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Les leçons tactiques de France-Irlande

Par Markus Kaufmann
Les leçons tactiques de France-Irlande

À moins de trois semaines du grand jour contre l’Australie à Kazan, la sélection de Deschamps a rempli sa mission dans des conditions de jeu dublinoises : la victoire et la clean sheet pour le moral et la confiance, mais surtout une circulation de balle rapide, une domination positionnelle dans le camp adverse et du mouvement dans l’animation offensive. Dans leur registre respectif, Mbappé, Giroud, Tolisso et Nzonzi ont fait la leçon.

Le football est un jeu collectif interprété individuellement. Avec le même maillot, le même système de jeu, les mêmes coéquipiers et le même entraîneur, deux joueurs aux sensibilités et lectures de jeu différentes interpréteront le collectif à leur propre manière. Et après six ans d’exercice dans ce métier de sélectionneur, Didier Deschamps continue à laisser ces profils individuels dicter le visage de son collectif. Ainsi, à quelques jours du Mondial, le processus continu de construction collective des Bleus transforme encore ces matchs amicaux en « visites officielles » de ces profils et variations. Lundi soir, Deschamps rendait visite à Tolisso, Nzonzi, Mendy, Sidibé, Fekir, Mandanda, et même Mbappé et Giroud. Le brassard fièrement accroché, Matuidi semblait faire office de guide.

La météo chaotique. Une opposition faite d’un grand nombre de joueurs de Championship. Un match en pleine préparation physique. Et enfin les absents. Cet amical s’annonçait dans un contexte défavorable à l’analyse et la progression. Pourtant, ces Bleus version 2018 ont répondu aux trois défis du manuel de la construction offensive : de la vitesse de la circulation de balle, de l’avancée positionnelle dans le camp adverse, et enfin du mouvement dans l’animation. Ça n’était pas forcément le cas en 2014 et en 2016, il faut donc le souligner et s’en réjouir. Bien évidemment, et ce n’est plus une surprise après six années d’ère Deschamps, il faut aussi rappeler que ces défis sont soulevés par le choix des joueurs plutôt que par le choix du jeu.


De la vitesse du milieu avec Tolisso

Ce sera le grand défi de la phase de poules face à l’Australie, le Pérou et le Danemark : la vitesse dans le contrôle du ballon. Les Bleus devront montrer une possession aboutie pour dominer le tempo du match – un problème grave à l’Euro contre la Roumanie, l’Albanie, la Suisse, l’Irlande et le Portugal – et du savoir-faire pour défendre avec le ballon et diminuer les situations dangereuses. Mais pour se mettre à l’abri le plus tôt possible, il faudra surtout une circulation de balle rapide pour déséquilibrer le bloc adverse. « Il faut accélérer pour pouvoir mettre le ballon plus vite sur les côtés » , disait Deschamps dans le contexte similaire de la mi-temps d’un amical contre le Cameroun à Nantes en juin 2016. Si les Bleus ont tous été sérieux dans leur contrôle (83% de possession de balle et seulement 78 passes irlandaises à la mi-temps), les deux hommes forts de la vitesse ont été les deux « outsiders » du milieu : Tolisso et Nzonzi.

Comme lors de ses dernières sorties nationales post-Euro 2016, Tolisso a marqué les esprits par la profondeur de sa panoplie tactique. L’ex-Lyonnais a brisé les lignes balle au pied, aéré le jeu par ses changements de côté et accéléré la manœuvre par ses insertions entre les lignes. Précis dans sa lecture à voix haute du manuel du relayeur moderne, le Munichois aurait même pu marquer de l’extérieur de la surface (poteau, 37e). Conscient de la forte concurrence pour le poste et de l’importance « médiatique » des stats pour convaincre, il ajoutera en zone mixte : « J’aurais pu délivrer une passe décisive ou marquer un but. » Rapide, concret et précis.


Nzonzi, des solutions ibériques pour une équation anglo-saxonne

Mais si le public du Stade de France a pu écouter son discours, c’est avant tout parce que Steven Nzonzi avait réglé le micro et nettoyé la scène. Dans un registre de sentinelle classique de Liga, le Colombien (de Colombes) a démontré sa science du positionnement et de la conservation du ballon. Placé devant la défense, le Sévillan a rapidement fait comme à la maison, venant se placer entre Umtiti et Rami pour libérer de l’espace et mettre l’un des deux centraux dans les conditions d’une relance confortable. Comme Busquets, il crée avec et sans ballon, poursuivant toujours ses courses après avoir lâché son outil. Jamais timide à l’heure de demander le ballon (au contraire de ses centraux), il s’est toujours refusé de jouer long au hasard (au contraire de ses centraux), apportant ses solutions ibériques à une équation pourtant très anglo-saxonne. Sans oublier de décourager les tentatives aériennes irlandaises.

