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Les 50 joueurs qui ont écrit l’histoire du Sporting Bastia (1er)

Propos recueillis par Thomas Andrei

De l'épopée européenne de 1978 au renouveau du Sporting avec Frédéric Hantz, en passant par la victoire en Coupe de France 1981 et les garçons bouchers des années 90, honneur aux 50 Turchini qui ont marqué l'histoire du Sporting Club de Bastia.

#1 - Claude Papi

Personne d’autre n’aurait pu être en tête de ce classement que Claude Papi. En 1978, c’est lui qui menait son Sporting jusqu’à une finale de Coupe de l’UEFA perdue face à Eindhoven. Il devint quelques semaines plus tard le seul joueur bastiais à avoir joué une phase finale de Coupe du monde avec la France. C’était en Argentine, le temps d’une mi-temps, face à la Hongrie, avant d’être remplacé par Michel Platini. Mais c’est chez lui, en Corse, qu’il a construit sa légende. Depuis plus de 20 ans, dans l’inconscient collectif, gros tacles, cartons rouges et intimidations sont indissociables du football corse. Dans les années 1970, les choses étaient bien différentes. Le ballon insulaire était alors incarné par une équipe technique, joueuse, et par un homme : Claude « le divin chauve » Papi. Soit 1m72 de finesse, d’élégance, de grâce, de beauté. En Corse, tout le monde aimait Papi. Façon Jimi Hendrix ou Kurt Cobain, son décès à l’âge du Christ, le 28 janvier 1983 sur un cours de tennis de Miomu, dans le Cap Corse, a fait de lui une légende. Aujourd’hui encore, on peut se demander si le football corse eut été le même si Claude était resté plus longtemps pour le guider.

De lui demeurent pour ceux qui l’ont connu des souvenirs chargés de la plus touchante des nostalgies. Et une admiration aveugle et sans borne à ceux qui ne l’ont pas vu jouer. Désormais, il reste aussi une place, à Lupinu, banlieue au sud de Bastia. Le 17 mai dernier, là où ont aussi grandi François Modesto et d’autres joueurs, quelques dizaines de personnes se massent autour d’une estrade. Derrière un micro, cheveux tirés, pantalon noir et haut beige, Marie-Jeanne Papi, 45 ans, est émue. Plus de trente ans après le décès de son papa, la ville inaugure la Piazza Claude Papi, dans le quartier populaire où il vivait avec son épouse et ses deux filles. L’aînée du gamin de Porto-Vecchio prononce seulement quelques mots sur Papi « le divin chauve, le joueur emblématique du Sporting, mais aussi le père, le frère, l’ami, le voisin, celui qui achetait ses cigarettes au tabac chez Lours. Claude, de Porto-Vecchio, qu’il portait dans son cœur. Claude de Lupinu, le Corse, celui qui vous aimait tous. Et qui retrouve aujourd’hui sa place ici. » Deux semaines plus tard, c’est bien de Claude Papi l’homme qu’elle préfère parler, pendant près d’une heure, évoquant parties de belotes, mini-émeutes et ce qu’est être la fille d’une légende.


Quand avez-vous eu vent pour la première fois de l’idée de dédier une place à Bastia pour votre père ?
C’est une place sortie de terre à la suite des travaux à Bastia. La mairie m’a contacté en disant qu’ils allaient proposer plusieurs noms, mais que ce seraient les habitants des quartiers sud qui décideraient. Au moment du vote, c’est le nom de mon père qui est ressorti. À une écrasante majorité, alors que la liste comptait aussi Pasquale Paoli. C’est à l’initiative de Didier Grassi (membre du collectif des victimes de Furiani, ndlr). Lorsqu’il a été nommé délégué aux sports de la mairie, il m’a dit qu’il ferait quelque chose pour donner le nom de mon père à un endroit à Bastia. Il y avait déjà une petite artère de la zone industrielle. Mais à l’époque, on ne nous en avait même pas parlé.

Quel est le premier souvenir que vous ayez de votre père ?
J’en ai beaucoup parce que j’avais quand même onze ans quand il est mort. Mais ce n’est pas forcément des souvenirs avec le footballeur. On était un peu tenus à l’écart de ça. Je ne l’ai jamais vu jouer, par exemple. Je ne sais pas s’il y avait beaucoup d’enfants au stade à cette époque et je n’ai jamais été passionnée de foot. On avait une vie tout à fait normale, ce n’était pas comme le foot actuel. Ce n’étaient pas des stars. Le samedi soir, c’étaient des héros, mais ils avaient une vie normale en dehors du stade. Il allait faire ses courses, achetait son pain, faisait sa belote. Je n’avais pas la sensation d’être la bête curieuse.

