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Les années Lille d’Idrissa Gueye

Par Eric Carpentier et Mathieu Rollinger
Les années Lille d’Idrissa Gueye

À 30 ans, Idrissa Gueye n'a eu besoin que de quelques semaines pour s'imposer comme une évidence dans le milieu du PSG. Thomas Tuchel est sous le charme, comme tous ses homologues avant lui. Mais alors, pourquoi Gana ne débarque-t-il au très haut niveau que maintenant ? La réponse est à chercher dans ses débuts, quelque part entre le Sénégal et le Nord-Pas-de-Calais.

Daniel Percheron peut avoir des regrets. À la présidence du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais pendant 14 ans, ce « grand supporter du Racing Club de Lens » est passé tout près d’offrir un diamant brut à son club de cœur. En 2003, l’association Diambars, dont le siège social français est établi à Arras, voit le jour en partie grâce à un financement régional, validé par l’ex-sénateur socialiste. Cinq ans plus tard, une première pépite sort de l’académie sénégalaise : elle s’appelle Idrissa Gueye et signe au LOSC. « Effectivement, la région Nord-Pas-de-Calais a été la première à croire en notre projet et à nous accompagner financièrement, acquiesce Jimmy Adjovi-Boco, monument Sang et Or et cofondateur du projet. Et personnellement ça ne m’aurait pas déplu qu’Idrissa signe au RC Lens. » De fait, les premiers contacts avec la région penchent vers le pays minier. Ce sont les « tournées Baobab » : chaque année depuis 2004, la délégation sénégalaise passe un mois dans le Nord, pour s’entraîner et participer à des tournois, mais aussi pour visiter les mines et les brasseries du coin. Le tout sous les attentions bienveillantes de familles locales.

Ch’ti Gana

Patrick Wastiaux faisait partie de ce comité d’accueil. « Ce sont des amis médecins, supporters du RC Lens, qui m’ont parlé de ce projet, resitue ce retraité du monde des assurances. Il se trouve que nous, on a eu Idrissa. Tout de suite, ça a bien fonctionné dans la mesure où on a un garçon qui a le même âge que lui et qui était passionné de foot. » Avec la famille Wastiaux, Gueye profite de quelques sorties à vélo, se prend de passion pour les lasagnes maison, passe des heures à jouer au ping-pong sur la pelouse et quelques nuits blanches sur la console. « Mais quand ils étaient là, ils avaient entraînement tous les jours et des matchs les week-ends, recadre Patrick. C’était assez rigoureux, ce n’était pas vraiment des vacances pour eux. » Car le but de ces voyages est surtout de pouvoir caresser un rêve : celui d’une carrière européenne.

Pour Gueye, le rêve prend forme au printemps 2008. Et alors qu’il avait été jusqu’ici choyé par des cœurs Sang et Or, ce sont les Lillois qui mettent le grappin sur le gamin de Dakar. « À chaque printemps, Diambars venait avec un groupe de 22-24 joueurs susceptibles d’être recrutés. Cette fois-ci, ils sont venus au domaine de Luchin pour faire deux test-matchs, raconte Jean-Michel Vandamme, le directeur du centre de formation. Là, il y en a un qui est fracassant, c’est Pape Souaré. Idrissa est beaucoup moins en vue, mais il ne surjoue pas et fait merveilleusement bien tout ce qu’il doit faire. Et ça, c’est un signe d’intelligence. Donc je les invite tous les deux au tournoi de Pentecôte, à Croix, où on les fait jouer avec notre équipe. » Souaré et Gueye sont intégrés avec les U18 du LOSC. Une réussite. Trois ans plus tard, Pape et Idrissa, mais aussi Omar Wade, seront champions de France. L’opération Baobab est un succès, l’institut Diambars tient son modèle.

Diambars et ça repart

Ce n’est pas un hasard si, au moment de se souvenir des débuts du projet, Jimmy Adjovi-Boco choisit avec soin ses deux premières pierres. D’abord celle posée avec les cofondateurs du projet Diambars — Patrick Vieira, Bernard Lama et Saer Secke — à Saly, à 90 bornes de Dakar et « au milieu de 15 hectares de sable » . Ensuite celle extraite la même année lors d’une détection au Terrain de la Piscine, lieu de repère pour tous les gamins à ballon de la capitale : Idrissa Gana Gueye. Membre de la promo inaugurale, composée de 32 garçons nés en 1989 et 1990, Gueye est « un symbole pour Diambars » , assure Adjovi-Boco. « C’est lui qui a réussi la plus belle carrière d’un point de vue footballistique, et celui qui est le plus représentatif en matière de valeurs et de travail dans ce qu’on a essayé de mettre en place il y a 20 ans. » Une fierté, surtout, parce qu’il n’a jamais été question de prédestination pour Idrissa Gueye, mais bien de construction.

La promesse des Diambars — « les guerriers » en wolof — se résume en un slogan : « faire du foot passion, un moteur pour l’éducation » .

