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  • CAN 2013
  • Groupe B
  • 2e journée
  • Niger/RD Congo

Le Roy : « Si ta grand-mère est sur le terrain, dribble-la ! »

Propos recueillis par Florian Fieschi, à Port-Eliz
Le Roy : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Si ta grand-mère est sur le terrain, dribble-la !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Intarissable Claude Le Roy. Passionné de football africain, le sélectionneur de la République Démocratique Congo fait le point avant son match contre le Niger, ce jeudi (19h). Sorcellerie, François Hollande, Michel Denisot, Bachar el-Assad, Laurent Blanc, les dribleurs tout y passe ! Interview cash avec l'un des entraîneurs français les plus respectés d'Afrique.

Claude Le Roy, vous allez établir un record avec une septième CAN disputée en tant que sélectionneur. Comment percevez-vous cette performance ? Ce record, je le perçois surtout à travers le regard des autres. Beaucoup de télévisions et de médias du monde entier sont venus me voir pour m’apprendre que c’était un record. Mais j’ai autant de fierté d’avoir gagné une Coupe du Golfe avec Oman, d’avoir fait les Jeux d’Asie avec la Malaisie ou d’avoir joué une Coupe du monde avec le Cameroun.

Avez-vous l’impression que le football africain progresse ?Contrairement à ce que prétendent les stratèges du café du commerce qui fleurissent sur nos antennes et qui sont souvent forts avec les faibles et faibles avec les forts, le football africain est en constante progression. Maintenant, il faut faire attention que les clubs européens ne mettent pas trop de pression sur leurs joueurs en déclenchant des menaces habiles. La CAN, c’est ce qui compte le plus dans le paysage du football africain. Elle déclenche une passion invraisemblable !

Mais pourquoi ce football africain a-t-il mauvaise presse ?Certains observateurs le regardent avec un certain mépris. Mais ça, c’est le mépris qu’on a par la peur de ce qu’on ne connaît pas. C’est d’ailleurs ce même mépris qui crée tous les clivages. La conséquence, c’est le racisme primaire.
Sportivement, quelles sont les chances de la RDC dans ce tournoi ?Moi je veux avant tout qu’on soit exemplaires dans le comportement et qu’on recherche sans cesse de la qualité. Si on y arrive, je serai déjà très satisfait. Mais bien sûr que le foot ne se contente pas de paroles poétiques, il faut des résultats.

Pour cette CAN, la Côte d’Ivoire semble être le grandissime favori… Oui mais pour gagner, il va bien falloir qu’ils la jouent cette Coupe. Le problème, c’est qu’ils tombent dans un sacré groupe. Surtout que Vahid Halilhodžić (ancien sélectionneur des Éléphants limogé sans ménagement, ndlr) ne va pas leur faire de cadeaux. Il faut vraiment qu’ils fassent attention même s’ils semblent au-dessus du lot. Pour eux, c’est l’année ou jamais.
L’année dernière, c’est la Zambie qui s’est imposée avec à sa tête Hervé Renard, l’un de vos anciens adjoints… C’est formidable ce qui est arrivé. Moi je suis un passeur. J’adore voir mes adjoints réussir. Peut-être parce que mes parents étaient des pédagogues. C’est aussi l’une de mes grandes fiertés.

« Le premier sorcier dans l’histoire de l’humanité, c’était Merlin l’Enchanteur »

Comment analysez-vous la réussite d’Hervé Renard ? Hervé, c’est quasiment moi qui l’ai imposé au président de la Fédération zambienne. À l’époque, il était inconnu et c’est pour ça que le président hésitait. Maintenant; à chaque fois que je le rencontre, il me remercie. C’est dire…

Dès qu’il le peut, Hervé Renard parle de vous comme d’un modèle. Cela doit vous rendre assez fier ? Ça me touche beaucoup. C’est bien que les gens aient un peu de mémoire dans ce métier car j’ai aussi permis à des entraîneurs ex-nihilo de devenir sélectionneurs. Par contre, ceux-là avaient très vite perdu la mémoire. Maintenant, ils semblent l’avoir retrouvée.

Vous êtes l’un des sélectionneurs les plus expérimentés d’Afrique. D’où vous vient cette passion pour ce continent ? Tout me prédestinait à l’Afrique ! Il faut savoir que j’ai été élevé dans un milieu très engagé politiquement avec des parents qui, depuis le milieu des années 1950, soutenaient l’indépendance du Congo belge. Ensuite, mon père a pris des engagements contre son propre pays lorsque l’Algérie a réclamé son indépendance. Donc tout jeune, j’étais déjà très concerné par ce continent.

