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« Les hooligans russes se déplacent très vite »

Propos recueillis par Ugo Bocchi
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Dominique Mesquida, délégué CRS de la zone sud, revient sur la « bataille de Marseille ». Fatiguées, pas forcément préparées à la gestion des hooligans, mais à la hauteur, il raconte comment les forces de l’ordre ont géré la situation.

Vous vous êtes préparés à cet Euro ?Pour ce qui est de nos forces, ça fait plusieurs mois que nos compagnies se préparent, et même une année complète qu’on s’entraîne dans les stades, qu’on fait des formations, qu’on envisage toutes les situations. Il faut savoir par exemple qu’on a l’habitude de gérer les mouvements de foule.
Et comment vous êtes formés à la gestion des hooligans ?La gestion des hooligans, spécifiquement, ce n’est pas une attribution type des CRS. Nous, on gère par exemple les mouvements de foule pendant les matchs. Quels que soient les supporters, parce qu’on a tendance à confondre ultras et hooligans. Les hooligans sont des supporters ultra violents. Et ça, il y a des services spécialisés qui sont chargés du suivi de ces gens-là, des interdictions de stade, des interdictions de territoire, etc. On a par exemple vu que les Anglais ont retiré le passeport à 3000 supporters anglais. Apparemment, ça n’a pas été le cas du côté russe. Donc nous, on n’a pas de formation spécifique sur les hooligans. Nous, on gère les matchs de foot et les supporters et leurs lots de débordements. Après, ce qui s’est passé à Marseille, c’est qu’on a eu affaire à des supporters russes très organisés, venus pour en découdre, qui font des sports de combat, qui interviennent par petits groupes, de manière paramilitaire. Bref, le nouveau hooliganisme de l’Europe de l’Est. Et peut-être que ça n’a pas été aussi bien géré au niveau de la direction des services spécialisés pour les hooligans. Nous, sur le terrain, l’intervention des CRS et la gestion des événements par les CRS ont été félicitées par le préfet, car nous n’avons fait que nous adapter. Même si moi, je déplore, comme beaucoup de collègues sur le terrain, le manque de directives appropriées et surtout réactives par rapport à la situation.

C’est-à-dire ?Nous étions face à de petits groupes très mobiles, plein de petites rues dans Marseille, des foyers de bagarre multiples, et les groupes russes venaient frapper et repartaient très rapidement. C’est donc très difficile d’interpeller les supporters russes. Nous, le but du jeu pour les CRS, c’était de s’interposer, un maximum, entre les Anglais et les Russes pour éviter les bagarres. Un collègue CRS a par exemple sauvé la vie de l’Anglais agressé par un groupe de Russes, qui l’ont pris à coups de barres de fer, ils l’ont lynché, et puis il lui a fait un massage cardiaque.
Vous savez s’il va mieux aujourd’hui ?Apparemment, son état est stationnaire. Il est dans un coma artificiel, je crois. On ne sait pas encore si ses jours sont encore en danger ou pas. Mais sur place, il a été réanimé très rapidement. Mon collègue, par son intervention, a pu relancer le cœur qui avait arrêté de battre. Et il lui a très certainement sauvé la vie.

Selon plusieurs collègues sur le terrain, les supporters russes étaient vraiment bien équipés. Ils avaient des protège-dents comme les boxeurs, ils avaient des poings américains, ils ont utilisé le mobilier urbain pour taper sur les Anglais.

J’ai entendu dire que les hooligans russes ont fini par s’allier aux Marseillais, c’est vrai ça ?C’est un peu plus compliqué que ça. La veille du match, il y a eu des échauffourées avec les Anglais. Exclusivement les Anglais, certainement les antécédents de 98, dans une optique de revanche. Les ultras marseillais sont venus les provoquer, un certain nombre de jeunes des cités sont descendus pour en découdre. Ça a créé de petites bagarres la veille du match. Après, le jour du match, c’étaient des bagarres essentiellement entre Russes et Anglais.
Les Russes avaient l’air de connaître la ville, comment ça se fait ?Ils étaient essentiellement regroupés du côté du consulat de Turquie (près du rond-point du Prado et du Vélodrome, ndlr). Mais très mobiles après. Est-ce qu’ils connaissaient la ville ? Je n’en suis pas persuadé. Mais étant donné les petites rues, ils ont réussi à s’échapper facilement. On les a retrouvés à certaines terrasses, tranquilles, en attendant le début du match. Ce sont des supporters qui avaient tous leur ticket. Ce sont des mecs qu’on a retrouvé dans le stade et on a vu ce que ça a donné aussi.

