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Le Prague de Rio
Dix ans à Lille, et puis Marcelo Bielsa débarque, et Rio Mavuba doit plier bagages. Adieu le stade Pierre Mauroy, mais aussi adieu les bars des rues Solférino et Masséna. Heureusement, Rio a signé à Prague, où il n’aura que l’embarras du choix au moment d’aller célébrer les victoires acquises avec son nouveau club, le Sparta, qui joue son premier match de championnat aujourd’hui contre les Bohemians. Rio, il ne sera pas dit que nous vous laisserons seul dans cette jungle. Voici donc un city guide personnalisé, rien que pour vous.
Où sortir ?
Ce 3 août, vous disputerez à domicile avec votre nouveau club le match retour de votre tour préliminaire de Ligue Europa contre l’Etoile Rouge de Belgrade. À l’aller, vous avez perdu 2-0, autant dire que si qualification il y a, l’exploit méritera d’être fêté dans un endroit digne de ce nom. Ne vous inquiétez pas, Prague n’est pas la dernière des villes pour faire la fête. Pour commencer, rejoignez donc la place Venceslas, les Champs Elysées praguois, et installez-vous au Vytopna. Ce bar-restaurant a la particularité de vous servir vos bières à l’aide d’un petit train dont les wagons remplis de pintes avancent sur des rails passant entre toutes les tables. Suite à cet amuse-bouche, pourquoi ne pas faire un peu le kéké ? Après tout, vous êtes dans la ville des enterrements de vie de garçon. Appelez donc le Darling, puisque ce strip club a la particularité d’envoyer gratuitement une limousine vous chercher, vous et vos coéquipiers, où que vous soyez dans la ville. Une fois là-bas, vous pourrez observer les futurs mariés commander une bouteille de vodka leur donnant automatiquement droit à une « table dance » individuelle. Évidemment, vous ne ferez rien de tout ça, car vous êtes quelqu’un de sérieux.
C’est pourquoi il sera bientôt temps de quitter les lieux pour écouter un peu de musique. Fausse bonne idée : vous rendre au Karlovy Lazne, autoproclamée « plus grande boite de nuit d’Europe Centrale » , près du pont Charles, une sorte d’usine à pomper les billets des touristes aguichés par ses cinq étages de musique insipide. Vous qui aimez mixer un peu de hip-hop et de r’n’b à vos heures perdues, vous trouverez peut-être une seconde maison au Radost. Dans ce bel endroit recouvert de moquette, les robes courtes et les chemises cintrées se déhanchent au rythme des derniers tubes du genre. Pour l’anecdote, c’est ici que Rihanna a tourné le clip de l’un de ses premiers gros tubes, Don’t Stop the Music.
Plusieurs belles options alternatives s’offrent néanmoins à vous pour prolonger la soirée. La première consiste à vous rendre au Roxy. En plein cœur de la vieille ville, ce club de taille modeste est depuis des années le rendez-vous de la jeunesse cool de la ville qui veut écouter les derniers DJ pointus. Faites néanmoins attention à ne pas accepter les produits proposés par les vendeurs postés en bas des escaliers, près du vestiaire, si vous ne voulez pas avoir de mauvaise surprise lors de votre prochain contrôle antidopage. Si le Roxy vous paraît encore trop mainstream, nous ne saurons trop vous conseiller de vous déplacer vers le nord, de franchir la Vltava et de pousser la porte du Cross Club, derrière laquelle vous découvrirez un décor de tuyaux apparents et de métal digne de Mad Max. La musique y est plus expérimentale et la légende dit qu’on pouvait à une époque y acheter des space cakesde façon assez libre. Là-bas, vous n’avez que peu de chance de tomber sur un collègue footballeur, mais si vous cherchez encore plus de confidentialité, tentez de trouver le Klubovna 2.Patro, un club planqué dans un appartement anonyme, non loin du Roxy. Il est 6h du matin et les établissements de nuit ferment les uns après les autres. Vous pourriez vous mettre à la recherche d’un after branché mais non, vous ne serez pas un de ces millionnaires à crampons déconnectés du monde réel. Il est temps, alors que le jour point, de vous rendre dans une Herna. Ces salles de jeux de hasard sont ouvertes 24h/24. Commandez une pinte à un euro, installez-vous devant une des nombreuses machines à sous qui s’offrent à vous et laissez-vous aller.
