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Leipzig, le mal-aimé du football allemand

Hugo Lallier, à Leipzig

En 2009, le groupe autrichien Red Bull rachetait un club amateur au cœur de la Saxe pour le propulser des années plus tard en Ligue des champions. Si le projet Red Bull est venu rompre l’isolement de l’Allemagne de l’Est, orpheline d’un club digne de ce nom depuis la chute du Mur, le RB Leipzig est détesté par une grande partie de l’Allemagne.

Leipzig, le mal-aimé du football allemand

Toujours le même refrain. Dans l’ouest de l’Allemagne comme à l’Est, les mêmes mots qui reviennent comme une vague sur le sable. Maillots de la Nationalmannschaft sur le dos, dans les fanzones ou en vadrouille dans le centre-ville, une partie des Allemands n’ont pas besoin d’être chauffés à blanc pour qu’ils crient leur désamour d’un club qui figure pourtant parmi les meilleurs représentants du pays en Coupe d’Europe. Le Red Bull Leipzig serait, en vrac, « toxique », « factice », « marketing », « sans histoire ». Même dans les rues de Leipzig qui accueillent depuis le début de semaine les supporters français et néerlandais à l’approche de la rencontre phare du groupe D, le club semble payer son association avec la marque de boisson énergisante.

Une histoire de désamour

Sebastian travaille depuis cinq ans dans le centre-ville et a toujours vécu dans les environs. « Je suis un gars de l’Allemagne de l’Est, un vrai ! », se marre-t-il, maillot du VfB Stuttgart sur les épaules, un short de bain au-dessus des genoux. Comme un bataillon de gars de sa génération, il ne supporte pas le RB Leipzig. « Les gens ont du mal à s’identifier à l’équipe. Elle a été construite sur une forme de vide, de promesse marketing et commerciale. L’équipe joue bien, mais elle ne remplacera jamais les 130 ans d’histoire d’un club comme Stuttgart. En Allemagne, on est attaché au poids du maillot, et celui-ci pèse moins lourd », explique-t-il, un œil toujours attentif sur le match entre la Slovénie et la Serbie qui défile sur l’écran géant.

Sebastian Teutschbeink, supporter du VfB Stuttgart.
Sebastian Teutschbeink, supporter du VfB Stuttgart.

Panier de course

Ce procès en manque de tradition n’est pas nouveau et puise son origine dans l’histoire du club. Au milieu des années 2000, Dietrich Mateschitz, milliardaire autrichien, veut donner un second souffle à son empire Red Bull. La boisson à la taurine est encore interdite à la vente dans plusieurs pays européens, dont la France. L’image de la marque qui donne des ailes est sulfureuse, longtemps associée à la déglingue et à la fête. La politique de promotion de Red Bull par le sport a porté ses fruits en dehors du Vieux Continent, notamment grâce au rapprochement avec les sports extrêmes. Mateschitz sent que le football est le sport qui peut faire entrer la marque dans le panier de course de Monsieur et Madame Tout le Monde. Il rachète donc plusieurs clubs à travers l’Europe qu’il satellise pour mutualiser les coûts et les processus de recrutement.

Leipzig est le premier club à avoir façonné ce modèle de trading de joueurs.

Klinger, étudiant et supporter du RB Leipzig.

En Allemagne, le patron autrichien échange avec plusieurs dirigeants de clubs installés, populaires, ancrés dans la culture germanique, comme le FC St.Pauli, Munich 1860 et Fortuna Düsseldorf. Sans succès. Changement de braquet. Mateschitz va construire un club, pièce après pièce, rouage après rouage. Leipzig est une ville industrielle de la Saxe, plutôt réputée pour abriter le corps du compositeur Johann Sebastian Bach à l’église Saint-Thomas que pour son football. En 2009, il rachète le petit club amateur, le SSV Markanstädt, à treize kilomètres de Leipzig, pour 350 000 euros. Red Bull investit plusieurs dizaines de millions d’euros, recrute les meilleurs jeunes joueurs d’Europe en leur promettant une exposition inédite, et gravit les échelons jusqu’à rejoindre la Bundesliga en 2016.

Bataille idéologique

« Ils ont vraiment de super jeunes comme Simons. C’est le premier club à avoir façonné ce modèle de trading de joueurs », situe Klinger, étudiant de la ville qui a fini par supporter le club de la Saxe. Seulement, Leipzig est perçu comme un club transit, une grande salle d’attente avant un transfert, où les joueurs passent d’une succursale à une autre sans aucune affection pour un territoire. Ce qui heurte…

Les clubs du pays sont majoritairement détenus par des géants industriels dont les usines sont intégrées au tissu économique local, comme Bayer à Leverkusen, ou Volkswagen à Wolfsburg. « On ne peut pas rapprocher à Leipzig son argent, puisqu’il y en a dans tous clubs qui sont adossés à des grands groupes, juge Daniel Ziesche, chercheur à l’université de Leipzig, spécialiste des logiques territoriales dans le football allemand. Mais on critique son manque de démocratie interne. Les Allemands sont attachés à ce que les membres de l’association puissent décider du sort de leur équipe, et que la décision ne revienne pas uniquement aux actionnaires. Ce n’est pas le cas à Leipzig. »

Klinger, supporter du RB Leipzig et volontaire durant l’Euro.
Klinger, supporter du RB Leipzig et volontaire durant l’Euro.

Je pense qu’il y a une souffrance, car on aimerait tous supporter le club de l’Allemagne de l’Est, et on est peu à se reconnaître dans le Red Bull, ce qui accentue le rejet du club.

Sebastian Teutschbein, habitant de Leipzig

Leipzig, qu’on compare souvent au PSG, fausserait le championnat, et son modèle serait à combattre. Depuis son arrivée en Bundesliga en 2016, le modèle du club est d’ailleurs régulièrement la cible des banderoles des supporters adverses qui font de la critique du RB une sorte de combat idéologique. Et ce combat de coq se transforme parfois en campagne de haine : au printemps, le parcage du club avait été enduit d’acide citrique lors d’une rencontre de championnat contre Heidenheim.

De l’autre côté du mur

Ce sentiment d’hostilité est, aussi, sans doute une affaire de rendez-vous manqué. Depuis la chute du mur de Berlin, l’Allemagne de l’Est ne peut pas compter sur un ou plusieurs clubs vitrines. Ses représentants en Bundesliga ne sont pas légion. Ses clubs les plus populaires comme le SG Dynamo Dresden végètent au niveau semi-professionnel. Ils ont longtemps souffert de l’absence d’une locomotive qui la représente au sommet du football germanique. Problème depuis son avènement : le RB Leipzig n’est pas le fils espéré. « Je pense qu’il y a une souffrance, car on aimerait tous supporter le club de l’Allemagne de l’Est, et on est peu à se reconnaître dans Red Bull, ce qui accentue le rejet du club », conclut Sébastian.

Bruisse aujourd’hui la rumeur du rachat par Red Bull d’un deuxième club de la région, ce qui ne devrait pas rapprocher la multinationale du cœur des supporters. Elle est également accusée de vampiriser la région, en faisant main basse sur les écoles de football locales, accaparant les futures vedettes. À un peu plus de 100 kilomètres à l’est, les équipes de jeunes du SG Dynamo Dresden jouent, chaque samedi, devant une centaine de fans, le tout pour un club abonné au troisième étage du football allemand. Et c’est sans doute là que Daniel, Klinger et Sebastian se retrouveront autour d’une bière.

Hugo Lallier, à Leipzig

Tous propos recueillis par HL.
Photos : Hugo Lallier et Iconsport.

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