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Le Libéro Lyon : « Si elle peut être exaspérante, la communauté lyonnaise est aussi très marrante »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger
Le Libéro Lyon : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Si elle peut être exaspérante, la communauté lyonnaise est aussi très marrante<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Depuis plus de six ans, le Libéro Lyon couvre l'actualité de l'Olympique lyonnais avec second degré et autodérision. À ses risques d'affronter le courroux de Bruno Genesio, et périls sur Twitter. Le fondateur du site, Pierre Prugneau, et l'actuel rédacteur en chef, Hugo Hélin, racontent ce projet et tentent surtout de répondre à une question : le Lyonnais a-t-il de l'humour ?

Pour ceux qui ne connaissent pas Le Libéro Lyon, comment le présentez-vous ? Pierre Prugneau : Au départ, l’objectif était de faire un pure player sur le foot local, sans devenir un média officiel, c’est pour ça qu’on ne traite pas que de l’OL, mais aussi des clubs de l’agglomération de National et National 2. On ne voulait pas non plus faire un fanzine, mais proposer un contenu qu’on ne trouverait ni dans la PQR, ni sur un autre site.Hugo Hélin : Aujourd’hui, on essaye de se structurer pour proposer au moins un article d’avant-match et un compte rendu de chaque match de l’OL. Les papiers humoristiques se font un peu selon l’envie. Ce n’est pas évident avec les emplois du temps de chacun, mais on fait en sorte de publier le plus régulièrement possible.

Quelle est la genèse de ce site ?PP : C’est parti du fait que j’étais au chômage, donc je n’avais pas grand-chose d’autre à faire. J’écrivais déjà sur Rue89 Lyon, un peu en mode blog et sans être rémunéré. Ça prenait bien et je me suis dit qu’il faudrait en faire plus.

Libéro, ça implique une prise de recul, de la liberté, mais aussi un côté vintage sachant qu’on fait pas mal de sujets historiques.

On a alors lancé le site en avril 2013. À cette époque, il y avait Olympique et Lyonnais qui était censé disparaître. Ça m’avait mis la puce à l’oreille en me disant qu’il y avait un créneau à prendre, même si ce n’était pas la même ligne éditoriale. Finalement, ils ont été rachetés par Lyon Capitale.

Pourquoi ce nom de Libéro ? PP : Je ne voulais pas de jeu de mot « terroir » avec « Gone-je-ne-sais-pas-quoi » . Libéro, ça implique une prise de recul, de la liberté, mais aussi un côté vintage, sachant qu’on fait pas mal de sujets historiques. Après, c’était éventuellement déclinable dans d’autres villes, chose qui n’a jamais été faite.

Toi, Hugo, comment t’es-tu retrouvé dans le projet ?HH : J’ai rencontré Pierre dans une équipe de foot à 7, en FSGT, peu de temps avant qu’il ne crée le site. Comme j’allais souvent voir des matchs de CFA, je lui ai dit que je pouvais lui filer un coup de main. Je me suis impliqué progressivement, puis quand Pierre a été embauché à Paris, à L’Équipe, il m’a laissé le poste de rédacteur en chef.

L’équipe est-elle constituée de journalistes ? Ou il y a aussi des contributeurs amateurs ?HH : Il n’y a que des bénévoles. Mais on est un groupe de sept ou huit mecs, qui échangent via WhatsApp. On a un spécialiste économie, d’autres qui sont plus à l’aise sur les stats…PP : L’idée a toujours été de faire quelque chose de journalistique. Cependant, le média n’est pas reconnu par la commission de la carte de presse. On a essayé de payer des piges pendant trois mois jusqu’au moment où on s’est rendu compte qu’on gagnait 12 euros de pub par mois. On a dû changer de stratégie, se passer des news pour faire plus de qualitatif.HH : Quand Pierre était aux commandes, c’était plus « bahloulisme & bergougnisme » , alors qu’aujourd’hui, j’essaye surtout de faire des articles humoristiques. On est un peu une communauté de pensée, on pense tous plus ou moins la même chose en matière de jeu, sur l’OL, mais je ne vais pas refuser un papier si un mec m’assure que Lucas Tousart est la sentinelle qu’il faut. Si c’est argumenté, je prends.