Donc l’épopée de 1978 n’a pas eu un grand impact sur votre vie de tous les jours ?
Non. C’était juste toujours la fête pendant un an. C’était tout le temps la joie. Mais la finale d’Eindhoven fut ma plus grande déception d’enfant. Il était rentré sans coupe, alors qu’il m’avait promis un bain dedans s’il la gagnait. Le souvenir le plus marquant date d’après son but contre les Grasshopper (le 12 avril 1978, après une défaite 3-2 à Zurich, Claude Papi qualifie le SECB en finale, victoire 1-0, ndlr). J’habitais juste au-dessus de l’école, dont les horaires correspondaient à ceux des entraînements. Donc c’est toujours mon père qui m’y accompagnait. Le lundi matin après le but, j’ai eu peur. Il y a eu une émeute devant l’école. Une émeute bon enfant, mais beaucoup, beaucoup de monde l’attendait. Tout le monde savait qu’il accompagnait sa fille. Je n’ai pas pu sortir. Les gens ne tapaient pas sur les vitres, mais quand il est sorti de la voiture, les gens l’embrassaient. À six ans, c’était un petit peu stressant. Alors on est rentré. De toute façon, on n’aurait pas pu être à l’heure, parce qu’il fallait traverser la foule. Je ne comprenais pas. Ce but, je l’ai découvert étant adulte. Pour moi, le métier de mon papa, c’était de marquer des buts. Ce but-là n’était qu’un but parmi tant d’autres.

En définitive, c’était une bonne journée pour vous, vous n’avez pas eu à aller à l’école.
En fait, j’en avais déjà eu beaucoup des journées comme ça. Je ne suis allée à l’école qu’à partir du CP. À la place, j’allais à l’entraînement et je jouais dans les tribunes. Je préférais jouer avec les enfants au stade et ils étaient assez faciles à convaincre. C’était mon terrain de jeu, Furiani. Je jouais avec les enfants de Rep, qui venait d’arriver, ils avaient à peu près mon âge. Ils ne parlaient pas français donc ils n’étaient pas scolarisés au départ. On jouait au cochon pendu sur les rambardes bleues, sur ce qui est aujourd’hui la tribune Claude Papi. Puis ma mère a quand même décidé que je devais aller à l’école…

Vous devez quand même avoir des souvenirs de la victoire en Coupe de France ?
Oui, il ne l’a pas jouée, mais on a quand même eu la coupe à la maison, posée sur la table du salon. C’était l’euphorie. La coupe a traversé toute la Corse, tous les villages. C’était une grande fête. Je sais qu’à l’arrivée de Paris, ils étaient restés bloqués une heure dans l’avion. Le moteur éteint, sans lumière ni climatisation. La piste était envahie de supporters et c’était impossible d’ouvrir les portes. Ils ont été évacués par les toboggans dans des camions à benne. Ils ont mis presque 5 heures pour atteindre Bastia. Mon père paniquait car il avait une peur bleue de l’avion. Mais il disait toujours : « J’ai quand même moins peur que Pantelić ! »

Vous avez des souvenirs du moment où votre père était à la Coupe du monde en Argentine ?
Oui et non. Je me souviens qu’il était parti longtemps. Quand il est rentré, il avait beaucoup de cadeaux. Comme le T-shirt avec le fameux petit bonhomme argentin (Gauchito, la mascotte du Mondial 1978, ndlr). Puis des joggings, des porte-clefs, des stylos. La maison était remplie de cadeaux à l’effigie de ce petit bonhomme.

C’était quel genre de père, Claude Papi ?
C’était un père comme les autres, un homme plutôt discret. Il était très doux, très patient, très calme. J’étais fille unique jusqu’à la naissance de ma sœur durant l’épopée. Donc j’étais un petit peu la princesse. J’étais une petite fille comme toutes les autres, sauf que j’avais un papa qui était dans le journal le dimanche matin.

Vous compreniez l’importance qu’il avait pour les gens ?
Oui et non. J’ai vécu toute ma vie avec ça. De ma naissance jusqu’à ce qu’il décède, ça a toujours été le joueur emblématique du Sporting. On a grandi là-dedans. Je l’ai plus mesuré après. Même maintenant, comme quand des gamins de 16 ans, qui sont nés 15 ans après sa mort, viennent me parler de ses buts, de sa carrière. Ça m’impressionne beaucoup. Mais de son vivant, non. Bon, il y avait les garçons à l’école. Quand ils jouaient dans la cour de récré, ils voulaient tous être Claude Papi. Mais j’étais du côté des filles et on s’en foutait. Puis, comme ils le connaissaient, qu’ils le voyaient tous les matins, ce n’était pas vraiment une star. Aucun ne l’était. Ils étaient très accessibles.

D’ailleurs, habiter à Lupinu, c’est quelque chose qu’un joueur de foot ne ferait pas actuellement…
Oui. Lorsqu’il est arrivé à Bastia, à 18 ans, il n’était pas grand-chose. Il habitait au début du Super Bastia, avec Robert Blanc. Ensuite, il a connu ma mère, qui, elle, est de Lupinu. Ils ont trouvé un appartement proche de chez mes grands-parents et on n’a plus bougé parce qu’on était très bien. C’était une question de commodité. Puis ce n’était pas aussi étendu qu’aujourd’hui. Si mon père ne pouvait pas me prendre à l’école, il y avait la voisine. On se connaissait tous. C’était un village.