Voilà une nouvelle arme tactique pour cette sélection française à l’identité évolutive : que ce soit sur 90 minutes ou un quart d’heure de jeu en Russie, dans un contexte de domination ou de souffrance, Nzonzi offrira sa science de la possession et son courage dans la conservation. « Lors des derniers matchs (contre la Colombie et la Russie, N.D.L.R.), on était coupé en deux » , rappelait Matuidi avant la rencontre. Et si Nzonzi avait recollé les morceaux ? À la gauche de ses deux coéquipiers, Matuidi n’a pas participé à cet élan de vitesse, mais a apporté sa discipline et ses atouts : sérieux dans ses remises, intelligent dans ses déplacements et dangereux dans la surface adverse.


Domination territoriale, un changement radical latéral

Il y a deux ans en huitièmes de finale de l’Euro, les Bleus avaient dû changer de visage à la mi-temps pour déséquilibrer le bloc irlandais et surtout s’installer dans le camp adverse : entrée de Coman pour Kanté, et passage au 4-4-2. À l’époque, Les Leçons tactiques avaient souligné la difficulté des latéraux bleus à participer à la domination territoriale. Pour rappel, au terme de la compétition, Évra et Sagna se situaient au fond du classement des latéraux de l’Euro en matière de tirs/match (43e et 44e), dribbles tentés par match (44e et 45e) et passes clés par match (32e et 51e). En clair, les Bleus évoluaient dans un schéma pyramidal qui souffrait d’un manque d’occupation – et d’animation – des ailes. Si les Bleus n’ont pas énormément progressé dans leur maîtrise du jeu dans l’axe en deux ans, le changement générationnel des deux latéraux offre un saut de qualité dans notre construction du jeu.

Toujours placés loin sur les côtés, toujours portés vers l’avant, les deux joueurs présentent un profil qui change la donne à trois niveaux : ils font reculer le bloc adverse, permettent aux centraux d’occuper la largeur et proposent des solutions de jeu – jamais vers l’arrière – aux milieux. Sidibé et Mendy auront un rôle offensif primordial au regard du choix des ailiers et attaquants de Deschamps : Griezmann, Mbappé, Lemar, Fekir, Thauvin et même Dembélé aiment porter le jeu vers l’intérieur. Reste à savoir si Deschamps assumera ces montées jusqu’au bout et si les Bleus finiront par regretter la discipline défensive d’Évra et Sagna (impériaux dans les airs à l’Euro), surtout dans ce contexte de retour de blessure des deux titulaires… Si cela peut aider, peu importe le futur résultat des duels, cette configuration diminue leur importance en permettant aux Bleus de défendre bien mieux avec le ballon. Enfin, si Pavard n’a pas eu beaucoup de temps de jeu lundi, Lucas Hernández a aussi démontré en club et en sélection ses qualités dans ce registre de latéral qui pousse fort.


Mbappé l’ailier shooter, Giroud le pivot

Après une mauvaise séquence d’environ cinq minutes entre la 10e et la 15e minute, où le jeu long vers Giroud a vite trouvé ses limites, les Bleus ont exercé une pression intense sur les cages irlandaises avec pas moins de 8 frappes dangereuses en une petite demi-heure. Le fil rouge : des combinaisons rapides dans les petits espaces devant la surface. Le chef de file : Kylian Mbappé a rapidement enfilé le maillot de franchise player, ne cessant de demander – exiger ! – le ballon tel un ailier shooter de NBA pressé d’assurer ses 25 points de moyenne. Recevant dos au but ou face au jeu, le Parisien a une nouvelle fois démontré qu’il était multi dimensionnel, à l’aise dans la profondeur, sur les côtés et surtout entre les lignes. Avec 52 ballons touchés, 5 tirs et un but (tristement refusé), Mbappé a offert qualité et quantité, efficacité et esthétique. Tactiquement, il a surtout montré qu’il savait attirer le jeu comme un véritable pôle de création – et pas seulement une flèche ou une direction – alternant déviations et accélérations, aussi bien avec Giroud qu’avec Fekir.

Auteur d’une entrée de match timide, le Lyonnais a ensuite calqué son jeu sur le rythme de celui de son coéquipier, offrant sa technique dans les petits espaces et sa qualité sur coup de pied arrêté. Il sera intéressant de voir quel sera son impact en venant du banc. Enfin, Giroud s’est montré aussi à l’aise qu’à son habitude au Stade de France, dialoguant habilement avec ses deux complices de la soirée. Et alors que les Bleus peinaient à marquer face à une opposition regroupée dans ses trente mètres, c’est encore lui qui a débloqué la rencontre à la suite d’un nouvel exploit aérien digne d’un sourire de Billy Hoyle. Il faut rappeler que le Savoyard avait été décisif dans presque chacune des rencontres des Bleus à l’Euro : premier but contre la Roumanie, poteau contre l’Albanie, passe décisive contre l’Irlande, premier but contre l’Islande, et enfin « présence » sur le deuxième but face à l’Allemagne. Des solutions concrètes pour une animation offensive qui n’attend plus que Griezmann pour enfiler son costume de Coupe du monde.

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