Aujourd’hui, où se trouve le potentiel humoristique de l’OL ?PP : Il est énorme. Il suffit de faire un tour sur notre rubrique « Demi-lol » , alimentée au minimum une fois par semaine.HH : Depuis le départ de Bruno Genesio, j’avais l’impression qu’on avait perdu quelque chose. Pendant plusieurs semaines, avec Sylvinho, on n’avait pas fait grand-chose. Mais forcément, avec les derniers événements, c’est revenu naturellement.

Je ne sais pas ce que le personnage de Rudi Garcia va devenir, mais pour le reste, Jean-Michel Aulas reste une valeur sûre, Juninho ressemble à un bobo alter-mondialiste qui est venu se greffer dans une PME de province…

PP : Par exemple, faire le top 3 des victoires de Sylvinho ou le fait que les Lyonnais sont les premiers à s’emballer sur n’importe quel rebeu qui sort du centre de formation, de Farès Bahlouli à Rayane Cherki… Tu peux te moquer du club assez facilement.HH : Je ne sais pas ce que le personnage de Rudi Garcia va devenir, mais pour le reste, Jean-Michel Aulas reste une valeur sûre, Juninho ressemble à un bobo alter-mondialiste qui est venu se greffer dans une PME de province… Sur le terrain, je trouve qu’il y a moins de mecs marrants. Soit ils ne sont pas au niveau de l’OL et tu n’as pas envie de t’acharner sur un gars qui devrait juste être à Bordeaux, soit ils le sont et n’ont pas tellement de failles. Il y a peut-être juste Memphis qui, hors terrain, a une personnalité assez dingue, capable d’être le meilleur rappeur néerlandais et l’héritier de Cruyff.

L’OL a aussi cette image tenace de « club le plus détesté de France » , tout comme Lyon a du mal a fait consensus chez les non-Lyonnais. Ça fait aussi partie des ficelles sur lesquelles vous tirez ? PP : Lyon a une image assez froide et indéfinie pour les gens de l’extérieur, c’est vrai. Mais c’est une matière assez marrante à travailler.HH : Il y a une identité lyonnaise, mais tu es au milieu du pays un carrefour qui rend tout ça diffus. Cela dit, je trouve déjà qu’on est moins passionnés que dans d’autres villes. D’où cette possibilité de prendre la distance avec une défaite. À Marseille, à chaque match perdu, on crie au complot arbitral… Ensuite, c’est peut-être plus facile de faire des vannes dans une ville de culture, bourgeoise, étudiante. Ça permet de rigoler plus facilement de soi, sans offenser personne.

Pensez-vous que le Lyonnais a de l’auto-dérision ?PP : Chez nous ou la communauté lyonnaise sur Twitter, oui carrément. Le Lyonnais a d’autant plus d’auto-dérision qu’il préfère se foutre lui-même de sa gueule plutôt que ça soit les autres qui le fassent.HH : Je pense qu’il sait la manier, oui, mais le Lyonnais est en plus de ça susceptible. Ça vient du fait que l’OL est un club qui est dans le top 5 depuis 20 ans maintenant. Les médias nationaux sont obligés d’en parler, mais les Lyonnais n’ont pas l’impression qu’on en parle correctement, que les gens ne voient que les gros matchs et se basent le reste du temps sur des ressentis. À un moment, ça peut provoquer ce sentiment.PP : Finalement, c’est presque de la fierté mal placée. Même si elle peut être exaspérante, la communauté lyonnaise est aussi très marrante.HH : J’ai été adolescent lors des grands titres, jeune homme lors du début de la fin et eu 25 ans lors des Gones de Rémi Garde. Donc ça a dû forger tout ça. Instinctivement, quand on a connu le titre chaque saison ado, on pourrait vouloir que l’OL soit toujours champion sans avoir trop de second degré. Alors que le dernier titre date d’il y a 11 ans…

Les kops expriment plus d’exaspération que d’humour. Et puis, quand tu es référencé comme un club un peu bourge, tu arrives plus à affirmer ton identité en étant dur que léger.

Les virages lyonnais se distinguent-ils par leur humour ?HH : Je n’ai pas l’impression qu’ils essayent de l’être. La banderole de ce week-end sur Garcia ( « Notre patience sera égale au respect que tu as montré au club : nulle » , N.D.L.R.), ça correspond à ce que disent les supporters, mais effectivement, il n’y a pas de blague. PP : Je trouve qu’ils expriment plus d’exaspération que d’humour. Et puis, quand tu es référencé comme un club un peu bourge, tu arrives plus à affirmer ton identité en étant dur que léger. On n’est pas les plus gâtés à ce niveau, même si de temps en temps, il y a de bonnes vannes.HH : C’est peut-être aussi la taille du club qui veut ça. C’est plus facile d’être rigolo quand tu es le supporter du petit club.