J’imagine que l’appartement était assez normal. Aujourd’hui, Claude Papi aurait une maison incroyable.
Peut-être pas. Le côté matériel, ce n’était pas son truc. Il a eu des propositions de salaires mirobolants, mais l’argent n’était pas un attrait. Sinon, on serait partis. On a retrouvé ses fiches de paies, ça fait rire. Il gagnait 20 000 francs par mois, donc 3 000 euros (rires).

Vous receviez beaucoup de joueurs chez vous ?
Oui. Tous. C’étaient ses coéquipiers, mais aussi ses amis. Dragan Džajić passait sa vie à la maison. Il mangeait à midi, il passait le soir, buvait l’apéro. Puis Charlot Orlanducci, Paul Marchioni, Fanfan Félix. Mon père accueillait tous les nouveaux : la première semaine, ils étaient toujours invités à dîner. Il avait une âme d’intégrateur. Je me souviens qu’il chambrait Johnny Rep souvent sur son arrivée à Furiani. Le fait qu’il avait pensé que c’était le terrain d’entraînement… Je me souviens de l’arrivée de Raimondo Ponte (international suisse, légende des Grasshopper et joueur du SECB en 1981-1982 ndlr), il avait un accent très chantant. Les trois quarts du temps, je ne comprenais pas ce qu’il disait.

Ils avaient un autre endroit où ils aimaient se retrouver ?
Après les entraînements, ils allaient à l’Étrier, le restaurant en face du stade, pour jouer à la belote. Généralement, c’était mon père et Paul Marchioni contre Fanfan Félix et Charles Orlanducci. Neuf fois sur dix, ils finissaient par jeter les cartes en l’air. C’étaient quatre mauvais joueurs. Abominables. Ils se disputaient entre partenaires. On jouait à côté, on les entendait crier et on pensait qu’ils étaient un peu fous.

À part la belote, il aimait faire quoi en dehors du foot, votre père ?
Il aimait aller à la chasse avec son chien Polo. Il allait beaucoup à Vescovato chez Charlot pour ça. Il allait à la pêche, il jouait au tennis, faisait du vélo. Il était un peu hyperactif. Il n’aimait pas manger, ni donc cuisiner. Ce n’était pas son truc. Ce n’était pas un buveur ou un bringueur non plus. Il buvait un peu de vin, un peu de pastis, en jouant aux boules. Ou à la belote au Terminus. C’était plus pour le côté festif. Il fumait énormément en revanche. Des Stuyvesant rouges, facilement deux paquets par jour. Sur toutes les photos persos que j’ai de lui, il a une cigarette.

Pouvez-vous nous parler du jour du décès de votre père ?
Je l’ai appris quelques jours après. On nous a préservées un maximum. On n’était pas aux funérailles. Il y avait énormément de gens, on était trop petites pour subir ça. C’était un choc. Le matin, il m’accompagnait à l’école et un jour, il n’était plus là. Le dernier souvenir que j’ai de lui, c’est qu’il ouvre le journal et dise : « Oh, il est mort Louis de Funès ! » Il est mort un jour avant. À 11 ans, on ne réalise pas trop. Ça a été plus compliqué plus tard. C’était le joueur emblématique du club, mais quand il est mort, c’est devenu la légende. C’était devenu le joueur qu’on n’aurait plus jamais. C’était fini. Dans une petite ville comme Bastia, à 15 ans, c’était difficile d’être la fille de la légende qui vient de mourir. Je lui ressemble énormément, par-dessus le marché. Dans ma gestuelle, ma façon de marcher. Je ne pouvais aller nulle part sans qu’on sache qui j’étais. J’étais une star, sans rien avoir fait, alors que lui n’était pas une star. Ce que je n’arrivais pas à supporter, c’était cette extrême compassion. Même si elle était sincère.

On dit toujours en Corse que votre père était meilleur que Platini. Dans la famille Papi, on en pense quoi ?
Meilleur, je ne sais pas. Mais s’il avait accepté de partir, je pense qu’il aurait pu devenir son égal. Il faut être lucide : le fait de vouloir rester au Sporting ad vitam aeternam, ça l’a desservi. Mais il a eu la carrière qu’il a voulue : chez lui, dans son île. Il ne se serait pas épanoui comme footballeur s’il avait joué ailleurs qu’au Sporting. Il a eu des propositions de Nantes, de Saint-Étienne. Même de Los Angeles ! J’aurais pu partir en Californie ! Mais il disait toujours : « à conditions égales, à salaire égal, je reste chez moi. » C’était sa phrase.

Le football corse a une image de violence. Votre père, lui, était un joueur technique, un artiste. Vous pensez que s’il était resté en vie plus longtemps, le visage du football corse en aurait été changé ?
Je pense. En fin de carrière, il voulait passer ses diplômes d’entraîneur. Vu son caractère, je ne suis pas sûr qu’il adhérerait à ce qui se passe aujourd’hui. Je pense qu’il aurait lâché prise. Il serait parti entraîner l’AS Porto-Vecchio, un petit club. Il a vécu un âge d’or du football. Les stades n’étaient pas adaptés, mais il n’y avait pas de heurts. Je ne sais pas s’il aurait aimé le football actuel.

Propos recueillis par Thomas Andrei

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