils ont davantage bénéficié du côté sportif/compétitif. Ma femme a eu un cancer il y a trois ans et avec tout ce que l’on avait vécu, la famille était soudée comme une véritable équipe… Le « meilleur » challenge…