Ce n’était pas facile au départ, mais Idrissa s’est rapidement forgé un caractère pour devenir un vrai meneur. Ce qu’il est aujourd’hui, c’est le fruit de son travail et de son sérieux.

Chez Idrissa, la passion se manifeste dans les navétanes, ces tournois de quartier rythmant les week-ends à la Médina de Dakar. D’abord simple observateur, il est propulsé sur le devant de la scène à 11 ans, lorsqu’un entraîneur lui demande de remplacer au pied levé un joueur blessé. Idrissa n’a pas de chaussures, ne pratique le foot que dans la confidentialité, mais il termine le match à quatre buts et deux passes décisives. Trois ans plus tard, cette passion devient un vrai projet quand il s’agit de quitter le foyer familial pour essuyer les plâtres à Saly. « Les premières années, on logeait dans un petit hôtel qu’on avait trouvé en location et on avait aménagé une maison pour faire des salles de classe, décrit Adjovi-Boco. C’était des conditions assez rudimentaires, mais si vous en parlez aux jeunes, ils en ont certainement gardé un bon souvenir. » C’est le cas pour Omar Wade, qui voyait son grand pote Idrissa Gueye s’incruster dans sa chambre au moment de la sieste : « De temps en temps, on partait jouer à la plage, on allait à la piscine… mais surtout, on ne pensait qu’à jouer au foot ! »

De 14 à 19 ans, Idrissa s’épanouit dans ce cadre. « C’est là que j’ai appris à presser, à courir avec le ballon et à être agressif en possession du ballon » , reconnaissait-il au Guardian en 2016. Jimmy Adjovi-Boco retient lui que ce « petit gabarit » — surnommé par Wade et ses camarades « « Bop Pik », parce qu’il avait une grosse tête et un petit corps » — n’était « ni la plus forte personnalité, ni le meilleur joueur » . En revanche, le milieu possède un autre atout : son éducation, qui lui permet d’être rapidement désigné capitaine de sa promo. « On n’a fait qu’affiner ce qui avait été fait par ses parents, continue Adjovi-Boco. Chez lui, on a très vite vu que le travail d’éducation était parfait. Idrissa était et est toujours d’une correction incroyable. » Coupé de son père, tapissier de profession, et de ses frères aînés qu’il ne voit qu’une seule fois par mois, le garçon va se servir de cette absence pour s’affirmer. « Ce n’était pas facile au départ, mais il s’est rapidement forgé un caractère pour devenir un vrai meneur. Ce qu’il est aujourd’hui, c’est le fruit de son travail et de son sérieux. » Ces mêmes ingrédients qui le conduisent en 2008 au LOSC, à qui les Diambars confient le bâton de l’éducation.

Arrêt « gars du Nord »

À Lille, François Vitali prévient d’entrée : « Si vous voulez des choses croustillantes, vous n’êtes peut-être pas sur le meilleur personnage » . En revanche, comme aux Diambars, Idrissa Gueye symbolise une stratégie réfléchie bien plus qu’un coup de chance. Une approche détaillée par celui qui travaillait à l’époque sur le recrutement des jeunes pousses du club : « Des profils comme lui, comme Cabaye, comme Debuchy, comme Stéphane Dumont avant, c’était la marque de fabrique du LOSC. Des joueurs talentueux, pas forcément les plus fantastiques, mais des garçons avec une éducation, une discipline. » « Que des garçons avec des profils psychologiques très au-dessus de la moyenne dans leur catégorie, renchérit Rachid Chihab, qui a entraîné Gueye pendant ses deux dernières années avec la réserve. Ils n’ont pas forcément eu le même parcours, mais ils ont tous fait carrière. »

Je me disais : « J’espère qu’il va y arriver ! », parce que des mecs comme ça, on a envie qu’ils réussissent. Mais tu n’es pas sûr. Un Eden Hazard, on peut dire à 14-15 ans que ça va être un top joueur. Pas Idrissa.

Le charme discret de son talent est pourtant ce qui a fait douter la direction lilloise au moment de faire confiance au Sénégalais. « Pape Souaré a eu un contrat plus long, mais tout le monde n’était pas convaincu par ce que pouvait donner Idrissa, remet Vitali. Il a fallu trouver une solution. » Il faudra alors que Claude Puel soit sollicité pour confirmer l’analyse de ses collègues de la formation, donner son aval et convaincre le président Seydoux. C’est ensuite la carte Diambars qui l’emporte. « C’est là que les très bonnes relations de Jean-Michel Vandamme avec Jimmy, et le financement des Diambars par la région, ont permis une discussion intelligente entre toutes les parties » , continue Vitali. Pour Claude Puel, Idrissa Gueye sera comme un cadeau d’adieu : deux semaines avant le début du contrat du milieu à Lille, l’entraîneur signe à Lyon.