Vous vous moquez assez peu des autres clubs…HH : C’est sûrement quelque chose d’assez circonstanciel, dans le sens où on a assez pour se foutre de nous-mêmes. Après, ça arrive à l’occasion. Quand les Marseillais râlaient du fait qu’ils n’avaient jamais de penalty, on avait imaginé un crowdfunding pour que les Lyonnais leur en offrent. On disait qu’on s’était rendu là-bas et qu’on avait vu l’état de délabrement des enfants qui n’avaient jamais vu de penalty. Même là, on arrive à se remettre en question.

Et avec Saint-Étienne ?HH : Je ne fais pas partie de ces gens adultes qui disent « 41+1 » pour ne pas dire « 42 » , comme le département de la Loire. Je n’ai aucun souci à discuter avec un Stéphanois, ma copine est stéphanoise.

C’est difficile d’attaquer Sainté parce qu’on n’est plus vraiment dans le même monde aujourd’hui, sans être méchant. Sportivement, nos rivaux sont plus Marseille, Monaco et PSG.

Moi-même, j’ai grandi dans la Loire, dans un coin plutôt Sainté. Mais mon premier match au stade avec mon père, c’était France-Brésil en 1997 à Gerland. Le premier but que j’ai vu, c’est le coup franc de Roberto Carlos qui fait le tour du mur de Barthez. Et quand j’ai dû choisir mon camp, de par mon esprit de contradiction et ce souvenir, j’ai décidé de supporter l’OL. C’est difficile d’attaquer Sainté parce qu’on n’est plus vraiment dans le même monde aujourd’hui, sans être méchant. Sportivement, nos rivaux sont plus Marseille, Monaco et PSG. On se compare finalement peu à Saint-Étienne : eux ont Berić en pointe et leur joueur culte est Loïc Perrin… Il faut faire la part des choses.

Auriez-vous connu le même succès si le site avait été lancé pendant la période glorieuse de l’OL ?PP : Être là quand l’équipe gagne, ça reste plus rentable en matière de trafic. Paradoxalement, je trouve qu’on est plus fort quand l’OL est dans le dur. Surtout que c’est dans ces moments-là que nos lecteurs « fidèles » ont le plus envie de nous lire, mais c’est la communauté secondaire qui fait l’audience.HH : Ce n’est pas facile d’être drôle quand ton club va bien. Quand on avait des cyborgs à chaque poste, c’était plus compliqué. Qu’est-ce que tu veux dire sur Abidal, Malouda, Govou, des mecs bons techniquement et qui courent 50 kilomètres par match. Bon, tu pouvais toujours faire Coupet, le mec de Haute-Loire, ou les sorties entre Brésiliens…PP : On s’est lancé dans une période assez propice. 2013, c’est le moment où cette « génération spontanée » de supporters des années Juninho s’affirmait. Ces mecs avaient environ 20 ans, avaient connu une décennie de succès, et ont découvert les années de vache maigre. Le projet sportif n’était pas sur une énorme dynamique, le recrutement n’était plus très alléchant, et c’est un moment crucial pour les supporters lyonnais. Parce qu’il a fallu redéfinir son identité, parce qu’il y a eu des moments joyeux grâce à une équipe composée de 8 ou 9 joueurs formés au club, parce que les choix d’entraîneurs étaient plus discutés… C’est beaucoup plus intéressant à éditorialiser qu’à l’époque où les mecs gagnaient 9 matchs sur 10.

Une domination qu’exerce aujourd’hui l’équipe féminine et dont vous parlez aussi sur votre site…PP : Oui, depuis longtemps en plus.HH : On a un coéquipier qui s’est spécialisé là-dessus. Il peut regarder dix matchs des futures adversaires européennes de l’OL, se taper du championnat russe pour savoir ce que vaut Ryazan, sachant qu’il regarde le championnat norvégien pour son propre plaisir. Ce mec aurait sa place dans une cellule de recrutement : il est capable de te parler d’une milieu défensive sud-coréenne.

