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Balerdi, finalement bien argentin
Longtemps bouc émissaire du stade Vélodrome, Leonardo Balerdi a fini par retourner le public marseillais. Comment ? En devenant le joueur argentin qu’il n’avait jamais vraiment été. Tout simplement.
Dans leur saison sans cap, pour l’instant sauvée par les soirées européennes, les supporters marseillais se sont quand même trouvé deux bonnes raisons d’aller au stade: un attaquant qui met des buts et un défenseur qui donne envie de se lever de son siège. Pendant longtemps, ce fut surtout pour lui parler de sa maman et l’inviter à quitter la ville au plus vite. Mais depuis quelques semaines, à la surprise générale, Leonardo Julián Balerdi Rosa s’est transformé en « chouchou ». Une espèce en voie de disparition à Marseille. On a ainsi vu l’ancien roi de la boulette obtenir un penalty de filou face à Nice ; envoyer une mine dans la filoche contre Monaco ; éteindre Di María pendant 120 minutes ; sauter sur tout ce qui s’approchait un peu trop près de Pau Lopez ; venir écouter les consignes des joueurs adverses pour réorganiser sa défense ; et faire rugir le Vélodrome à chaque tacle glissé, un des gestes techniques les plus appréciés chez les inventeurs du « mouille le maillot ou casse-toi ». Pour le dire autrement : la version moderne de Gabi Heinze a fait son apparition dans les Bouches-du-Rhône. Ou encore autrement : à 25 ans, Leo Balerdi serait enfin devenu un défenseur argentin.
Un dur, un vicieux, un insupportable, sans la barbe et les cheveux longs, l’époque n’étant plus aux aiguilles dans les chaussettes pour marquer son territoire (Carlos Bilardo), ni aux crampons aiguisés dans le vestiaire pour faire un peu plus mal aux attaquants adverses (Oscar Ruggeri). Balerdi a fini par trouver les outils encore disponibles en temps de VAR : remporter tous ses duels, laisser traîner juste ce qu’il faut le coude ou le pied, chambrer Kylian Mbappé sur la finale perdue au Qatar. « Il lui fallait du vice et quelques mauvais coups pour s’imposer en patron derrière, juge Renato Civelli, un spécialiste maison. Lors de ses premières saisons à l’OM, Leo a peut-être été rattrapé par l’envie d’être un joueur propre. Or, quand tu es défenseur, tu dois être un chien de la casse, sinon on te bouffe. Lui traînait ce surnom de “Dandy”, parce qu’il est élancé et qu’il privilégie la semelle sur le ballon aux tacles sur les chevilles. Et il a eu du mal à s’en détacher. »
« Il ne manquait de rien, sauf d’agressivité »
L’histoire de Balerdi n’est pas celle d’une revanche sociale. Le « Dandy » a grandi loin des bidonvilles de Buenos Aires et de Rosario, il n’a jamais vu de flingues et de cocaïne, n’a pas de pote d’enfance mort ou en prison et n’a jamais disputé de tournois sur des terrains caillouteux pour ramener quelques pesos à la maison. Il est né à Villa Mercedes, deuxième ville de la province de San Luis, qui produit beaucoup de viande et de céréales, mais peu de footballeurs. Un père ophtalmo, une mère qui gère un magasin dans le centre-ville. « C’est une famille de classe moyenne supérieure, mais très simple, très sensible, décrit Luis Lucero, son ancien coach au Club Sportivo Pueyrredon. Le football ici, c’est la gagne, comme partout en Argentine, mais la pression n’est pas du tout la même qu’à Buenos Aires. Jusqu’à son départ à Boca, à 14 ans, Leo n’a jamais manqué de rien. À part peut-être un peu d’agressivité ! » Diego Mazzilli, l’homme qui l’a repéré et fait déménager au centre de formation de Boca Juniors, décrit un garçon « technique, rapide, élégant, intelligent, bien éduqué ». Quand il lui a annoncé sur Facebook en 2013 qu’il serait pris chez les Bosteros, après deux essais dans la capitale, l’adolescent lui a répondu d’un laconique : « Cool. » Rolando Schiavi, son coach dans la réserve de Boca et défenseur à l’ancienne à qui Dame Nature n’a pas fait de cadeau, ajoute : « C’était un gamin un peu mimé. Sauf que le football professionnel, ce n’est pas un monde de gentils, il faut montrer les crocs. Lui était très doué, allait très vite, mais il n’aimait pas beaucoup le duel, c’est vrai. »
