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Le retour de la tise dans les tribunes anglaises ?

Par Anthony Cerveaux
Le retour de la tise dans les tribunes anglaises ?

Alors que la FIFA s'empêtre dans les contradictions à l'égard de la vente d'alcool dans les stades, le président d'Ipswich Town mène une frondre pour le retour des pintes dans les tribunes des stades de foot anglais. Retour sur une régulation hypocrite, notamment vis-à-vis des autres sports.

Il faut se souvenir des belles choses. En visite, le 11 décembre dernier, dans les hauts reliefs valaisans, sur ses terres suisses, Joseph Blatter, l’impénitent président de la FIFA, s’était fendu d’une déclaration implacable, à la suite de l’agression à mort d’un arbitre hollandais : « Si nous voulons bien considérer le sport en général et le football en particulier comme un évènement culturel, alors il nous faut absolument chasser l’alcool et le tabac de nos stades. » Au-delà de la question de savoir si un match de football se regarde comme une pièce de théâtre, ce qui interpelle surtout, c’est une décision prise quelques mois plus tôt au Brésil, et passée relativement inaperçue : l’autorisation de la vente d’alcool dans les stades lors de la Coupe du monde 2014. Objet d’un véritable bras de fer entre la FIFA et le gouvernement brésilien, car la consommation d’alcool dans les stades est interdite depuis 2003 chez les Auriverdes, notamment pour lutter contre la violence.

Pression de la FIFA pour autoriser l’alcool lors de la Coupe du monde 2014

Cette décision a été votée sous pression de la FIFA, et notamment de son numéro 2, le mystérieux Jérôme Valcke, homme de l’ombre de Blatter et des coups tordus. Il faut dire qu’en octobre 2011, le premier producteur de bière mondial Anheuser-Busch In Bev, qui brasse la fameuse Budweiser, prolongeait son contrat de sponsoring avec la FIFA pour les Coupes du monde 2018 et 2022, respectivement en Russie et au Qatar. Jérôme Valcke s’enthousiasmait alors : « Budweiser a joué un rôle prépondérant en nous aidant à développer notre événement phare, et nous a soutenus efficacement en rapprochant l’événement au plus près de supporters du monde entier. » Il fallait bien une contrepartie.

L’anecdote ne vise pas seulement à souligner le double discours de la FIFA, dès lors que sont en jeu de juteux contrats de sponsoring, elle témoigne aussi du rapport étrange qu’entretient l’alcool avec le football : savoureux mélange d’attraction et de rejet. Car pendant que Budweiser s’offre le sponsoring officiel des Coupes du monde depuis 1986 (excepté 1990), et que Carlsberg, l’un des leaders du marché de la blonde, truste l’exclusivité sur l’Euro depuis 1988 (l’alcool a d’ailleurs exceptionnellement été autorisé dans les stades d’Ukraine et de Pologne en juin 2012), les gouvernements nationaux légifèrent contre la vente d’alcool dans les stades, pour prévenir les débordements en marge des matchs. Ainsi, la consommation d’alcool est interdite dans les stades français, anglais, italiens et espagnols. Seule l’Allemagne laisse ses kutten fans se pinter la gueule en tribune, sans, toutefois, qu’une recrudescence de violence ne soit observable par rapport aux autres pays européens.

L’interdiction anglaise date de 1985, quelques mois seulement après la tragédie du Heysel. La motivation évidente était alors de lutter contre la violence dans les stades. Sauf que le lien n’est pas si mécanique entre consommation d’alcool et débordement si l’on en croit une étude anglaise datant de 2005 (Football violence and hooliganism in Europe). On y lit notamment que la plupart des chercheurs sur le hooliganisme ne partagent pas le constat selon lequel la violence autour du football résulte souvent d’une consommation excessive d’alcool et que le rôle de l’alcool dans la violence des ultras en Italie est négligeable…

Discrimination des supporters de football par rapport à ceux du rugby

Aussi, Simon Clegg, ancien directeur général du comité olympique britannique et aujourd’hui président d’Ipswich Town (2e division anglaise) a envoyé une lettre aux dirigeants de la FA, la Fédération anglaise de football, réclamant le droit pour les supporters de boire de l’alcool à leur siège. Car l’Angleterre a un système d’interdiction étonnant. Il est interdit de boire « within sight of the pitch » , autrement dit à la vue du terrain. Mais pas en coursive donc.

« L’ambiance autour des matchs de football a suffisamment changé aujourd’hui pour que l’alcool ne constitue plus un risque de trouble à l’ordre public » , plaide Simon Clegg, largement soutenu par d’autres dirigeants de clubs à travers le pays, qui aimeraient pouvoir décider quand et comment, selon les matchs, les clubs peuvent vendre de l’alcool. Point d’orgue des arguments du président d’Ispwich Town : la discrimination dont font l’objet les supporters de football par rapport à ceux d’autres sports comme le rugby ou le cricket. En effet, selon la législation actuelle, un même fan qui s’assoit dans le stade Madjeski peut tranquillement se mettre une biture pendant un match de rugby des London Irish, mais doit faire abstinence en regardant un match de Reading en Premier League.

« La loi de 1985 n’est appliquée à aucun autre événement sportif, même lorsqu’ils se déroulent dans des stades habituellement utilisés par le football. Le football est injustement visé et lésé par rapport aux autres sports, ce qui n’est plus justifié aujourd’hui » , précise Simon Clegg dans la lettre envoyée à la FA. La tise permettrait également de ramener davantage de ferveur dans les stades anglais : « Autoriser les fans à boire pendant les matchs contribueraient à augmenter l’ambiance et l’enthousiasme des fans » si l’on en croit le président d’Ipswich.

En France, la loi Evin sauf dans les loges

Ça la fout mal en Suisse, alors qu’on vante partout le modèle anglais pour justifier une récente mesure d’interdiction de vente d’alcool lors des matchs à risque qui s’appliquera dès la saison prochaine. Mais cela pourrait aussi donner des idées aux supporters de football en France, où la très stricte loi Evin interdit la vente comme le sponsoring d’alcool lors des matchs de football dans toutes les tribunes à l’exception des loges, grâce à une dérogation de bon aloi concoctée entre – et pour – les gens civilisés. Dérogation également accordée sous la forme d’exceptions pour tous les spectateurs lors des matchs de rugby… L’interdiction dans les stades de football a souvent pour effet pervers de pousser à une consommation massive d’alcool avant le match et à une entrée tardive dans l’enceinte à défaut de pouvoir boire tranquillement en tribune.

Quoi qu’il en soit, soyons rassurés, le Qatar a déjà annoncé que l’alcool serait disponible pour la Coupe du monde 2022.

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