Les articles à ce sujet sont un peu moins piquants. Pourquoi ?PP : On parle librement du foot féminin ou du foot amateur, mais comme ces équipes bénéficient d’un traitement médiatique largement moindre, ça reste moins éditorialisé. Sur l’OL masculin, il y a de la littérature, des reprises de conférences de presse, des comptes-rendus postés directement après les matchs… C’est dur de faire une vanne sur une chose que les gens ne savent pas.

Bruno Genesio nous en a déjà voulu pour avoir écrit dans un compte-rendu d’un match contre Rennes que Sergi Darder voyait les ballons lui passer au-dessus de la tête. Il avait même convoqué Pierre dans son bureau.

Quelles sont vos relations avec le club ?HH : On sait qu’on est lu, car Bruno Genesio nous en a déjà voulu pour avoir écrit dans un compte-rendu d’un match contre Rennes que Sergi Darder voyait les ballons lui passer au-dessus de la tête. Il avait même convoqué Pierre dans son bureau.PP : C’était en septembre 2017, je me pointe au centre d’entraînement pour la conférence de presse, j’entre dans l’amphi un peu à la bourre. Je vois Genesio qui me fixe. À la fin, l’attaché de presse vient me chercher et me dit : « Pierre, il y a le coach qui voudrait te parler. » On se retrouve dans son bureau, tous les trois avec l’attaché de presse.

Il s’y est dit quoi ?PP : Genesio me dit : « C’est vous le Libéro Lyon ? – C’est moi qui l’ai créé, mais je n’y travaille plus depuis deux ans.- Ouais, parce que vous êtes toujours en train de nous saquer ! Sur le compte rendu du match de Rennes, vous dites qu’on saute le milieu de terrain, c’est n’importe quoi… »
Bref, pour lui, c’était un match référence, alors que de fait c’était un match guère convaincant. Il continue son truc, répétant que « c’est de l’acharnement » , puis me dit : « Enfin, ce n’est pas moi qui vous lis, mais mon fils » , un argument qu’il a toujours sorti concernant Twitter. Je ne réagis pas parce qu’à ce moment, je travaille pour L’Équipe et je ne couvre pas l’OL, je ne veux mettre personne en porte-à-faux. Je lui propose juste de faire un entretien avec Hugo pour clarifier tout ça. Il n’a jamais donné suite. Je ne sais pas pourquoi il a donné autant d’importance à un site dont l’audience est finalement confidentielle, surtout qu’il n’y avait absolument rien d’insultant. Quand on s’est quittés, il m’a dit : « C’est de la malhonnêteté intellectuelle et la malhonnêteté intellectuelle, ça finit toujours par se payer. » Ça ressemblait presque à des menaces, et je me suis dit que c’était de la folie, mais pour ne pas mettre de l’huile sur le feu, je n’en ai rien fait. Quelque part, ça montrait que notre travail était suivi, mais d’un autre côté que c’était une boulette dans sa gestion des relations avec les médias.

Depuis plusieurs mois, votre compte a disparu de Twitter. C’est quoi cette embrouille ?PP : Un de nos community managers, Zénon Zadkine, avait fait une vanne sur le Bataclan — qui n’était pas forcément très bonne —, mais qui ne tombait pas du tout sous le coup de la loi. Il s’est fait signaler en masse. Dans ces cas-là, les robots de Twitter ne cherchent pas forcément à comprendre : ils ont fait le lien entre ce compte et celui du Libéro, se disant que c’était le compte que Zénon s’était créé pour contourner sa suspension. Du coup, ils nous ont bloqué, alors qu’il avait été créé antérieurement…HH : C’est con parce que notre compte était tenu sérieusement et Twitter a tout fait sauter en même temps.

Vous arrivez à « vivre » sans Twitter ?HH : Ça a rendu les choses un peu plus difficiles. Maintenant, on partage les articles via nos comptes personnels et on fait des blagues sur Facebook, même si nous étions plus compatibles avec Twitter.PP : On pourrait aussi créer un nouveau compte, mais ça nous servait aussi d’archives avec certains contenus qui étaient exclusivement sur Twitter. Techniquement, tout n’est pas effacé, c’est juste que rien n’est visible à l’extérieur. On devrait faire un recours administratif, envoyer des courriers, etc. Mais on ne l’a pas fait.HH : Ça fait six mois qu’on essaye de leur envoyer des mails et qu’on reçoit des réponses de robot. Donc si quelqu’un de chez Twitter nous lit : libérez le Libéro !

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Propos recueillis par Mathieu Rollinger

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