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L’honneur des ultras français

Par Nicolas Kssis Martov
L’honneur des ultras français

Dans un communiqué commun, la quasi-totalité des associations et groupes de supporters de l'Hexagone ont pris position contre une reprise précipitée et à huis clos des championnats. Au-delà du message, cette parole semble illustrer – un des effets de la situation inédite que nous vivons –, la montée en puissance et peut-être une transformation de la vision et du rôle du mouvement ultras en France.

C’est un texte qui, naturellement, ne surprend guère sur le fond. Du moins si vous êtes un peu familier avec ce monde et ses problématiques. Il reprend nombre des thèmes et des revendications « d’avant » : rejet des contraintes économiques du « foot moderne », valorisation de la fonction et du poids du mouvement au sein de la vie des clubs ou de l’animation des stades, dénonciation du diktat des impératifs télévisuels (par exemple en Ligue 2 contre les jours et horaires des matchs…).

Ce discours s’inscrit dans la continuité de ces préoccupations, tout comme autrefois la question des fumis ou des IDS. Tout au plus, les personnes un peu au fait de l’histoire et l’actualité des tribunes remarqueront avec intérêt que s’y côtoient des acteurs aussi divers, et parfois antagonistes, que les DVE lillois et les UltraMarines bordelais, le Red Star Fans et UB strasbourgeois.

L’intérêt supérieur du Pays

Néanmoins, dans le propos émerge aussi d’autres considérations qui participent d’une réflexion nettement plus généraliste, et presque politique. « Il n’est pas envisageable que le football reprenne prématurément. Il n’est pas envisageable qu’il reprenne à huis clos. Il reprendra en temps voulu, quand les conditions sanitaires et sociales seront réunies. Le football « coûte que coûte » est un football de honte, qui n’aura aucun lendemain. » Bref, ces passionnés extrêmes du foot, qui consacrent un part non négligeable de leur existence, voire centrale, à leur club, demandent aux pontes de la LFP de suivre leur exemple, de prendre leur mal en patience et de ne pas sacrifier la santé des Français pour des histoires de gros sous. Surtout, ils mettent en lumière un autre fait qui mérite d’être retenu.

Si le foot doit reprendre, il faut qu’il le fasse pour le bien du pays. Et des matchs à huis clos relèveraient d’un contre-sens absolu dans ce que peut représenter ou peser le ballon rond dans la vie sociale, ou même au service des besoins supérieurs de la nation. Après la fin de cette période qui nous a rappelé la fragilité de nos sociétés, qui se croyaient si protégées, nous aurons besoin de nous retrouver, de communier, de nous repenser collectivement. Des enceintes vides pour simplement satisfaire les diffuseurs et remplir les caisses des clubs constitueraient un contre-sens, peut-être une faute grave envers la nation. De la même manière, au regard de son importance dans notre patrimoine national et notre façon de concevoir ce fameux « plébiscite de tous les instants » dont parlait Renan, un Tour de France interdit au public induirait inévitablement une sortie de route bien plus dramatique qu’on ne peut l’imaginer.

Et après ?

Depuis le mois de mars, les ultras en ont conscience. Ils ont multiplié les manifestations et gestes, largement repris sur les réseaux sociaux, envers le personnel soignant et tous ceux et celles qui luttent contre l’épidémie, ne serait-ce aussi que parce qu’ils en comptent beaucoup parmi leurs membres. Les médias ont largement relayé. Après une année marquée par l’affaire des chants homophobes ou la hausse des interdictions de déplacement, ce changement d’image est bien sûr notable. Bien sûr, il n’y a rien de surprenant. Depuis toujours, les groupes organisent des actes, cagnottes ou autres envers telle ou telle cause, souvent liée a des questions de santé ou en faveur d’associations caritatives. Mais surtout, plus récemment, ils ont démontré leur sensibilité aux drames qui secouent l’actualité, des Marseillais posant une banderole #jesuisparis après les attentats à l’union des ultras rivaux de Gênes, en Italie. Pour une culture marquée par le goût presque fondamental de l’antagonisme et l’entre-soi, voire une certaine marginalité assumée, s’exprimer au nom du bien commun n’est pas un signe neutre. En paraphrasant Jaurès : « Un peu de foot éloigne de la politique, beaucoup y ramène. »

Évidemment, les esprits chagrins expliqueront que nous évoluons en l’occurrence aux périphéries du foot pro. Les patrons du PSG ou même d’Auxerre sont plutôt en train de réfléchir à leur fonds de commerce et comment s’assurer qu’il continue de tourner ensuite, quitte éventuellement à assumer quelques ajustements pour se prémunir lors de la prochaine crise… On en doute, en fait. Néanmoins, le mouvement ultras va sûrement sortir métamorphosé, lui aussi, de cette période où nous nous sommes retrouvés face à nous-mêmes. Peut-être même endossera-t-il un costume plus sérieux. Quoi qu’il en soit, nous avons parfois défendu les droits de ces supporters trop souvent bafoués. Qu’il nous soit possible cette fois-ci de rendre hommage à leur honneur.

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