Comment s’est passée votre première expérience de sélectionneur au Cameroun. Quels sont vos souvenirs ? D’abord, le Cameroun cherchait un sélectionneur et il avait un relais en Europe. Ce relais était très proche d’Albert Batteux (ancien entraîneur de Reims et ancien sélectionneur des Bleus, ndlr). Ils sont alors entrés en contact avec moi et tout de suite, cela m’a passionné. Le problème, c’est que cela passionnait beaucoup moins les Camerounais. Mais je les comprenais parce qu’on confiait leur patrimoine national à un jeune entraîneur sans palmarès et sans expérience. Je me rappelle de manifestations terribles dans les rues de Yaoundé après ma liste pour la CAN 1988.

« Si les sorciers africains étaient aussi efficaces, cela ferait longtemps qu’une équipe africaine serait championne du monde »

CAN 1988 que vous remportez. D’où ce surnom du « Sorcier blanc » …Oui cela a été le « Sorcier Blanc » ou le « Sorcier blond » . Dans les pays anglophones, c’était plus « The Legend » . Mais moi j’ai toujours dit que le premier sorcier dans l’histoire de l’humanité, c’était Merlin l’Enchanteur, Merlin qui sévissait en Bretagne. Et comme je suis breton… Donc j’ai toujours expliqué aux Africains que je ne pouvais pas être impressionné par les sorciers puisque je venais du pays des magiciens et des féticheurs. J’aimais aussi rajouter que si les sorciers africains étaient aussi efficaces, cela ferait longtemps qu’une équipe africaine serait championne du monde. Mais ce n’est toujours pas le cas…

En Afrique, le mystique est très présent. Comment gérez-vous cet aspect de la préparation africaine ? J’ai un respect total de la culture. Si les joueurs veulent consulter leur marabout, leur féticheur, il n’y a aucun problème. En revanche, je ne veux pas que cela interfère dans mon travail.

Au contact de tous ces hommes différents, vous avez dû forcément travailler sur votre tolérance, non ? C’est drôle que vous me parliez de ça. Il y a plusieurs semaines, ma mère, qui a fêté ses 89 ans, m’a dit quand je lui ai souhaité son anniversaire : « On n’est jamais assez trop tolérant » . C’est comme ça que j’ai été élevé. On appréhende d’autres cultures, d’autres traditions, d’autres religions et bien évidemment, on est encore plus à l’écoute du monde.
Comment travaille-t-on quand on exerce sur le continent africain ?D’abord, il faut comprendre qu’on n’est pas chez nous. On fait appel à nous parce qu’on suppose chez nous une certaine compétence. Donc il faut bosser et s’adapter.

Vous avez des exemples d’adaptation locale ? Oui je me rappelle quand j’étais sélectionneur d’Oman, on faisait des entraînements à minuit pendant la période du Ramadan car les joueurs devaient couper le jeûne au coucher du soleil. Pour moi, ces séances étaient des moments magiques…

Un autre exemple ? Cela peut être aussi un entraînement devant 40 000 personnes avec impossibilité d’interdire l’accès au stade sinon c’est l’émeute. Donc parfois ce sont des séances qui se déroulent dans un bruit assourdissant. Et selon les clubs de mes joueurs, certains se font insulter ou encenser quand ils ratent ou réussissent un geste à l’entraînement.

« Certaines appartenances tribales conditionnent des équipes »

Comment s’adapte-t-on à cet environnement différent ?Quand on va dans un pays, il faut savoir ce qui s’est passé dans ce pays. Si vous n’êtes pas au courant, vous passez à côté de plein de choses. Être sélectionneur, ce n’est pas seulement des joueurs sur un terrain. Il faut alors tout comprendre parce que des fois certaines appartenances tribales conditionnent des équipes. C’est beaucoup plus compliqué d’entraîner en Afrique. Les gens ne se rendent pas compte…

Quel rapport entretenez-vous avec le peuple congolais ? Quand on s’est qualifiés pour la CAN après notre victoire face à la Guinée-Equatoriale, c’était une ambiance incroyable ! C’est simple, les Congolais n’ont rien mais ils vous donnent tout. Après c’est compliqué. Surtout dans l’est au Kivu.
Mais le football permet-il une sorte de réconciliation ?Des gens nous ont dit que lors de notre qualification pour la CAN, il y avait eu un armistice non signé pendant quelques heures. Après il ne faut pas donner au football plus d’importance qu’il n’en a vraiment. Même si on a quand même quelques responsabilités de par nos positions d’ambassadeurs. Mais il ne faut pas être accablé par ça.

Comment analysez-vous la situation de la région du Kivu en proie à de graves problèmes ? C’est terrible ce qui se passe là-bas. À mon avis, les Nations Unies n’ont pas fait leur boulot. La France également y est allée à pas feutrés. Ce pays a besoin de reprendre confiance en lui. Il faut donc l’aider absolument.

« J’échange par sms avec François Hollande »
Mais vous êtes un fervent défenseur du président François Hollande…C’est vrai. François Hollande, je le soutiens depuis le début. Même quand il était très bas dans les sondages, j’étais derrière lui. Il le sait parce qu’on échange parfois par sms.