Que manger et boire ?
Pas la peine de vous raconter des salades : la gastronomie tchèque est assez peu compatible avec le régime d’un footballeur professionnel, qui plus est en fin de carrière. Entre le goulash, le rôti de bœuf à la crème fraîche et le koleno (du genou de porc servi autour de son os, dans des proportions souvent astronomiques), au moins vous ne serez pas trop dépaysé par rapport aux spécialités du nord de la France. Essayez simplement d’attendre Noël pour craquer. Là, vous n’aurez de toute façon plus le choix. Vous devrez goûter les pâtisseries traditionnelles. Si vous désirez vraiment vous intégrer, vous devrez aussi acheter l’une de ces carpes vivantes vendues dans la rue dans de grandes bassines en métal. Comme le veut la tradition, laissez-la se promener dans votre baignoire jusqu’au jour J, puis cuisinez-la et ouvrez les cadeaux.
Niveau boisson non plus, vous n’aurez pas de problème d’adaptation en République Tchèque après vos dix ans à Lille. Les Tchèques sont en effet, et d’assez loin, les plus gros buveurs de bière du monde avec 150 litres par an et par habitant en moyenne. De 1997 à 2014, le championnat s’appelait d’ailleurs Gambrinus Liga, du nom de l’une des bières les plus bues du pays. Nous vous conseillerons cependant d’éviter la Gambrinus autant que la Pilsner Urquell ou la Budweiser (la vraie, pas l’américaine), un peu trop fades pour vous. Puisque vous aimez les surprises, tournez-vous plutôt vers une Kozel ( « bouc » , en tchèque) brune, qui par sa légèreté bouleversera toutes vos idées préconçues sur la bière brune. Pour le fun et pour vous ramener à vos amis littéraires restés en France, achetez-vous au moins une bouteille de Bernard. Puisque l’ironie a voulu que bière se dise « pivo » en tchèque, ses étiquettes arborent un superbe jeu de mots involontaire : Bernard Pivo.
Enfin, si vous voulez impressionner vos nouveaux coéquipiers tchèques lors de votre première sortie commune, n’hésitez pas à commander en même temps que votre pinte un verre de Becherovka. Au premier essai, vous trouverez cet alcool fort à base de plantes absolument dégueulasse, et puis au bout de quelques mois, vous ne pourrez plus vous en passer.
Joindre l’utile à l’agréable
Attention : si vous avez l’intention de goûter à l’ambiance des stades tchèques en tant que spectateur, choisir les tribunes de votre propre club ne sera pas forcément une bonne idée. Certes, les ultras du Sparta sont parmi les plus chauds du pays, mais vous ne goûterez pas forcément les cris de singe de certains d’entre eux, tout comme ceux-ci ne seront que peu sensibles à votre engagement pour les enfants d’Afrique.
Préférez donc le petit stade Dolicek, celui des Bohemians 1905, le club d’Antonin Panenka, que vous recevez pour la première journée de championnat ce dimanche. Là-bas, si le spectacle footballistique sera certainement décevant, les travées rattraperont largement le coup. Dans le foyer de ce Sankt Pauli praguois, vous trouverez des punks aux crêtes un peu hautes côtoyant des grands-pères venus boire une pinte et manger une saucisse en surveillant leurs petits-enfants, qui s’amusent avec la mascotte du club : un kangourou géant, en souvenir d’une tournée en Australie dans les années 1920 de laquelle les Bohemians étaient revenus avec deux marsupiaux, offerts en cadeau au zoo de Prague.