Ils se dissimulent dans la foule, non ?Il y en avait très peu qui portaient le maillot de l’équipe nationale, oui. Mais il y avait plusieurs petits groupes de supporters avec des tee-shirts du CSKA, du Spartak. Pour eux, le club passe avant l’équipe nationale. Et ça leur permet aussi de passer inaperçus. Après, selon plusieurs collègues sur le terrain, les supporters russes étaient vraiment bien équipés. Ils avaient des protège-dents comme les boxeurs, ils avaient des poings américains, ils ont utilisé le mobilier urbain pour taper sur les Anglais. Eux, ils venaient, ils tapaient sur les Anglais et repartaient directement. D’où la difficulté de les appréhender. Aucun supporter russe interpellé ! Certaines de nos compagnies ont manqué de consignes au moment opportun où il aurait peut-être fallu faire une zone tampon entre les supporters et éviter ce contact.
Qui gère les opérations dans ces cas-là ?Ça se passe en préfecture, hein, en relation avec le ministère.
Et les informations ne sont pas arrivées assez vite ?Sur le terrain, la gestion d’une compagnie se fait par des commissaires qui ont en charge la gestion de l’événement. Et la compagnie et le commandant sont tributaires des ordres qu’on leur donne. On leur demande de se positionner de telle manière, de faire des interpellations ou pas. Toutes les manœuvres sont gérées au-dessus.

Et là, quelle était la politique ?À certains endroits, ça a agi très rapidement. Notamment en centre-ville. Après, à certains endroits, certaines consignes ont eu du mal à passer, alors qu’elles auraient pu faire en sorte que nos compagnies soient plus efficaces. En même temps, il y avait tellement d’échauffourées de partout, avec un contexte général, avec une menace d’attentat… Bref, nos priorités, c’était de sécuriser la fan zone, le stade et le centre-ville, donc il a fallu faire évoluer ces dispositifs très rapidement en fonction des événements.

Je pense que les autorités ont été surprises par l’attitude des supporters russes parce qu’il y avait des officiers de liaison de la police russe et anglaise avec nous, des « spotters« . Il faut peut-être se poser la question du côté de la Fédération russe pour savoir s’il n’y a pas eu un peu de laxisme.

Il y a eu un manque d’effectif ?Non, il y avait dix compagnies engagées. Neuf compagnies plus une section des moyens spécialisés, c’est-à-dire des canons à eau. Je pense que les effectifs étaient là. Pratiquement 800 collègues. Après, je pense que les autorités ont été surprises par l’attitude des supporters russes parce qu’il y avait des officiers de liaison de la police russe et anglaise avec nous, des « spotters » comme on les appelle, qui ont reconnu énormément de supporters classés ultra violents dans leur pays et qui étaient là, sur le territoire français. Donc, il faut peut-être se poser la question du côté de la Fédération russe pour savoir s’il n’y a pas eu un peu de laxisme. Tout ce mélange de choses, plus ces manquements au niveau de la vigilance par rapport à ces fugues des hooligans venant de l’étranger, font qu’on a eu ces débordements. Les « spotters » vous ont bien aidés ? Ah ouais… (Rires) Je ne sais pas comment ils fonctionnent, ni où ils étaient, je suppose dans le stade, au PC Sécurité, parce qu’aujourd’hui, on a l’image notamment de la personne qui tient la bombe agricole et d’autres qui tiennent des fumigènes. Mais après, je ne sais pas à qui ils référaient. Donc nous, si on ne nous dit pas : « Il y a tel individu à tel endroit, il faut l’interpeller » , on ne peut pas faire grand-chose.