La suite appartient aux formateurs, au premier rang desquels Rachid Chihab et Pascal Plancque, qui a eu Gueye lors de sa première saison dans le Nord. Mais à les entendre, le job était facile, presque trop. « Nous, on a juste la chance de le détecter et de l’accompagner » , s’efface le premier. « Idrissa, en matière de mentalité de travail, c’était magnifique » , encense le second. Qui ne rejoue pas pour autant la carrière a posteriori : « Je me disais : « J’espère qu’il va y arriver ! », parce que des mecs comme ça, on a envie qu’ils réussissent. Mais tu n’es pas sûr. Un Eden Hazard, on peut dire à 14-15 ans que ça va être un top joueur. Pas Idrissa. » Une idée reprise par Brian Obino, partenaire de Gueye lors de sa première saison en formation : « On avait un groupe de petits phénomènes ! On avait Eden, Yannis Salibur, Omar Benzerga, Badis Lebbihi… Et en second plan, il y avait des joueurs comme Idrissa. Il ne faisait pas de bruit, mais il a toujours été constant, rigoureux, et on s’est rendu compte que c’était une valeur sûre. »

L’art de prendre

Si « le travail est le père, et la nature la mère de toute chose » (William Petty), alors une carrière fondée sur le travail et l’éducation doit prendre le temps de grandir. C’est en tout cas ce que pense Jean-Michel Vandamme à propos d’Idrissa Gueye : « Avec le temps, il fera du dépassement de fonction, quand il aura compris qu’il a le niveau.

Quand Idrissa est arrivé, il n’était pas là pour rigoler. Il taffait, il taffait, il taffait ! Et sincèrement, il comprenait très vite.

Mais d’abord, il est tellement respectueux, tellement soucieux de répondre au bon de commande qui lui est fait, que sa réponse est une merveille pour un entraîneur, mais que, parfois, il ne se met pas assez en valeur. » Autrement dit, Idrissa Gueye n’est pas du genre à se faire mousser pour passer devant le concurrent. Mais comme le prévient Rachid Chihab, « on sent que dès que la porte va s’ouvrir, il va saisir l’opportunité et ne va pas décevoir » .

« Il disait tout le temps :« Ne t’inquiète pas, notre jour viendra, on sera bientôt là-bas », se souvient Omar Wade, hébergé un temps par son copain d’enfance lorsqu’il l’a rejoint en 2009 chez les Dogues. Mais à l’époque, il y avait Mavuba, Balmont, Cabaye… Ce n’était pas facile de se faire une place ! » Alors Gueye patiente. Et apprend. « Mais il a bien appris parce qu’il a eu des bons mentors, son capitaine par exemple ! » se marre Rio Mavuba. Si le capitaine se rappelle que le LOSC s’était fait sortir de Coupe de France par Colmar pour la première de Gueye en pro, un samedi de janvier 2010, il garde également en mémoire un mec qui « quand il est arrivé, n’était pas là pour rigoler. Il taffait, il taffait, il taffait ! Et sincèrement, il comprenait très vite. » Une semaine avant le titre de champion de France 2011, une première récompense va se présenter, sous la forme d’une titularisation en finale de Coupe de France.

Ce soir-là, on retrouvera Gueye, cravate desserrée au VIP Room après le match. Le trimeur relâche. Mais n’oublie pas les collègues devant la caméra du club : « On dédicace aux jeunes de Diambars, tu vois. C’est possible, on l’a fait.[…]On sort de Diambars, il y a Souaré, il y a Omar, il y a mon gars qui est là, j’ai joué titulaire, c’est merveilleux, on en profite ! » Une exclamation rare dans une carrière menée sous le signe de la modestie. Si pour trouver un appartement en ville, il a pu compter sur Patrick Wastiaux, son logeur arrageois toujours prompt à filer un coup de main à son « troisième fils » , le guerrier s’est construit pendant sept saisons une petite vie calme et sereine dans la capitale des Flandres, entouré de ses anciens compères de Diambars. « On allait souvent dans un resto sénégalais, le Toucouleurs (aujourd’hui fermé, N.D.L.R.), on y avait emmené Eden Hazard, Moussa Sow et Gervinho, se souvient Wade, aujourd’hui joueur du FC Gueugnon. Des cinés, du karting aussi. » François Vitali avait raison : peu de coups d’éclat remontent lorsqu’on aborde le sujet Gueye. Plutôt une impression générale, toujours excellente. Il n’y a guère que Rio Mavuba pour dessiner un moment aussi précis que précieux pour cerner le personnage. La scène se joue dans les couloirs du Stade de France, quelques heures avant le VIP Room : « Je me souviens du calme qu’il avait avant le coup d’envoi. Il était tout jeune, il allait commencer une finale de Coupe de France, mais il restait parfaitement calme. C’est Idrissa Gueye, quoi. Un sage. »

Dans cet article :
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Par Eric Carpentier et Mathieu Rollinger

Propos recueillis par EC et MR, sauf ceux d’Idrissa Gueye.

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