Et justement, puisqu’on en parle : quel dommage que vous vous soyez déjà marié avec Elodie, votre compagne de longue date, le 17 juin dernier sur le domaine Château Smith Haut Lafitte. Car pour la modique somme de 12 000 couronnes (460 euros), vous auriez pu organiser vos noces en plein cœur du zoo de Prague. Nul doute que votre témoin Mathieu Valbuena et votre invité M. Pokora nourriront des regrets, mais ainsi soit-il. Cela ne vous empêchera pas de profiter d’un dimanche matin de gueule de bois pour visiter le quatrième meilleur zoo du monde selon les usagers de Tripadvisor. Vous ne manquerez pas de passer dire bonjour à Antonio et Eberhard, les deux tortues des Galapagos, puis vous trouverez le meilleur spot de cette colline surplombant la ville pour observer longuement le Stadion Juliska, enceinte du Dukla Prague, que vous affronterez le 30 septembre. Muni de jumelles, vous pourrez même vous imprégner de l’Histoire de votre futur adversaire en admirant la statue de Josef Masopust (en VF : Joseph Carnaval), l’homme qui a ouvert le score face au Brésil de Pelé en finale de la Coupe du monde 1962, avant de décrocher le premier Ballon d’Or tchèque, quarante-et-un ans avant Pavel Nedvev.
Autre club mythique de la ville, le Slavia Prague, champion en titre chez qui vous vous déplacerez le 16 septembre, n’avait jusque-là plus offert grand-chose sur le terrain depuis qu’il avait emménagé dans son ultramoderne Eden Arena, en 2008. Autour du stade, le quartier de Vrsovice, sorte de transition entre le Prague historico-touristique et celui des grandes barres d’immeubles tristo-soviétiques, n’est pas non plus le plus animé. À moins que vous ne souhaitiez vous spoiler l’issue de votre saison chez l’une des nombreuses diseuses de bonne-aventure qui peuplent ce fief bohémien, vous ne trouverez rien à y faire. Vous préfèrerez donc logiquement vous diriger un peu plus au nord, vers Zizkov, le quartier éponyme du Viktoria Zizkov, qui n’évolue plus malheureusement qu’en deuxième division mais que vous aurez peut-être la chance de croiser en coupe. Peuplé d’artistes et d’étudiants, l’endroit bouillonne de vie et de culture. Un conseil : marchez-y pendant des heures afin de vous ressourcer intellectuellement avant un match important. Un deuxième conseil : arrêtez-vous commander une pinte et de quoi l’éponger au U vystrelenyho oka. En plus d’être une vraie taverne tchèque à l’ancienne, celle-ci présente l’avantage de proposer des appui-têtes en cuir au dessus des urinoirs, pour le voyageur fatigué. Enfin, vous avez une opportunité en or de préparer agréablement votre rencontre du 14 octobre contre le Viktoria Plzen, avec qui le Sparta s’est partagé six des huit derniers titres de champion de République Tchèque. Une semaine avant le grand rendez-vous, prenez votre voiture (sans doute une Skoda), roulez une heure en direction du sud-ouest, et rejoignez la ville de votre adversaire pour un petit repérage. Hasard du calendrier, Pilsen accueille du 7 au 10 octobre le Pilsner Fest, un festival célébrant le produit ayant rendu la cité célèbre dans le monde entier : la bière. Une bonne façon d’étudier un club qui vient de dévoiler ses nouveaux bancs de touche en forme de canettes. Mélomane comme vous êtes, vous ne manquerez pas non plus d’apprécier les concerts en plein air qui accompagnent l’évènement. Qui sait, vous y trouverez peut-être de l’inspiration pour une future version tchèque d’Une Nuit à Makala, l’événement caritatif que vous organisez chaque année à Lille.
Par Thomas Pitrel