Ils ont donc donné des renseignements qui ne servent à rien ?Peut-être qu’aujourd’hui ils ont des informations pour interpeller, suivre, localiser les supporters dangereux, je ne peux pas vous dire. Mais au niveau du terrain, nous les CRS, nous n’avons aucune information précise sur un individu à interpeller.
Donc on vous a juste dit : « Il y a des supporters russes dangereux » , sans vous donner plus d’informations ? Exactement. Et encore ça nous est revenu par la borne, par des personnes qui ne sont pas forcément des CRS.
Et ces « spotters » , ils étaient avec qui ? Ils circulaient librement ? À qui ils référaient ? À quoi ils ont servi ? Le fonctionnement de ce dispositif, je ne le connais pas du tout. Je pense qu’ils étaient au PC sécurité, comme la brigade hooligan française. Et puis au centre-ville pour repérer les hooligans. Mais je ne veux pas trop m’avancer là-dessus, je ne suis pas assez informé.

Et comment peut-on expliquer qu’aucun Russe n’ait été interpellé ?En plus des CRS, il y a nos collègues de la sécurité publique qui interviennent dans ce genre de situations. Et vu la mobilité des Russes, ils n’ont pu interpeller personne.

Vous n’êtes pas sans savoir que nous, les compagnies républicaines, on est sur le pied de guerre depuis janvier 2015. On a donc des compagnies très, très fatiguées parce qu’on tourne à plein régime. On a très peu de période de repos.

Ils se déplacent très rapidement, c’est-à-dire ? Ils courent vite ?Oui, ils se déplacent vite. Ils sont très organisés. Ils viennent, ils frappent, ils repartent. Donc nous, le temps qu’il y ait une session, qu’on soit sur les lieux, qu’on s’interpose, quand on reçoit une information qu’il y a une bagarre à tel endroit et qu’on se déplace sur la zone, bien souvent, ils sont déjà repartis. Ils ne restent pas comme les supporters anglais, au contact avec les forces de l’ordre et les Marseillais.
Antoine Boutonnet, responsable de la lutte anti-hooligans, a déclaré qu’il n’y avait pas de constat d’échec. Les médias étrangers, eux, parlent d’une mauvaise gestion française des hooligans, qu’est-ce que vous en pensez ?Je suis un peu circonspect à vrai dire. Ce n’est peut-être pas lui qui négocie avec le ministère intérieur russe pour qu’on évite l’afflux de hooligans vers la France, mais ce sont des matchs à haut risque, on savait très bien, on avait l’information, qu’il y aurait des échauffourées.

Vous étiez au courant de la venue de ces hooligans ?Moi, à mon niveau, on n’a pas accès à ce genre d’informations. On savait juste que c’était un match à haut risque, mais pas plus d’information que ça.
Et donc, pas de constat d’échec ?De mon côté, pas de constat d’échec pour moi non plus. Le préfet nous a salués, d’ailleurs. Nos compagnies ont très bien réagi, très réactives. Elles ont fait ce qu’elles avaient à faire, en fonction des ordres qu’elles ont reçus.

Et vous disiez que la menace d’attentat a aussi joué en votre défaveur ?On est partis très fort, sur les chapeaux de roue, et vous n’êtes pas sans savoir que nous, les compagnies républicaines, on est sur le pied de guerre depuis janvier 2015. On a donc des compagnies très, très fatiguées parce qu’on tourne à plein régime. On a très peu de période de repos. Et l’Euro, ça va engendrer une fatigue supplémentaire, ça va être très compliqué à gérer. Donc il va falloir faire très attention à la gestion des effectifs. Il n’y a pas beaucoup de matchs à haut risque, mais si les Russes, ou d’autres hooligans, veulent faire le coup de poing, ça risque d’être tendu. Espérons que nos autorités prendront les mesures qui s’imposent pour la sécurité de nos concitoyens et des fonctionnaires de police.

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