Pour en revenir au football, vous avez entraîné quasiment sur tous les continents. Pourquoi ne pas revenir maintenant en Europe ? Vous savez, j’ai toujours eu des propositions de clubs français. Toujours. Mais d’autres défis m’attendent. D’ailleurs, je n’ai jamais eu de plan de carrière. Quand je suis parti en Malaisie, les gens ont pensé que je n’avais plus rien du tout. Mais c’était juste parce que cette expérience me fascinait. Derrière, j’ai rejoint le Milan AC comme conseiller de la présidence. Donc pour moi, les plans de carrière, cela ne veut rien dire.

Quels souvenirs avez-vous gardé de votre passage au PSG en tant que directeur sportif (1997) ? D’abord, je me souviens d’un immense président. Je parle de Michel Denisot. On pense qu’il est toujours en dilettante mais c’est un homme qui veut être au courant de tout, tout le temps. Il vous appelle de 8h du matin à minuit pour connaître soit les résultats des jeunes, soit ceux de la CFA 2.

« Blanc n’a pas le profil du sélectionneur »

Avez-vous quand même des regrets ? À un moment, il y a eu peut-être un seul regret dans ma carrière car j’aurais aimé qu’on me propose la direction technique nationale en France. C’était au moment où je n’en pouvais plus d’entendre parler de gabarit, de puissance. À mon avis, on n’a pas assez mis l’accent sur la technicité et le talent.
Pour vous, qu’est-ce que cela signifie ? Moi, j’aime les dribbleurs ! Celui qui m’intéresse, c’est celui qui va créer le décalage. Quand j’étais plus jeune, je me souviens d’Albert Batteux disant à Raymond Kopa : « Mais si ta grand-mère entre sur le terrain, dribble-là ! » . J’ai gardé ça en tête. Et pour moi, ce sont les dribbleurs qui font le charme du football.

Pour reparler du football français, votre nom a été évoqué pour succéder à Laurent Blanc… (Il coupe) Dès que Didier Deschamps a été nommé, j’ai envoyé tout de suite un message à Noël Le Graët. Je suis originaire du même village que lui en Bretagne. Je lui ai alors dit qu’il avait fait le choix le plus intelligent pour les Bleus.
Pourquoi ?Didier, c’est celui qui a le plus d’épaisseur pour le poste. C’est un homme d’une très grande qualité. D’ailleurs, j’étais moins convaincu par rapport à ce qui s’est passé après le départ de Raymond Domenech. Maintenant, l’équipe de France a un vrai sélectionneur…

Selon vous, Laurent Blanc n’était pas l’homme de la situation ?Je ne connais pas Laurent Blanc, si ce n’est comme ça. Mais je ne pense pas qu’il ait le profil du sélectionneur. Pour ce métier, il faut aimer le foot et surtout il faut profondément aimer les joueurs.

« Mon objectif n’est pas de mourir le plus riche du cimetière »

Avant de revenir sélectionneur de la RDC, vous avez coaché la sélection de Syrie. C’est peut-être l’un des plus mauvais souvenirs de votre carrière. Pouvez-nous raconter cette expérience syrienne ? Quand j’ai signé en Syrie, il ne s’était encore rien passé. J’étais heureux comme tout. Damas est vraiment une capitale magique. Mais après quelques semaines, on a commencé à entendre qu’il se passait des choses sans connaître exactement la portée des mouvements. Puis un jour, ma femme, qui était à Bali, m’a appelé pour me dire qu’elle avait entendu qu’on tirait à balles réelles sur des opposants au régime. Raymond Domenech aussi m’avait contacté en me disant que je ne pouvais pas rester là-bas. Quand j’ai compris ce qui se passait, j’ai annoncé que je partais.

Comment ont réagi les autorités ? En fait, on m’a dit que je ne pouvais pas partir et que le président Bachar el-Assad voulait me recevoir au palais. J’ai refusé. Là d’un coup, ça s’est tendu. Mais je ne voulais pas cautionner quoi que ce soit. J’ai payé les billets d’avion à mon staff et je suis donc rentré en France. On est partis dans un trou de souris. Reste que mon départ a été très mal vécu par les autorités parce que c’était la preuve manifeste que quelque chose n’allait pas. J’ai été bouleversé par cette expérience. Mais c’est une décision dont je suis très fier malgré un contrat de trois ans que j’ai dû casser. Après ce n’est pas très grave car mon objectif n’est pas de mourir le plus riche du cimetière.

Avec toutes ces expériences, quel regard portez-vous sur votre métier d’entraîneur ? Chaque jour, je me dis que je suis un privilégié. Je ne me lasse jamais de ces bonheurs additionnés. J’entame ma 47e saison de football professionnel mais j’ai l’impression de débuter. Le football me régénère. Tout simplement…

Maintenant, quel tournant souhaitez-vous donner à la suite de votre carrière ? Pour finir ma carrière, j’aimerais aller dans une université américaine, diriger le soccer là-bas. Je préfère ça à un club. En plus ma femme est américaine…

Propos recueillis par Florian Fieschi, à Port-Eliz

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