C’est peut-être pour cette raison que jusqu’à ses 16 ans, le gamin de Villa Mercedes était milieu de terrain. Une zone dans laquelle il essayait de se faire une place dans la génération 1999, l’une des meilleures de Boca, jusqu’à ce que l’un de ses entraîneurs à la Casa Amarilla lui propose de reculer d’un cran. Nous sommes alors au mitan des années 2010, le football change sous l’impulsion de l’école barcelonaise, et on exige désormais de former des centraux capables d’envoyer des transversales de 40 mètres. Un coup dur pour les pieds carrés, mais une aubaine pour Leo Balerdi, qui vit pourtant très mal ce repositionnement après s’être longtemps rêvé en Fernando Gago, son idole. « Il ne voulait rien savoir, et a même pensé à partir de Boca, son club de cœur, rejoue Mazzilli. On a donc parlé 30 minutes, je lui ai dit qu’il y arriverait plus vite à ce poste et qu’il réussirait de belles choses. Il m’a écouté, s’est remobilisé, et derrière, tout est allé très vite. »
Ou plutôt trop vite. Les recruteurs étrangers tombent sous le charme du Dandy, défenseur de demain. Le FC Barcelone fait une première offre, mais en janvier 2019, Dortmund pose 15 millions d’euros sur la table. Balerdi n’a alors que cinq matchs chez les pros dans les jambes, trop peu pour intégrer les codes du football local. « Jouer en première division argentine, c’est un sacré apprentissage, surtout pour un défenseur, confirme Rolando Schiavi, dont pas mal d’attaquants gardent quelques cicatrices. Dans son processus de formation, il lui a manqué au moins une saison entière ici. » D’autant que dans la Ruhr, l’Argentin passe l’essentiel de son temps sur le banc ou en équipe réserve, à une période où Lionel Scaloni, chargé du renouvellement générationnel de l’Albiceleste après la Coupe du monde 2018, teste des dizaines de joueurs « à fort potentiel. » « S’il était resté à Boca, il aurait pu être le central de la sélection pour les dix prochaines années, confiait à l’époque le coach des futurs champions du monde, dont le faible pour Balerdi n’a jamais été un secret, au point de lui offrir deux premières capes à l’automne 2019. Maintenant, il est en Europe, et il ne joue pas. C’est un cas complexe. »
Répondre aux attentes
Pour sortir de la grisaille, l’Argentin a finalement choisi Marseille à l’été 2020. Hélas, le coup de foudre avec le public n’a pas lieu. « C’est un club dans lequel les supporters sont très exigeants et ne te pardonnent rien, souffle Civelli. Moi, quand j’arrive à l’OM, j’ai plus de 70 matchs en Argentine et je viens de Banfield, une équipe que personne ne connaît en France. Leo, lui, débarque avec l’étiquette de crack de Boca Juniors. » Les buts offerts à l’adversaire et le marquage aléatoire ne favorisent pas l’acclimatation. « Il a aussi eu des soucis avec ses blessures à l’épaule, qui se déboîtait souvent, défend Schiavi. Cela le faisait jouer avec un peu de peur et d’appréhension dans les duels, et lui a fait perdre du temps. » Les supporters se lassent, mais pas les coachs successifs, qui perçoivent le fameux potentiel et louent sa capacité à ne pas s’effondrer sous le poids des critiques.
Il a donc fallu attendre cette saison sans saveur, et les défaillances physiques ou techniques de Chancel Mbemba, Samuel Gigot et Bamo Meïté, pour que Balerdi devienne l’Argentin mort de faim que le Vélodrome attendait. Civelli : « On peut dire qu’il lance enfin sa carrière à 25 ans, ce qui est l’âge idéal, puisque c’est celle de la maturité du footballeur. » Schiavi approuve : « Sur ses derniers matchs, j’ai vu un joueur mature, qui anticipe, qui est sérieux de bout en bout, qui dirige la défense. Il s’est convaincu qu’il était à la hauteur et allie désormais bonne relance, vitesse et dureté, toutes les caractéristiques du défenseur moderne. Des joueurs comme ça, il n’y en a pas beaucoup sur le marché. » Aux dernières nouvelles, ces excellentes prestations n’auraient pas échappé à l’Atlético de Madrid et à la Juventus. Comme souvent à Marseille, l’amour ne dure guère longtemps.
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Par Adel Bentaha et Léo Ruiz
Tous propos recueillis par AB et LR, sauf ceux de Lionel Scaloni tirés d’une conférence de presse.