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Les leçons tactiques d’Espagne-France

Markus Kaufmann
Les leçons tactiques d’Espagne-France

En ce lendemain de match nul victorieux, la France du football sourit : sa sélection nationale a réalisé une belle performance, avec le cœur. Tâchons de ne pas y déceler la réalisation d'un fantasme national qui aurait vu des Bleus « respecter enfin les valeurs du sport » : tout match de football est le résultat de nombreux rapports de force, qui ont tourné en faveur des Français en seconde mi-temps.

Une première mi-temps logique

La première mi-temps a été celle que tout le monde attendait. Une Espagne patiente, sérieuse, souvent géniale, qui attaque une fois sur deux par le flanc gauche du trio infernal Alba-Iniesta-Pedro. La Roja s’inspire toujours autant d’autres sports : les écrans façon Kevin Garnett sur corner, et la possession de futsal (à voir, cette vidéo de MARCA.com sur le sujet). Elle marque une fois sur coup de pied arrêté et obtient un penalty sur l’une de ses nombreuses infiltrations dans la surface. Logique, en somme. En face, les Bleus rendent une bonne copie : tous les coups sont joués à fond, comme le démontrent les montées volontaires de Debuchy et Évra au moindre espace. Il y a cinq joueurs dans la surface pour reprendre le coup franc de Cabaye qui amène le « but » de Ménez. La défense est solide, et enfin les courses de Ribéry et Benzema vont au bout, tout le temps, ce qui fait respirer le groupe et le pousse à jouer plus haut. On appelle ça le leadership par l’exemple (on ne parle que de terrain, hein), un rôle que Ribéry semble assumer parfaitement. Le seul qui était présent en 2006 (avec Landreau) et le plus capé, c’est bien lui.

Les Bleus ont-ils profité d’une contre-performance espagnole ?

En seconde mi-temps, l’équilibre s’inverse progressivement, et la dernière demi-heure est (presque) à sens unique. Les Français ont-ils été fantastiques, ou alors les Espagnols ont-ils été faibles ? Côté espagnol, nous avons trois explications. D’abord, les blessures. Avec un seul changement possible en seconde mi-temps (Silva et Arbeloa sortis), Del Bosque a une marge de manœuvre réduite. L’entrée de Torres tient d’ailleurs plus du sentiment que de la raison, qui aurait voulu voir Albiol prendre la place de Cesc, et Busquets monter au milieu. Car la seconde raison est tactique. En Espagne, on se demande encore les raisons de l’absence du double pivot Alonso-Busquets, sorte de verrou imprenable testé partout dans le monde. Seuls, Alonso et Xavi ont naufragé sous les assauts du pressing français. Enfin, le physique. On a vu l’Espagne abandonner ses habituelles cinq secondes de pressing intense, se replaçant à la perte de balle en un 4-5-1 inhabituel, et acceptant la domination française. Presque du jamais vu.

Un nouveau succès pour le 4-2-3-1

Dans les clés tactiques du match, on avait parlé de la capacité du 4-2-3-1 à gêner le tiki-taka en utilisant au mieux les espaces laissés par l’Espagne. D’une, son milieu offensif axial (Valbuena) dispose de trois appels devant lui à chaque récupération, d’où l’intensité de chaque contre-attaque. De deux, son marquage incessant sur le pivot d’en face (Alonso) fait monter tout le pressing des Bleus. Quand Gonalons attendait « au cas où » , Valbuena vient sonner la charge. Un joueur de moins en couverture, mais un de plus au pressing. À l’heure de jeu, tout change. Cabaye et Matuidi, dont il faut saluer le fait de ne pas avoir pris de carton jaune jusque-là, se débrouillent seuls à la couverture. Blaise, en particulier, réalise une performance qui aura rappelé celles de Makelele en Liga : dix interceptions, le double de tout autre joueur hier soir. Impressionnant. À la 68e, deuxième coup gagnant de Deschamps : Sissoko pour Ménez. Un physique impressionnant et des courses qui comblent un niveau technique limité. À la moindre prise de balle du Toulousain, on croirait voir LeBron James en train de dribbler de façon aérienne les Espagnols. Et cela marche. Sissoko est si actif qu’il annule le côté gauche de Jordi Alba. D’après les stats, la France a même 52% de possession de la 65e à la 80e minute. Ces Bleus qui n’aiment pas faire le jeu seraient-ils en fait à l’aise avec le ballon ? Tout dépend des espaces, et de la zone de lancement de la création offensive. Avec le 4-2-3-1, c’est au niveau de Valbuena : le jeu est plus direct, démarre plus haut et crée une situation dangereuse à chaque récupération. À la 84e, après une perte de balle de Ribéry à gauche, ils ne sont pas moins de huit Blancs venus presser les Rouges sur un seul quart du terrain.

Des Bleus à leur niveau, ou des Bleus dans leur meilleur rôle ?

Cela fait maintenant des années que la France aime parler de la différence de niveau de ses stars en clubs et en sélection. Hier, Ribéry a crocheté Ramos, Benzema a fait danser Busquets, Matuidi est allé chercher le ballon dans les pieds de Xavi, Lloris a arrêté un penalty de Fàbregas, et Évra a fait mieux que tenir son couloir. Une hausse de niveau ponctuelle ? Pas vraiment. Hier, tous les joueurs Français étaient, en même temps, dans leur meilleur rôle. Matuidi devait récupérer et relancer vite. Valbuena devait ouvrir le jeu et presser Alonso. Ribéry devait courir, provoquer à gauche et centrer. Et Benzema devait venir chercher le ballon, lancer l’attaque et seulement ensuite prendre la profondeur. Ce n’est pas un hasard si le moins à son avantage aura été Cabaye, c’est-à-dire le Français le plus apte à jouer un football posé, face à une défense regroupée. Voilà donc une énième confirmation des affinités de cette équipe avec le jeu en contre. Selon l’adversaire, Deschamps devrait donc varier entre le 4-2-3-1 et le 4-3-3, comme en… 1998.
À visiter :

Le site Faute Tactique

Le blog Faute Tactique sur SoFoot.com

Markus Kaufmann

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